Chapitre 26

4 minutes de lecture

- Maman, tu ne saurais pas où se trouve le petit Jésus ?

Les cheveux ébouriffés, Madame Rita-Lans se démenait pour faire tenir le sapin de Noël dans son pied. Exaspérée, elle fulminait lorsque Fanny l'interpella. Levant la tête vers sa fille, la confusion se lisait désormais sur son visage.

- Le quoi ?

L'adolescente sourit, mal à l'aise. Jetant un œil à la crèche qu'elle confectionnait, elle sentit son cœur battre plus vite sous le regard suffisant de sa mère. Madame Rita-Lans, dont les lèvres formaient un horrible rictus, rapporta son attention à l'arbre.

- Tu n'as qu'à demander à ton père… C'est lui l'évangéliste de la maison !

Préférant ne rien répondre à cela, Fanny se tourna vers le canapé où sommeillait le paternel. Monsieur Lans, avachi contre le sofa, ouvrait la bouche en sifflant. Les yeux clos, le quinquagénaire avait l'air d'un vieil homme. Les rides creusaient son visage et les cheveux blancs remplaçaient la grisaille d'un crâne dénudé.

- Papa ? commença l'adolescente, gênée d'attenter au repos du géniteur.

Sourd à toute chose, Monsieur Lans n'entendit sûrement pas la timorée Fanny. Au contraire, sa respiration s'intensifia sous le timbre berçant de la jeune fille.

Cette dernière s'approcha et tira une manche de son pull "cerfs et étoiles", puis le secoua par les épaules devant son état comateux. Poussant un ronflement bruyant, Monsieur Lans se réveilla, la tête lourde, vision troublée. Attendant que les images reprennent forme, il fixa - plus ou moins - Fanny avec hébétude.

- Et bien, Fanny, qu'est-ce qui t'arrive ? demanda-t-il en baillant.

Celle-ci formula sa recherche sur un ton plus naturel que celui dont elle avait usé avec sa mère. Monsieur Lans, pieux par nature, se leva pour faire l'inventaire des cartons de célébration sans paraître ennuyé. L'adolescente, qui le guettait depuis le divan, ne pouvait l'aider dans les circonstances actuelles, car Pia fouinait aussi dans les emballages, à la recherche de boules et guirlandes pour le sapin.

Le rituel voulait que toute la famille participe à ce moment "convivial". Ainsi, les deux sœurs devaient collaborer pour préparer une fête qui n'en serait pas vraiment une. La cadette prenait garde à ne pas se préoccuper de son aînée, tandis que Fanny ne pouvait s'empêcher des regards rapides en sa direction.

Au moment où Monsieur Lans extirpait le Saint-Esprit de son papier bulle, Madame Rita-Lans échappa une exclamation qui surprit tout le monde. L'arbre ne vacillait plus. En revanche, les cheveux courts de la mère de famille étaient couverts d'épines. L'air triomphant, elle posa les mains sur ses hanches et examina ses proches, essoufflée.

- J'ai fais ma part du boulot, à vous de jouer maintenant ! fit-elle dans un geste désinvolte, mais le visage satisfait.

Fanny remercia son père en recevant la figurine, et la plaça auprès des autres personnages. La crèche était magnifique. Le papier roche entourait la petite étable comme une montagne protectrice et rendait la scène plus intime que jamais. Bœuf et âne patientaient sur un sol empaillé. Marie et Joseph, au premier plan, entouraient le nouveau-né dans un sourire attendrissant.

Comme la jeune fille enviait ce bébé : inattendu, mais aimé sans réserve ! Elle pouvait admirer pendant des heures ces visages joyeux et affectueux, et jalousait le garçonnet - pourtant né dans des conditions moins agréables qu'à l'hôpital -, puis s'en repentait. C'était la foi de son père qui donnait un sens à son existence. L'espoir de lendemains meilleurs nourrissait son quotidien, et elle s'émerveillait devant tout ce qui pouvait égayer sa vie. Des choses que la plupart des gens n'aurait même pas remarqué.

L'adolescente alluma quelques bougies pour appuyer le décor lorsque sa mère, qui était allée répondre à un coup de fil, revint dans la pièce, haletante.

- Thomas, tu dois immédiatement aller faire les courses ! s'exclama-t-elle.

Monsieur Lans, perplexe, dévisagea son épouse.

- Faire les courses ? fit-il, l'air abruti.

Madame Rita-Lans lui tendit une liste qu'elle avait rédigée à la hâte.

- Oui. Les Illys passent le réveillon chez nous, et on se fait toujours steak frites le soir de Noël ! Autant te dire qu'on a pas grand chose dans le congélo…

Au nom de "Illys", Pia, qui faisait de son mieux pour accrocher l'étoile au sommet de l'arbre, manqua de tomber de sa chaise. Blanche comme un linge, elle se désintéressa de l'objet pour assimiler les paroles de sa mère.

"Gatien Illys ? Ici ?!"

Les joues brûlantes, elle se reprit bien vite lorsqu'elle pensa à Fanny, et une immense tristesse remplaça la peur et l'excitation premières. Mais peut-être avait-elle faux sur toute la ligne ? Peut-être que Gatien avait vraiment aidé sa sœur par pur héroïsme. Que la rougeur qu'elle avait perçue sur son visage quand elle avait évoquée l'incident ne méritait pas ses terribles suppositions. Il était d'ailleurs plus probable que Gatien n'éprouve rien pour Fanny que l'inverse… Et pourtant…

Incapable de ne pas connaître les sentiments de son aînée à ce sujet, Pia la considéra d'un œil critique. L'autre jeune fille, qui avait à peine entendu l'information, était retournée à la contemplation de sa crèche stupide. Pia, reflet de sa mère à bien des égards, avait peu d'estime pour les choses supra-rationnelles, et estima la dévote avec condescendance.

- Pourquoi les Illys viennent manger à la maison ? lança-t-elle d'une voix chevrotante.

Madame Rita-Lans se retint de faire la moue.

- Parce que j'ai eu Alan au téléphone et que le sujet est venu sur la table, répondit-elle d'un air qui faisait de Monsieur Illys le fautif de l'affaire. Bon, Thomas, tu y vas, oui ? Le magasin ferme bientôt et on a plein de choses à préparer maintenant !

Monsieur Lans, légèrement dépassé, se précipita dans l'entrée pour prendre son manteau et ses chaussures, et quitta le domicile alors que Madame Rita-Lans s'affairait à débarrasser le salon.

- Non ! piailla Fanny en protégeant son œuvre lorsque sa mère s'en approcha dangereusement.

- Pas de signe ostentatoire en présence d'invités ! s'énerva Madame Rita-Lans - qui cherchait néanmoins à tempérer son humeur depuis qu'elle avait trouvé sa fille avec un couteau à la main.

Pressée, la matriarche souffla les bougies, démolit la crèche d'un revers de main, et ramena les affaires dans un carton. Le cœur brisé, Fanny jugeait les restes de son ouvrage comme trop souvent sa vie…

Une ruine.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 14 versions.

Vous aimez lire Rachelsans2LE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0