Chapitre 27

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Fanny observait les rangées de vêtements en soupirant. Sweats et pantalons s'entassaient dans l'armoire, froissés, dépliés. Culottes, chaussettes et soutiens-gorge ne faisaient qu'un. Un joyeux mélange. La cacophonie d'une penderie. Une tragédie pour les yeux. Fanny referma la porte et quitta sa chambre.

Quand elle entra dans la cuisine, une odeur agréable emplit ses narines. Aussi douce que sucrée, elle réveilla l'estomac de la jeune fille qui criait bientôt famine. Madame Rita-Lans, aux fourneaux, préparait un canard à l'orange en grommelant. Vêtue d'un tablier, elle essuya plusieurs fois son front, stressée, agacée, fatiguée, et regarda l'heure sur son portable, abandonné un peu plus loin sur la paillasse. Fanny hésita une bonne minute avant de signaler sa présence, puis avança vers la planche en bois où sa mère coupait une pomme de terre avec un couteau à bout rond. Mal à l'aise, l'adolescente regardait ses gestes tandis qu'un sentiment de culpabilité l'envahissait. Madame Rita-Lans, qui ne l'avait pas entendue venir, sursauta.

- Fanny ! Combien de fois t'ai-je dit de ne pas apparaître de nulle part ?! fit-elle, brusquement.

La coupable s'excusa tandis que sa mère la détallait. Les yeux écarquillés, celle-ci s'emporta en découvrant la tenue de sa fille : un jogging, des chaussettes de ski et un sweat à capuche.

- Qu'est-ce que c'est que ça ?

Fanny jeta un œil à ses "guenilles".

- C'est pas une soirée pyjama ! Je t'ai demandé de faire un effort, c'est si dur à comprendre ?!

- Mais je déteste les robes ! Je ne me sens pas du tout à l'aise…

Madame Rita-Lans l'interrompit d'une main.

- On en a déjà parlé. Je t'ai repassé la noire, tu sais où la trouver.

Sans rien ajouter, elle reprit son activité, abandonnant Fanny à sa détresse.

Puisqu'elle n'avait pas le choix, la jeune fille rejoignit la lingerie et saisit la petite robe sombre qui, tenue par un cintre, patientait sur la porte entrouverte. Elle était toute simple. Aucun volant. Pas de fioriture. Classique. Soirée dansante ou maussade ? Le mystère planait. Une seule chose était sûre : Fanny serait ridicule à l'intérieur.

Lorsqu'elle repassa devant la cuisine pour prendre l'escalier, un sentiment de profonde amertume envahit la jeune fille qui foudroya sa mère, bien que celle-ci, de dos, ne put le remarquer.

Dans sa chambre, Fanny jeta l'habit sur sa chaise de bureau comme un sac poubelle sur le trottoir, et s'écroula contre son lit, vidée. Il lui fallut quelques minutes pour calmer ses nerfs agités, se blâmer après avoir imaginé les pires insultes contre sa mère, et se redresser.

Affligée, elle tint la robe en l'air et se pinça les lèvres. Puisqu'elle devait porter cette horreur pendant plusieurs heures, il était inutile de retarder l'échéance plus longtemps. Au contact du tissu, ses doigts frémirent, mais Fanny n'en éprouva aucun plaisir. Après avoir relevé la fermeture éclair, la jeune fille agrémenta sa tenue d'un fin collant noir puis se plaça devant le miroir, sans effervescence.

Après s'être abstenue de port de robes pendant près de deux ans, l'image que l'adolescente découvrit la dérouta. L'austérité prédite avait fait place à un ensemble élégant. Un seul défaut nuisait à la beauté du tout, le mannequin lui-même. Pourtant, Fanny ne s'en formalisa pas. Elle n'était pas Cendrillon, et ne serait pas méconnaissable pour avoir troqué sa tenue de souillon contre une robe. Néanmoins, un sentiment de renouveau la gagnait, et elle contemplait son apparence avec intérêt. En enlevant l'élastique qui retenait son triste chignon, une chevelure mi-longue, lisse et noisette tomba sur ses épaules. Décidée à en obtenir quelque chose, Fanny saisit le peigne sur le bureau et se coiffa avec énergie. Le résultat ne fut pas extraordinaire, mais la jeune fille se consola en se disant qu'au moins, ses mèches étaient débarrassées de leurs nœuds.

Non seulement elle n'avait pas de trousse de maquillage, mais elle était loin de le regretter… L'idée d'accentuer chacune de ses imperfections en se barbouillant le visage lui faisait froid dans le dos.

