Chapitre 30

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Le ciel était sombre, la lune était ronde. Les étoiles, flammes argentées, brillaient aux quatre coins du firmament. Dernier jour, dernières heures, l'année se finissait, mais personne ne la pleurait. Au contraire, on fêtait déjà sa successeuse en grandes pompes. Chacun à sa façon.

Fanny descendait l'escalier lorsque les échos de sa mère et Pia retentirent dans la maison.

- Mais s'il te plaît ! s'égosilla la jeune fille blonde, à deux doigts de pleurer.

- Hors de question ! Ta dernière soirée date d'il y a quatre jours à peine, et nous allons passer un moment en famille ! s'écria Madame Rita-Lans.

- Mais ce n'est pas pareil, c'est le nouvel an ! supplia l'adolescente, presque à genoux. Gatien fait une soirée énorme ! Maman... c'est Gatien je te dis !

- Pour la dernière fois, tu n'iras pas à cette fête ! Ce soir, c'est feu d'artifice pour tout le monde.

Le désarroi de Pia disparut pour laisser place à une haine sans pareille.

- C'est vraiment dégueulasse !

Secouée, Madame Rita-Lans écarquilla les yeux et son visage se raidit.

*PAF*

Pia trébucha sous la violence du coup. La main encore levée, la mère de famille éprouvait autant de colère que d'indignation.

- Parle-moi encore une fois comme ça, et tu peux être sûre que cette soirée aura été la dernière de ta vie !

Gémissant, la jeune fille blonde se précipita dans l'escalier, bouscula sa sœur au passage, et claqua la porte de sa chambre derrière elle. De son côté, Madame Rita-Lans attrapa le torchon qui pendait au-dessus de l'évier, et grogna en essuyant la table.

- Nom de Dieu, Fanny ! tonna-t-elle, surprise par l'arrivée de l'adolescente. Faut-il que j'accroche une cloche autour de ton cou pour que tu arrêtes de me faire peur comme ça ?!… J'en ai marre ! Cette famille m'insupporte ! - Elle jeta le chiffon sur la nappe. - Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter tout ça ?! Ta sœur qui me fait sa crise d'ado, ton père qui attend gentiment dans le canapé que le diner soit prêt, et toi qui me rends toujours nerveuse !

Tétanisée, Fanny regardait sa mère, les yeux grands ouverts.

- Rien de tout ceci n'aurait dû arriver, reprit la matriarche, en transe. Je suis Céline Rita, une journaliste de renom ! Pas une ratée aux petits soins pour les autres ! J'ai passé des années à jouer ce rôle, mais on dirait que le temps me rattrape toujours...

Elle tomba sur une chaise et plongea sa tête entre ses mains.

Silencieuse, Fanny resta immobile quelques secondes. La femme qui soupirait faisait peine à voir. Éreintée, Madame Rita-Lans avait craqué, une fois de plus. Et c'était Fanny qui en avait fait les frais... une fois de plus.

Se rapprochant finalement de la table, la jeune fille prit place à côté de sa mère et toucha son bras avec compassion. Relevant la tête, Céline Rita-Lans renifla, puis posa une main sur celle de l'adolescente avant de la presser.

- Tu sais, ma chérie, le monde peut être bien cruel, lança-elle, histoire d'accentuer son vague à l'âme.

Fanny sourit avec douceur.

- Je le vois bien, Maman. Et je suis désolée d'être un poids pour toi.

Madame Rita-Lans sortit un kleenex de sa poche, et se moucha bruyamment.

- Tu n'es pas un poids, répondit-elle enfin. C'est que tout ça est si… si éloigné de la vie que je m'étais imaginée.

Elle parlait avec calme, mais sa voix était brisée. Elle regardait dans le vide comme si tous ses rêves venaient de s'évanouir.

- Au moins, tu es devenue une grande journaliste, comme tu dis !... Non, tu es même plus que ça : cheffe de projet ! clama Fanny pour lui remonter le moral, alors qu'elle même souffrait dès que sa mère faisait une de ses terribles révélations.

- C'est vrai. Il y a du bon à tout, se consola Madame Rita-Lans.

Fanny retenait sa douleur en entendant sa mère conter les souvenirs de ses plus belles années sans que ses proches soient une seule fois cités. Puis, aussi heureuse que sa fille était devenue triste, Madame Rita-Lans se redressa et proposa de dîner assez vite pour ne pas manquer le feu d'artifice que la mairie organisait sur le stade de foot - annuellement réquisitionné pour l'occasion.

Le cœur gros, Fanny chercha néanmoins à être agréable tout au long du repas, puis dans la voiture qui emmenait une Pia bougonne, un Monsieur Lans amorphe, une Madame Rita-Lans excitée, et elle-même au stade. Laissant la voiture quelques mètres plus loin, la famille rejoignit l'immense étendue d'herbe autour de laquelle attendait une foule nombreuse. Les spectateurs continuaient d'arriver tandis que les premiers venus perdaient peu à peu patience. Les pieds enfoncés dans la neige, on expirait des volutes de fumée blanche dans l'air glacé. Le bonnet enfoncé sur sa tête, l'écharpe de Luc - qu'elle n'avait pas réussi à laisser de côté - entourant son maigre cou, Fanny maintenait ses bras contre sa poitrine lorsque la première fusée fut lancée. Emerveillé, tout le monde se tût pour admirer les lumières éclatantes, et sursauta à chaque détonation. Les derniers explosifs formèrent les mots "Bonne année", et on répéta l'expression à tue-tête en s'embrassant ou en sautillant sur place.

Au même instant, le portable de Fanny vibra, et la jeune fille put lire deux messages. Le premier, plutôt brutal, ne laissait aucun doute quant à l'identité de l'envoyeur.

"Même si nos vies changeront pas d'ici demain et que la société continuera de polluer les océans jusqu'à exterminer la moindre créature marine, je te souhaite une bonne année." avait lâché Amandine.

Fanny ne put s'empêcher un sourire, puis accorda son attention au second SMS.

"Bonne année, Fanny ! Je te souhaite beaucoup de bonheur et un avenir plein de promesses... Sache que tu es sûrement la plus belle rencontre que "l'année dernière" m'ait offerte. En espérant te revoir avant le début des cours, je t'embrasse. Luc"

Fanny appuya le téléphone contre son torse en levant les yeux au ciel. Des gens avaient pensé à elle en ces temps heureux.

Après avoir contemplé les étoiles, elle pensa soudain que tout était possible, puis regarda à nouveau le mobile.

"plein de promesses…"

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