Chapitre 17

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- Comment ça : "il te faut un nouveau portable" ?

Madame Rita-Lans posait les mains sur ses hanches. Le regard sévère, elle jugeait Fanny d'un œil critique.

- Euh... Oui. J'ai fais tomber le mien et il est tout cassé... Enfin... Il ne fonctionne plus...

Le silence qui suivit ses mots donna le tournis à l'adolescente. Si sa mère avait agi comme la plupart des gens, elle se serait contentée de savoir ce qui s'était passé. Au lieu de ça, Madame Rita-Lans restait froide, distante, et peu intéressée par le téléphone, en vérité. Ses grands yeux dévisageaient Fanny à la recherche d'un indice, mais ses lèvres refusaient d'en savoir plus.

- Ce portable a trois mois ! tempêta la mère de famille, exacerbée par le mensonge évident de sa fille. Tu l'as reçu pour la rentrée des classes, et tu n'as pas été capable d'en prendre soin ?!

Fanny se taisait. L'humiliation était trop grande pour tout avouer à sa mère. Le regard rivé au sol, l'adolescente souffrait de la situation. Coupable d'être victime, son visage n'exprimait que tristesse et détresse.

- Je suis désolée, couina-t-elle enfin, désemparée.

Madame Rita-Lans se balançait de gauche à droite. Incapables de rester tranquilles, ses pieds dansaient dans une attitude nerveuse.

- Tu n'as qu'à voir ça avec ton père, fit-elle dans un geste faussement ennuyé.

Fanny bégaya quelques mots reconnaissants, puis, dans une quasi révérence, se retira. Ces mots, Madame Rita-Lans ne les considéra pas. Tournant le dos à la jeune fille, une pensée l'obsédait. Ses mains frottaient ses bras. Elle se grattait la tête, rongeait ses ongles et concevait des solutions sans suite.

Pourquoi, oh pourquoi Fanny était-elle Fanny ? Les compliments sur son physique ne pleuvaient-ils pas encore sur Madame Rita-Lans ? Grand et ténébreux, Thomas Lans n'avait-il pas tout de suite séduit Céline Rita ? Leur autre fille n'était-elle pas un joyau de la nature ?

Nature, pourquoi offrir pareille progéniture à une mère résignée ? Aimes-tu donc tant accabler les gens ? Est-ce un défi que tu leur sers ?

Comme on s'y attendait, Monsieur Lans promit de se rendre au magasin le jour suivant pour acheter un nouveau téléphone à Fanny. Mais, contrairement à son épouse, il ne se préoccupa pas de savoir pourquoi.

- Tu es vraiment pourrie gâtée ! avait sorti Madame Rita-Lans au bruit de la nouvelle. Tu peux remercier le ciel d'avoir des parents aussi complaisants ! Tout le monde n'a pas cette chance...

Sans en dire davantage, la mère de famille s'était remise aux fourneaux, la pizza surgelée dégageant une odeur de brûlé.

Fanny retrouva sa chambre en soupirant. Sans avoir le véritable assentiment de sa mère, elle regagnait tout de même un portable. Tombant sur le lit, elle scruta le plafond dans une pose d'étoile de mer- le genre de pose qu'une personne normale n'accomplirait pas sur un lit simple, mais que Fanny, si fine, exécutait sans problème.

Alors qu'elle pensait au devoir de philosophie qu'elle devait rendre, la jeune fille ferma les yeux, souffla profondément, et prit place à son bureau où patientait l'ordinateur. Elle alluma le PC, puis se rendit nonchalamment sur les réseaux sociaux, comme il était de coutume avant tout contrôle d'importance. Fanny s'arrêta sur sa page Instagram où son nombre d'abonnés se limitait à deux personnes (Pia et Amandine), et haussa les sourcils quand le bruit d'un message lui parvint. Ouvrant la boite de conversation, sa surprise s'intensifia lorsqu'un dénommé "Anonyme" lui proposa de cliquer sur un lien la dirigeant vers une autre page. L'adolescente s'exécuta, et bientôt, son cœur cessa de battre.

Une vidéo la présentait, tête appuyée dans les toilettes par une Mathilde hilare. Le téléphone qui avait filmé la scène était secoué par les rires des deux autres filles. Déchainé, se mourant, le corps de Fanny s'agitait pitoyablement. La vidéo, postée sur un compte sans nom, était en ligne depuis près de deux heures et avait fait plus d'un millier de vues. Horrifiée, Fanny s'écroula contre le dossier de sa chaise.

"Non, ce n'est pas possible..."

Les commentaires allaient bon train. Les smileys rieurs s'accumulaient et le sadisme rythmait les conversations. Désespérée, Fanny cherchait les gens qui la défendaient, sans que leur nombre ne dépasse celui des doigts d'une main. Les mots : "Ah, c'est pas trop tôt ! Je l'attendais cette vidéo !" ou "C'est con, vous auriez du continuer encore un peu ! Vous y étiez presque !" étaient les plus fréquents. Certaines personnes, extérieures au lycée, s'amusaient de voir la scène dont ils n'avaient jamais entendu parler. "C'est la fille super moche dont tout le monde parle ? Dommage qu'on ait pas un aperçu de sa tête, placée comme ça dans les chiottes..." D'autres personnes partageaient des images comiques pour exprimer leur réaction. La story du compte sans nom diffusait aussi la vidéo en mode public. Fanny était risible. On parodiait le contenu. Queue de cochon, pétards festifs, l'adolescente était servie.

Vacillante, la victime glissa sur le sol, et s'effondra. Ses pleurs, étouffés contre ses genoux, se déversaient sans fin. Pia avait-elle vu la vidéo ? Pas encore, sinon, elle lui en aurait parlé. Mais ce n'était qu'une question de temps avant que la maison entière soit au courant.

Au bout d'un moment, Fanny se leva, inconsciente, et regarda par la fenêtre. La hauteur qui la séparait du jardin n'était pas suffisante pour réussir à faire autre chose que se blesser. Contrariée, la jeune fille prit les escaliers et entra dans la cuisine. Madame Rita-Lans avait sorti la pizza du four et tenait une conversation téléphonique sur la terrasse. Monsieur Lans regardait la télévision dans le salon. Et Pia faisait certainement ses devoirs, coupant toute interaction avec le monde extérieur, en élève sérieuse qu'elle était. L'adolescente se dirigea vers l'un des tiroirs. Madame Rita-Lans avait toujours voué une passion aux couteaux de cuisine. Pour une fois, Fanny trouva un intérêt à ces achats dispendieux. Saisissant le couvert qui lui semblait le plus tranchant, l'adolescente observa la lame avec fascination.

Il y a des moments, dans la vie, où l'on ne réfléchit plus. On agit, et puis c'est tout. Fanny en était là. Seule dans la cuisine vieillissante, elle plaça le couteau devant elle. Ses doigts se raffermir autour du manche, ses lèvres tremblèrent, et elle ferma les yeux, pour ne plus rien sentir...

Jamais.

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