Chapitre 21

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Quand le mois de décembre s'ouvre au monde, on ressent toute la plénitude d'une nature sans vie. Les animaux sont terrés dans leur foyer, les arbres, dévêtus, s'agitent pour ne pas avoir froid, et le silence rythme une saison somnolente. Les grands-parents se tapissent au coin du feu pendant que les enfants sortent la luge. Les parents préparent le chocolat chaud lorsqu'un souffle glacé s'immisce dans la maison. Et les adolescents quittent moins souvent le foyer familial.

Résultat, cette saison était la préférée de Fanny. La jeune fille marchait dans la neige compacte dans un sentiment de calme absolu. Puisque la terre s'était recouverte d'un grand manteau blanc, elle était décidée à profiter de cette beauté immaculée avant que les 'beaux jours" ne reviennent, et marchait sans se plaindre. Ses genoux se noyaient dans l'accumulation nerveuse des flocons, ses gants ne recouvraient pas le bout de ses doigts bleutés, et son large bonnet s'arrêtait au niveau des yeux. L'adolescente portait un manteau gris à capuche fourrée et de petites bottines ajustées à ses pieds. Elle se tenait les bras dans un geste naturel, et soufflait précipitamment face à l'air frissonnant. Elle était seule. Mais ne rencontre-t-on pas toujours la mort sans compagnon ?

À l'orée de grands arbres, Fanny remarqua une forme de vie nouvelle. Un renard - le parc animalier en avait quelques uns -, autrefois vêtu d'un somptueux habit roux, avait changé sa robe estivale pour un doux pelage blanc. L'atmosphère feutrée fit trembler la jeune fille. La bête plongea son regard abyssal dans ses prunelles interdites, puis retourna dans les tréfonds du petit bois austère. Respirant profondément, Fanny reprit son chemin sans plus attendre et atteignit bientôt une petite plaine sans passants. Comme cela était bon. Laisser le vent glacial emplir vos narines, fermer les yeux devant la magie d'un tel lieu, vous sentir plus vivant que jamais.

L'adolescente ouvrit les bras, contemplative. Éclatante, elle inspirait l'amour et la chasteté telle la Vierge Marie, en l'ignorant parfaitement. Dans un sursaut, elle comprit assez vite qu'elle n'était plus seule. Un jeune homme, "tapi dans l'ombre", l'observait, bouche ouverte.

- Pardon, je ne voulais pas te déranger ! s'excusa le garçon en tendant les bras devant lui, comme pour installer une barrière.

Les yeux de Fanny étaient deux fois plus grands que la normale, mais, en cet instant, devaient l'être quatre fois plus.

- Je m'appelle Luc, reprit-il en offrant une main bienveillante à la jeune fille. Je pensais être seul. Il y a si peu de gens qui se promènent en ce moment…

L'adolescente observa la main, grande et musclée, de l'inconnu. Hésitant, elle finit par la serrer dans un geste courtois, sans se sentir très à l'aise. Sa menotte était si ridicule dans cette poignée chaude et vive.

Le garçon souriait agréablement. Gardant précieusement la main de la jeune fille, il semblait attendre quelque chose de sa part. Sourcillant, Fanny saisit enfin la recherche de sa nouvelle connaissance. Etonnée qu'il ne l'ait pas reconnue, elle sourit.

- Moi c'est Fanny, fit-elle poliment. Et je pensais aussi être seule.

Luc fut incapable de cacher son contentement, et proposa bientôt à l'adolescente de poursuivre la route ensemble. Dans un cas semblable, reconnaissons que la plupart d'entre nous partirait en courant. Mais Fanny, dans sa naïveté habituelle, accepta sans presque hésiter.

- Tu veux mon écharpe ? demanda Luc en voyant la jeune fille trembler compulsivement.

Fanny secoua la tête en remerciant timidement le garçon. Ce dernier, sans prendre en considération le refus de sa compagne, ôta son vêtement et en entoura sa gorge frémissante. Incapable de lui rendre l'écharpe qui la réchauffait déjà, Fanny rougit un peu devant la gentillesse du jeune homme, et respira l'odeur subtile du tissu. Posant ses mains gantées sur l'écharpe, elle enfouit son nez à l'intérieur et ferma les yeux un court instant. Oubliant presque le propriétaire originel du vêtement, elle fut étonnée d'entendre son nom, et releva sa tête en haussant un sourcil. Luc, amusé, semblait apprécier la rencontre que le destin avait placée sur son chemin.

Grand, brun et le regard joyeux, Luc avait toujours le sourire aux lèvres, au point que cela en devenait troublant. Ses yeux noisettes exhalaient quelque chose de malicieux, et sa démarche, bien qu'un peu gauche, le rendait amical. Fanny ne le craignait pas. Non parce que son innocence l'obligeait à n'en parler qu'en termes distingués, mais parce que le jeune homme dégageait une vraie chaleur à laquelle aucun d'entre nous n'aurait résisté. Il n'était pas le plus beau garçon du monde, mais Fanny n'en avait que faire. De toute façon, il ne pourrait jamais exister personne plus repoussante qu'elle.

Les adolescents discutèrent sans voir le temps passer. La jeune fille apprit que Luc était en terminale à Marie Curie, mais dans la série scientifique. Il était arrivé en ville en juillet et passait sa première année au lycée. Et malgré leurs goûts différents en matière de disciplines scolaires, leurs idées étaient si proches qu'ils s'apprécièrent rapidement et convinrent de se revoir. Fanny se dit qu'elle n'avait jamais autant ri de sa vie, et son camarade se fit un plaisir de la raccompagner jusqu'à sa porte.

Quand Madame Rita-Lans jeta un œil par la fenêtre de la cuisine, elle découvrit les lycéens sur leur portable, échangeant leurs numéros et se quittant dans un geste rassurant. Alors que sa fille restait sur le palier à attendre que l'étranger s'en aille définitivement, Madame Rita-Lans la vit enfin rentrer, souriante, et légèrement lunaire.

Saisissant le regard interrogateur de sa mère, Fanny rougit, et se dévêtit sans un mot.

- Qu'est-ce que c'est que ça ? fit Madame Rita-Lans dans un geste autoritaire.

L'aînée des enfants Lans suivit le regard de sa mère, posée sur l'écharpe qu'elle avait oublié de rendre à Luc, et bégaya.

- C'est au garçon que j'ai rencontré en me promenant. J'avais très froid, alors il me l'a proposée et j'ai accepté en oubliant de la lui remettre…

- Hmm, fit sa mère dans un regard brillant mais qu'elle souhaitait sévère. Je t'ai toujours dit ne pas parler aux inconnus, et toi, tu vas jusqu'à prendre leurs vêtements !

Fanny ouvrit la bouche sans savoir quoi dire. Enfin, sa mère soupira et lui proposa de monter dans sa chambre jusqu'à ce que le diner soit prêt. Obéissante, l'adolescente prit l'escalier tandis que Madame Rita-Lans se détournait dans un sourire.

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