Chapitre 35

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- Je récapitule. Cinq plaintes et une sixième portée à ce jour à l'issue desquelles l'accusé de quinze ans a comparu devant le tribunal pour enfants et écopé des mesures et sanctions disciplinaires suivantes : deux admonestations, l'interdiction de fréquenter ses victimes pendant un an, des travaux scolaires, un stage de formation civique obligatoire et l'orientation vers un professionnel de la santé mentale.

Monsieur Dungan retira ses lunettes d'une main tandis que l'autre tenait toujours le rapport judiciaire, et regarda le récidiviste avec incompréhension.

- Vous n'en aurez jamais assez, Nattier ?!

Louis se mordit les lèvres et triturait ses mains. Mal à l'aise, inquiet, il ne pouvait rester tranquille et s'agitait sur place. Madame Nattier, au contraire, faisait preuve d'un sang froid remarquable, même si sa poitrine s'était soulevée en entendant les peines prononcées contre son fils.

Grande et les cheveux flamboyants, elle portait une tenue bien légère pour l'occasion, et son maquillage prononcé la rendait vulgaire. Cependant, elle croisait les bras comme toute mère exaspérée par l'attitude de son enfant, et son regard sévère passait du directeur à Louis avec contrôle.

Monsieur Dungan se laissa tomber contre le dossier de sa chaise et soupira profondément.

- Après toutes ces mises en garde inutiles, je ne crois plus avoir d'autre choix que de vous renvoyer.

Madame Nattier émit un cri aigu et plaqua une main soignée contre ses lèvres rouges. Ses grands yeux noirs et sa peau laiteuse avaient, en soi, quelque chose de charmant, mais inquiétaient plus qu'attiraient en cet instant. Plus blanche que jamais, elle semblait avoir quitté le monde des vivants. Et alors que la pièce retenait son souffle dans cette atmosphère glaciale, la jeune femme s'avança vers le bureau et posa ses mains sur la grande table dans un sourire peiné. Elle s'était penchée en avant, de sorte que le proviseur avait une vue imprenable sur son imposante poitrine, puis explosa en sanglots. Le principal, dont le visage brulait d'excitation, fut tout à fait déstabilisé par le laisser-aller de la trentenaire. Compatissant, il plaça ses doigts sur son épaule et chercha son regard. Alors la jolie rousse se redressa, demanda un mouchoir au directeur qui s'empressa de répondre à sa requête, et renfila bruyamment pendant que son fils levait les yeux au ciel.

- Allons, allons, calmez-vous, fit l'homme avec douceur.

- Calmez-vous, calmez-vous... Ce n'est pas vous qui avez un enfant qui vous mène la vie dure !

Et les pleurs de la Madame Nattier reprirent. De plus en plus embarrassé, Monsieur Dungan se racla la gorge pour tenter de faire revenir le calme sans chercher à brusquer la malheureuse.

- Vous savez, moi aussi j'ai des enfants un peu turbulents, tenta-t-il dans un rire gêné.

- Mais je suis sûre qu'ils n'ont jamais fait le mur ou taper des plus faibles qu'eux...

Le principal baissa les yeux, ne pouvant donner tort à la jeune femme.

- Écoutez, reprit-t-il d'une voix faible, essayez de comprendre... J'ai déjà fait beaucoup pour vous... Enfin, pour votre fils en lui permettant de rester dans ce lycée bien plus longtemps que le règlement ne l'exige en temps normal... C'est la sixième condamnation, ajouta-t-il plus triste encore, et je ne pourrai retarder le départ de Louis indéfiniment.

Dans un geste intime, il ramena les longs cheveux roux de la tragédienne derrière son dos, et sourit, son visage ne se trouvant plus qu'à quelques centimètres du sien. Et tandis que la mère de famille plongeait ses yeux larmoyants dans ceux, bienveillants, de l'homme, l'adolescent patientait au fond de la salle, se demandant si l'on se souvenait encore de sa présence.

- Puis-je vous avouer quelque chose ? murmura la trentenaire.

- Bien sûr, je suis tout ouïe, répondit le directeur, sincèrement intéressé.

La jeune femme s'assit alors sur le bureau, sans se fier aux visages abasourdis de son fils et du proviseur. Sa mini-jupe remontait terriblement, et elle croisait les jambes pour mieux les montrer.

- Fermez la bouche, Monsieur Dungan, car ce que j'ai à vous révéler vous surprendra bien plus qu'une paire de cuisses à l'air.

Elle avait dit cela avec autant de naturel que de stupéfaction, tandis que son jeu de séduction se poursuivait.

- Quoique, tout cela est lié...

- Que voulez-vous dire ? gémit le proviseur, désormais livide.

La tentatrice se rapprocha un peu plus, et Louis dut fermer les yeux pour ne pas entrevoir sa culotte en dentelle.

