Chapitre 4

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- En retard ?... Tu dois être Fanny Rita-Lans.

Le professeur de philosophie scruta Fanny. La jeune fille, essoufflée, eut peine à lui répondre.

- Oui. Je suis... Je suis désolée, Monsieur.

La porte grand ouverte, les élèves chuchotaient, tandis que le précepteur priait pour que la journée se finisse au plus vite, avant même qu'elle ait réellement commencé.

- Va t'asseoir, fit-il, épuisé.

Obéissante, Fanny ne chercha pas de place particulière, dans l'espoir de ne pas énerver davantage son enseignant, et s'assit près de la porte. Seule, elle n'avait aucun moyen de laisser son esprit vagabonder par quelque fenêtre, son mur en étant dépourvu. Ce fut donc le menton dans les mains qu'elle s'oublia totalement. Quand elle revenait à elle, elle pouvait prendre des notes sur la leçon du jour, mais finissait inévitablement par replonger dans les songes les plus profonds.

- Fanny ! tonna soudain le professeur, obligeant la jeune fille à quitter sa rêverie pour subir son courroux. Peux-tu me dire en quoi consiste la notion du Beau pour Kant ?

Le cœur battant, l'interpellée regarda son maître, inflexible, tel un petit animal piégé.

- Je, je...

- Réfléchis bien à ce que tu vas répondre, maugréa l'enseignant.

Alors que les doigts se levaient peu à peu dans la classe, Monsieur Chassel les arrêtait tous d'un geste sans cesser de regarder la jeune fille. À moitié assis sur son bureau, il attendait, les mains croisées sur une jambe, dans une pose semblable à celle des sculptures grecques antiques.

Fanny ignorait tout de ce Kant et de sa conception du Beau. Aussi chercha-t-elle quelques têtes compatissantes pour lire la réponse sur leurs lèvres. En vain. Elle n'avait presque rien écouté du cours et en subissait désormais les conséquences.

- Je n'en sais rien, Monsieur, dut-elle avouer sans que cela surprenne qui que ce soit.

- Vraiment ? lança le professeur en feignant l'étonnement. Moi qui croyais avoir affaire à l'idéal de l'attention et de l'investissement, je suis déçu.

Un rire sonore s'éleva parmi les élèves.

- Kant, reprit l'instructeur avec agacement, dit que le beau ne doit pas être associé à la notion de goût, car le goût a une valeur universelle alors que le beau est désintéressé. Autrement dit, une œuvre peut-être considérée comme belle si elle plaît à son observateur. Mais si l'observateur s'en tient à ce que les autres pensent de l'œuvre pour la juger, celle-ci ne peut-être belle.

Monsieur Chassel toisa Fanny.

- Sans goût et sans beauté, certaines œuvres tombent facilement dans l'oubli, ajouta-t-il dans un sourire narquois.

Dévastée, humiliée, Fanny passa les dix dernières minutes du cours à ruminer ses idées noires. Tentant tant bien que mal de prendre des notes jusqu'au bout, son stylo vacilla plusieurs fois entre ses doigts, et ses feuilles, déchirées à certains endroits, étaient toutes froissées.

En quittant la salle de classe, la jeune fille essuya la morve qui coulait sur ses lèvres, et put pleurer à loisir dans une cabine des toilettes. Le reste de la matinée se passa sans aléas notable, mais Fanny ne pensa plus qu'aux mots sarcastiques de son professeur de philosophie. Quant à l'après-midi, il fut probablement pire que le matin. La professeur d'espagnol obligea les élèves à s'asseoir par ordre alphabétique, et Fanny passa deux heures abominables en compagnie de Mathilde Randome qui usa de toute son imagination pour lui trouver les plus horribles surnoms qui soient. Jetant des coups d'œil entendus à Sophie Calice qui se retournait régulièrement vers leur table en souriant, Mathilde caricaturait sa voisine sous tous les angles : démoralisée, au fond du gouffre, ou prête à se jeter du haut d'un toit. L'imitation d'une Fanny suicidaire était particulièrement divertissante aux yeux de la bande de Mathilde, ce qui entraîna celle-ci à reproduire la scène une bonne vingtaine de fois.

" Écartez-vous, voilà la lépreuse ! " entendit même Fanny lorsque la dernière heure sonna et qu'elle passa la porte de la pièce.

La jeune fille n'avait aucune larme à verser quand elle remonta dans la voiture de sa mère. D'ailleurs, qui l'aurait consolée ? Éreintée, elle n'avait plus qu'une envie : rentrer chez elle. Loin d'être aussi sombre, Pia incarnait la joie en prenant place sur l'un des sièges arrière. Et alors qu'elle décrivait la charmante journée qu'elle avait passée - les amis qu'elle s'était fait et ses retrouvailles avec Gatien Illys -, Fanny fermait les yeux, bercée par le doux ronronnement du moteur.

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