Chapitre 34

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Fanny respirait difficilement. Ses petits pieds foulaient le sol avec une rapidité propre aux cas terrorisés, et une étrange chaleur s'insinuait en elle. Celle d'une colère triste qui n'appartient qu'aux harcelés croyant avoir baissé la garde. Elle avait pourtant confiance en Gatien qui continuait de retenir ses bourreaux. Mais elle savait combien cela l'ennuyait, ses magnifiques yeux clairs ayant parlé pour lui. Elle pressa encore la marche lorsqu'elle aperçut un groupe d'agitateurs particulièrement inquiétants. Ses tremblements allaient de pair et ses muscles se contractèrent. Elle regardait le sol tandis que ses joues s'enflammaient. Elle évita, de justesse, l'approche de la bande dont le membre plus impressionnant ne pouvait lui échapper. Joris Fabian, le garçon le plus musclé, parlait haut et fort, et sa gestuelle, aussi exagérée qu'intimidante, avait le pouvoir de capter l'attention générale.

Seule Fanny faisait tout pour ne rien savoir de la dernière histoire tordante qui secouait la troupe, et souffla profondément lorsqu'elle entra enfin dans son bâtiment. Elle gravit les escaliers et atteignit sa classe en deux temps trois mouvements. Enfin, l'étudiante s'assit bien plus loin que là où elle en avait pris l'habitude − la peur de voir ses tortionnaires surgir de nulle part l'obsédant −, posa ses mains sur son visage, et sanglota amèrement. Si Pia, qu'une vilaine grippe avait retenue au lit, avait vu Sophie et ses amies venir à elle et l'arrêter alors qu'elle gémissait de peur, Fanny ne pouvait qu'imaginer l'humiliation profonde qu'elle aurait ressentie. Et après s'être demandé si sa sœur lui serait venue en aide ou l'aurait laissée aux louves, l'adolescente frémit. Avec la haine incompréhensible que Pia lui portait ces temps-ci, il était clair que la deuxième option aurait été choisie.

Exténuée par la vie qu'était la sienne, Fanny ferma les yeux. Le calme l'envahissait, la fatigue aussi, et elle se sentit partir lorsqu'un hurlement déchirant la fit sursauter. Les poils de ses bras s'étaient hérissés à l'appel tragique d'une autre victime, et la jeune fille se redressa avec peine. À quelques mètres de là, un garçon, grand et fin, plaquait ses mains contre le mur pour faire bloc et empêcher sa proie de fuir. Timide, Fanny tourna néanmoins la tête pour reconnaître le malheureux, puis fit un pas en arrière, déconcertée. Paul Valentin, une terreur des secondes, était en train de pleurer devant un adolescent maigrichon mais hors de lui.

- RÉPÈTE CE QUE T'AS DIT ! hurla le téméraire pour qui Paul semblait moins effrayant que le plus ridicule des insectes.

- Je m'excuse, je m'excuse... piailla le pauvre bougre que Fanny avait du mal à plaindre.

La lycéenne voyait l'élève de terminale agiter ses bras au-dessus de sa tête, comme s'il avait peur de se faire battre par l'étudiant de première année. Car bien entendu, Fanny avait immédiatement reconnu, au contraire du martyr, le terrible Louis Nattier.

Bien plus grand que la moyenne, Louis avait les cheveux roux, le teint presque blanc, et des taches de rousseur à n'en plus finir. Imposant malgré sa taille de guêpe, effrayant quand son regard noir croisait celui de toute autre personne, on ne le rencontrait jamais dans un couloir ou dans la cour en train de faire autre chose que tabasser ou faire peur à un lycéen, quelle que soit sa classe ou son âge. Mais à la différence de ceux qui frappaient toujours sans raison, Louis choisissait ses victimes selon un critère bien précis. Un mot de travers ou une blague de mauvais goût sur sa couleur de cheveux, et le garçon entrait en transe. Bien entendu, l'expression "Poil de carotte" était la plus répandue, et Louis, malgré ses coups sans pareil, avait bien du mal à l'arrêter. Au contraire, les attaques avaient pour effet d'attiser une haine rebelle, non seulement du côté de ceux qu'il cognait, mais auprès du lycée en général. Ainsi, Fanny Rita-Lans était peut-être la plus ouvertement critiquée à Marie Curie, mais Louis Nattier était le plus discrètement méprisé, à n'en pas douter.

