31 - Souvenirs de sang

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44ième jour de la saison du sapin 2448 - PDV Azéna

Azéna se précipita au travers de l'académie. Il n'y avait pas beaucoup d'apprentis de sortis à cette heure. En fait, elle fut surprise de ne pas avoir aperçu Fayne et Teriondil dans la salle commune; ils étaient sûrement à la bibliothèque ou à l'extérieur avec leurs dragons. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'être excitée à l'idée de discuter avec un dragon qui avait été tué plusieurs années passées. Maintenant, elle comprenait pourquoi on connaissait cette plume par son pouvoir de communication et de connaissance. Le dragon avait déjà participé à l'ascension d'un ou de plusieurs jeunes dragonniers de son temps. C'est donc pourquoi il connaissait les réponses à toutes les questions.

« Je vais me ramasser avec les meilleurs notes de la classe, songea Azéna. »

« Ce n'est nullement la raison pourquoi je t'ai contacté, rétorqua le dragon. Je ne suis pas un simple objet qu'on peut ingratement utiliser de la sorte. »

Azéna sentit son estomac se nouer. Elle oubliait que ce dragon lui lisait les pensées et il fallait qu'elle s'avère prudente pour ne pas provoquer sa colère.

« Rahh... D'accord, d'accord. Excuse-moi. Ce n'est pas ce que je voulais dire. »

Elle crut entendre un grognement presque inaudible, mais mis à part cela, le dragon resta silencieux. Continuant son chemin, elle se faufila de corridor en corridor, glissant en tournant les croches trop abruptement.

« Pourquoi m'as-tu contacté? osa-t-elle lui demander. Tu acceptes mes excuses au moins? »

Aucune réponse ne lui accordée. Frustrée, elle tourna un angle et aperçut Gragèn qui était tenu au collet par Serfantor. Elle stoppa sa course nette et avec discrétion, elle se cacha et écouta.

« Comment a-t-il été libéré si rapidement de l'infirmerie? se demanda Azéna. Ça fait à peine une demi-heure qu'on est sortie du donjon. Un nez cassé, ça ne se guérit pas si aisément. »

« Si le guérisseur est moindrement compétent, il lui a tout simplement recollé les os à l'aide d'une magie ou élément quelconque, expliqua le dragon. »

Intéressée par les deux garçons, Azéna ne répondit pas et écouta la conversation. Le ton de voix de Serfantor commençait à monter.

- Qu'est-ce qui s'est passé? demanda l'elfe gris avec colère.

- Ce n'est pas de ma faute, répondit Gragèn en haletant. Elle m'a été enlevée.

- Par qui? Qui l'a prise?

- Je ne te dirai pas si c'est pour sauver quelqu'un de ton sale caractère.

- J'ai été clément. Très clément. Tu ne voudrais pas que je perde patience, n'est-ce pas?

- Non, répondit Gragèn d'une voix tremblante.

- Alors, parles.

Azéna entendit des toussotements et devina que Serfantor devait avoir délivré Gragèn de son emprise.

- C'est Azéna qui l'a volée, finit par révéler Gragèn.

À cet instant, Azéna eut l'envie de tabasser Gragèn et de botter le postérieur de Serfantor, mais elle ne désirait pas prendre le risque de perdre la plume. Du moins, pas avant d'avoir recueilli plus d'information à propos de ce dragon qui habitait en elle.

- La fille têtue en première année à la chevelure argentée? questionna Serfantor.

Gragèn poussa un murmure incompréhensible.

- Bon garçon, continua l'elfe gris qui semblait maintenant satisfait. Je ne te dérangerai plus jamais sauf si quelque chose ne va pas dans mes projets.

- Que pourrait-il arrivé? demanda nerveusement le roux.

- Tu pourrais m'avoir mentis, répliqua sèchement Serfantor.

- Je t'assure que non.

- J'espère pour toi que tu vas bien aller. Je ne veux pas devoir utiliser les grands moyens, si tu me comprends bien.

- Tu es très compréhensible, très clair. Mais, si je peux me le permettre, pourrais-je savoir ce que tu vas faire subir à Azéna?

- Discuter, tout simplement, dit l'elfe sur un ton qui était étrangement serein. Après, on verra si elle est assez intelligente pour négocier. Maintenant, sors de mon champ de vision.

Incapable de se retenir plus longtemps, Azéna jeta un coup d'oeil en direction des deux garçons. Gragèn était immobile et Serfantor semblait attendre que le roux décide de partir.