Quand la sonnette de la porte d'entrée retentit, elle sursauta, surprise dans sa redécouverte, et s'apprêta à rejoindre les invités lorsqu'un bruit de pas timides résonna dans le couloir. S'arrêtant devant l'escalier, la plus jeune des sœurs hésitait, et lorsqu'elle entreprit sa descente, la lenteur dont elle fit preuve bouleversa son aînée. Une Pia calme était aussi rare qu'une nuit sans lune.

Ce fut seulement lorsque Monsieur Illys échappa un "Ah !" contemplatif, que la jolie blonde dévala presque les dernières marches. À son tour, Fanny prit l'escalier, mais sans cérémonie, et trouva un Alan radieux et solaire. Alors qu'il chantait à tue-tête son admiration pour Pia dont il tenait les mains, Monsieur Illys n'aperçut pas tout de suite l'autre adolescente, ce qui ne fut pas le cas de son fils. Ébahi, Gatien fixait Fanny avec confusion et fut incapable de la saluer. Ce fut seulement lorsque son père se détourna de Pia que la jeune fille put avoir une conversation - sans être noyée de compliments pour autant.

Fanny appréciait le bon vivant qui lui faisait face, et fut presque navrée quand il la quitta pour Monsieur Lans. Tournant la tête du côté de Gatien, elle fut déroutée par son comportement, définitivement singulier. Les joues rouges et le regard fuyant, celui-ci n'arrivait décidément pas à accepter sa situation. Diner chez les Lans était-il si terrible que cela ? Fanny avait peut-être mal jugé le jeune homme en le croyant différent des autres lycéens. Honteuse, elle s'apprêta à rejoindre la cuisine lorsque Pia se planta devant le garçon et s'exclama haut et fort.

- Salut Gatien ! Comment ça va ? Moi, très bien ! Dis, tu es toujours d'accord pour qu'on aille chez Pauline ensemble après-demain ? Je suis sûre que ça va être une soirée énorme ! D'ailleurs, je plains ceux qui n'y sont pas invités !

La tête de Pia s'était à peine tournée vers sa sœur qu'un sourire perfide se lisait sur son visage.

Vermeils, la robe et le rouge à lèvres de la cadette la rendaient irrésistible. Pourtant, ce n'était pas son charme qui hébétait Gatien en cet instant, mais son approche quasi agressive.

Pris de court, il regardait tour à tour les deux sœurs tandis que Fanny ne savait plus où se mettre.

Quand Madame Rita-Lans invita tout le monde à diner, l'adolescente perçut un certain soulagement sur le visage du jeune homme, jusqu'à ce que Pia insiste pour qu'il prenne place à côté d'elle tout en s'assurant que Fanny les observe de loin. Malgré tout, les mesures de Pia s'avérèrent inutiles : Gatien soufflant au moindre de ses mots et cherchant, plus ou moins discrètement, son aînée.

Fanny se sentait épiée, mais ne rentra pas dans le jeu du garçon. Quelque chose en elle lui intimait de ne pas le faire. Aussi l'atmosphère se divisa rapidement entre l'irritation chez les jeunes, et la bonne humeur des adultes.

Lorsqu'un téléphone vibra bruyamment, tout le monde se tourna vers Gatien. Celui-ci se leva, aussi gêné qu'heureux d'être enfin débarrassé de sa voisine, et s'apprêta à quitter la pièce lorsque le nom du communiquant s'afficha sur l'écran. Les sourcils durs, le visage contracté, le jeune homme lança un regard lourd de sens à Monsieur Illys dont la mine fière se décomposa aussitôt. Et alors qu'un silence embarrassant s'installait, l'adolescent prit l'appel en s'éloignant.

- Je veux pas te parler !... Fous-moi la paix ! put capter Fanny en tendant discrètement l'oreille, avant que le garçon ne raccroche précipitamment.

L'ambiance qui suivit le retour de Gatien était digne d'un enterrement, non d'une fête de Noël... Au moment de partir, les Illys regardaient presque leurs chaussures. Et alors que le père avait perdu sa joie de vivre, le fils montrait une colère et un mépris glacials. Il négligea ouvertement Pia, mais ne put exprimer sa colère devant le regard bienveillant de Fanny, et réussit même un sourire avant de s'en aller.

Lorsque la porte se referma, les Lans gardèrent leur position. Le trouble freinait encore leurs gestes et ils se regardaient, interdits.

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