- Je suis Escort girl, mon cher Monsieur, ce qui veut dire que je dois vivre au jour le jour et supporter les fins de mois parfois difficiles.

Le lycéen retint un rire cynique en pensant au parfum Dior que sa mère s'était acheté la veille, et ne se rappelait pas avoir vécu des "fins de mois difficiles". Au contraire, Madame Nattier s'était construit une clientèle fiable et généreuse avec le temps, et ne s'était jamais plaint de sa situation.

- Je... Je...

- Chut, fit la séductrice en posant un doigt sur les lèvres du principal tandis que l'étudiant vivait l'un des moments les plus embarrassants de son existence. Je n'ai pas fini... Je sais que vous me méprisez déjà, mais laissez-moi vous dire en quoi consiste la vraie vie. C'est une adolescente qui s'est retrouvée enceinte au lycée et qui a dû faire face au regard des autres pendant qu'elle élevait son enfant seule et sans le sou... C'est une fille ambitieuse qui croyait pouvoir reprendre ses études un jour en finissant par comprendre que cela était impossible. C'est enfin une femme qui se retrouve dans le bureau d'un directeur d'école parce que le fils pour lequel elle a tout abandonné n'est qu'une brute ingrate.

Le garçon déglutit ; et le proviseur se liquéfia lorsque la belle rousse se rapprocha de son oreille.

- Pourtant, je vais vous dire, moi, pourquoi vous allez garder mon Louis... Parce que je n'aurai jamais les moyens de le conduire dans un lycée à plus de trente kilomètres d'ici, matin et soir. Parce que je travaille sans cesse pour veiller à ce qu'il ne manque de rien, envers et contre tout. Et parce que vous ne mettriez pas une jeune femme comme moi dans une situation inconfortable.

L'étudiant doutait que sa mère se trouvait dans une situation inconfortable en ce moment, contrairement à d'autres. Enfin, celle-ci se redressa lentement pour que sa poitrine reste en évidence le plus longtemps possible, puis sourit devant un directeur inerte.

- Ainsi, je crois que l'affaire est réglée. Je vous remercie pour cette invitation fort enrichissante, Monsieur le Proviseur, fit Madame Nattier en tendant une main chaleureuse mais sérieuse à ce dernier.

Toujours absent, Monsieur Dungan serra la main offerte et fut incapable de répondre à la jolie rousse lorsque celle-ci traina l'élève hors du bureau. Ce fut quand elle referma la porte derrière eux que son visage presque rieur se transforma en une grimace affreuse, plus terrible que celle dont usait son fils pour faire régner la terreur au lycée. Du haut de ses un mètre quatre-vingt-dix, Louis se massa pourtant la nuque lorsque sa mère lui envoya une claque digne des plus grands maîtres en la matière.

- Espèce de p'tit con ! Tu veux me tuer ou quoi ?!

L'adolescent se tut.

- Ouvre-la maintenant !

- C'était pas utile tout ce numéro, s'exécuta-t-il, encore choqué et humilié par l'attitude de sa mère.

- Sans ce numéro, comme tu dis, tu serais dehors à l'heure qu'il est !... Oh et puis tu sais quoi ? Il a raison ce type. Tu mériterais bien que je t'envoie dans l'un de ces pensionnats miteux où les parents n'entendent plus parler de leurs gosses.

Le garçon se tourna vers la femme, effrayé.

- Oh non ! Ne fais pas ça !

- Pourquoi ? Si c'est pas moi qui le fais, ce sera bientôt lui. Et puisque tu refuses de te calmer et qu'il n'est pas question que je t'inscrive dans cet autre lycée sans internat qui ne voudra peut-être même pas de toi, il faudra que je t'envoie plus loin, là où on s'assurera que tu te tiennes tranquille.

Louis ferma les yeux et imagina toutes les punitions que l'on pourrait lui infliger sans grand mal. Son visage toujours très dur était désormais empreint d'une immense tristesse.

- S'il te plaît, ne fais rien... Je, je ne réagirai plus comme d'habitude et j'ignorerai les sarcasmes.

- Est-ce que tu frappes les filles ? lança Madame Nattier en attrapant son bras d'un geste brusque.

- Non !... Seulement les garçons mesquins... Je ne veux pas finir derrière les barreaux non plus.

- Tu finiras derrière les barreaux si tu continues comme ça ! Quand tu auras seize ans, les peines seront plus lourdes que celles que tu as jamais connues !

Louis fit la moue. Tout ce que sa mère disait était juste, même s'il devait prendre sur lui pour l'admettre.

- Je te promets de faire des efforts pour changer...

Madame Nattier attrapa une oreille de son fils et la tira jusqu'à sa bouche.

- Tu ne vas pas seulement essayer. Tu vas t'y plier, Poil de carotte !

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