Fanny avait, malgré tout, souvent compati à la situation du jeune homme. Il n'avait certes pas la diplomatie pour faire taire les moqueurs, mais l'adolescente pensait que cette violence n'avait pas toujours été là, et que seuls les méchants l'avaient rendu ainsi. Aussi s'était-elle plusieurs fois employée à discuter avec lui, mais toujours sans succès. Louis la renvoyait sans pitié, non avec ce regard qui faisait d'elle la fille la plus misérable du monde, mais avec celui, hostile, du rancunier qui n'attend plus rien des autres.

Elle n'aimait pas Paul, comme la majorité des élèves sensés, mais le fait de le voir dans une position qui était trop souvent la sienne finit par l'émouvoir. Ce fut donc avec autant de déplaisir que d'embarras que la jeune fille se dirigea vers les garçons avant de s'arrêter à un mètre d'eux, par précaution. Son visage se crispait devant les coups de pieds que Louis envoyait dans les tibias de Paul, et elle hésitait encore sur la façon d'aborder les choses. Les autres élèves, tétanisés, avaient presque tous fui le couloir. Quant aux restants, ils se repliaient sur eux-mêmes, livides et tremblants.

Ce fut lorsque Louis souleva Paul de deux centimètres pour lui assener un coup de poing irréparable que Fanny réagit.

- Arrête !

Le garçon roux − au poing toujours en l'air et au visage terrifiant −, tourna la tête vers l'adolescente et la toisa comme on ne l'avait jamais fait. Fanny, pétrifiée au plus haut point, balbutia des syllabes qui énervèrent davantage l'étudiant, puis attrapa son bras tandis qu'il rapportait son attention sur le faiblard qui bramait toujours. Louis envoya la lycéenne sur le sol d'un coup de coude, puis explosa les dents de Paul Valentin avec jouissance, son appétit se rassasiant enfin. Tout juste écorché, le dos de sa main formait des cicatrices blanches, signe des bagarres régulières dont il paraissait dépendre. Pourtant, Louis était toujours celui qui entamait les altercations, ses réflexes de boxeur prenant certainement le pas sur sa capacité de penser.

L'élève craqua ses doigts, puis s'apprêta à partir lorsqu'il vit Fanny à terre, se malaxant le front tout en plissant les yeux. Soufflant avec agacement tandis que Paul était à moitié assommé derrière lui, il fixa la jeune fille dans une attitude revêche, puis lui tendit la main à contrecœur. Louis n'affectait peut-être aucun intérêt devant l'adolescente et ses malheurs, mais avait fini par comprendre, à force de démonstrations de gentillesse irritantes, que Fanny n'était pas à craindre. Cette dernière saisit la paume offerte, puis se retrouva debout en un claquement de doigts. Le lycéen n'était, en apparence, pas très intimidant par sa carrure, mais faisait preuve, en vérité, d'une force incroyable.

- Combien de fois je dois te dire de me foutre la paix ?! grogna-t-il.

Fanny épousseta ses vêtements, puis ramena les mèches qui obstruaient presque totalement sa vue, désormais, derrière ses oreilles.

- Jusqu'à ce que tu m'écoutes, fit-elle sans le lâcher du regard.

Louis ne cacha pas le terrible rictus qui maltraita ses lèvres, reprit le sac qu'il avait abandonné sur le sol, et s'apprêta à partir lorsque l'adolescente revint à la charge.

- Tu ne peux pas le laisser dans cet état, lança-t-elle en pointant un doigt vers un Paul agonisant.

Le visage du jeune homme roux s'éclaira subitement, et il se mit à rire allègrement.

- Il n'a eu que ce qu'il mérite.

- Parce qu'il s'est moqué de toi ?

Les traits amusés du lycéen retrouvèrent leur aigreur terrifiante.

- Si t'as envie de jouer les nounous, t'as qu'à lui coller un pansement sur le genou. Maintenant, viens plus me faire chier.

Et il s'en alla, sans regret.

Fanny se baissa au niveau de Paul, rumina quelques mots amers, et soutint le garçon pour l'emmener à l'infirmerie. Ce fut dans ce nouvel élan de générosité que le blessé remarqua qui était sa sauveuse, fronça les sourcils, et la repoussa d'une main, ce qui fit encore une fois tomber la jeune fille. Assommée, celle-ci leva les yeux vers l'étudiant dont le regard, froid, n'avait cependant rien à voir avec celui de Louis. Cette fois, l'impatience avait fait place à une cruauté qui lui rappelait la réalité.

- T'as cru quoi, l'Affreuse ? Que tu pouvais me toucher et me refiler ton cancer ?!

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