« Il a peur, songea Azéna avec rage. Merde, que Serfantor lui foute la paix. »

« Ne réagit pas, lui ordonna le dragon. Ton but est de trouver un endroit tranquil auquel nous puissions discuter. »

Azéna fusilla Serfantor du regard.

« L'espèce de... »

« Allez! rugit le dragon. Vas y. »

Azéna se faufila derrière Serfantor en espérant qu'il ne la remarque pas. Marchant lentement et aussi légèrement que possible, elle craignait quand-même de ne pas échapper à ses yeux vigilants. Elle fit signe à Gragèn qui l'aperçut de l'ignorer ce que le roux obéit du mieux qu'il put.

- Qu'est-ce que tu attends? grogna Serfantor. Je t'ai dit de partir.

- Désolé, répondit Gragèn en tournant les talons.

Il hésita, puis il continua son chemin.

- Arrête de t'excuser et travail sur ton courage, conseilla Serfantor. Cette vie n'est jamais facile.

L'elfe gris disparut à l'angle d'où Azéna provenait. L'adolescente avait eu beaucoup de chance. Pourtant, elle se demandait ce que signifiait le dernier dialogue de Serfantor. Pourquoi essaierait-il d'encourager Gragen à se perfectionner lui-même?

« Ce sont des questions pour le future, dit le dragon dont la voix résonna dans son esprit. Maintenant, concentre-toi sur ton présent. Le bambin à la fourrure rouge sera sauf pour le moment. »

Azéna rigola intérieurement à cette description de Gragèn et se dirigea vers la salle aux deux bassins, l'endroit où les élèves et le personnel se lavaient, qu'on appelait aussi tout simplement les bains publiques. Elle poussa la lourde porte en bois, entra et la referma derrière elle. Elle se retrouva dans une salle assez grande pour y accueillir confortablement environs trente personnes. Celle-ci était divisée en deux de façon à ce que les sexes soient séparés. De chaque côté, il y avait un bassin remplis d'eau et une statue de dragon en son centre. Une douce et petite chute d'eau s'écoulait de la bouche des dragons en pierre polie. Ces écoulements étaient connectées à un système de circulation qui permettait d'empêcher l'eau de devenir stagnant. Heureusement, Azéna était la seule présente.

« C'est la première fois que me retrouve ici, dit le dragon. »

« À chaque fois, la splendeur des statues m'émerveillent, avoua Azéna. C'est fou comme elles sont authentiques aux vrais dragons de chair. Celle du côté des garçons ressemble à Buhrik. Le décorateur a bien choisi; ça fait bien du sense que les statues seraient des dragons bleus. C'est dommage que Tyrath ne puisse pas venir ici. »

« Je comprend totalement. Maintenant, installe-toi. Le confort est important pour une longue conversation. »

Azéna jeta un coup d'œil inquiet derrière elle. Elle craignait qu'on la découvre, que Serfantor la trouve. Un déluge d'images des possibilités de ce qui pouvait se passer s'il la trouvait lui traversa l'esprit. Dans un sens, elle n'avait pas peur de ce malfrat mais, d'un autre côté, elle savait qu'il était sûrement beaucoup plus expérimenté et fort qu'elle. De plus, son dragon noir était effrayant, repoussant et semblait inspirait le mal. C'était le jugé par contre, car tous les siens donnaient cet impression mais, c'était difficile de faire autrement sous ce stresse.

« Ne t'inquiète pas, rassura le dragon. C'est l'heure des cours. Il est en classe. »

« Tu as raison, répliqua Azéna. Il est en classe d'après-midi... C'est surement pour cela qu'il a laissé Gragèn partir si aisément. »

Finalement, elle laissa l'elfe gris de côté et se dirigea vers le bassin des filles. Elle se défit de ses bottes et de ses bas, trempa son pied dans l'eau dont la chaleur la réconforta grandement. Satisfaite de la température, elle se permit enfin de se déshabiller et laissa l'eau la submerger jusqu'aux épaules. La plume était toujours dans la poche de ses vêtements. Il était inutile de l'exposer puisque le dragon pouvait communiquer avec elle par télépathie.

« Alors, qui es-tu? Je sais que tu es un dragon, mais rien de plus. »

« Je suis Turion du clan Thraluan, mais pour ceux qui ne connaisse pas ma véritable identité, on m'appelle l'Œil du Savoir. »

Azéna resta bouche-bée pendant plusieurs secondes qui lui parut comme des heures. Durant cet épisode d'abasourdissement, son monde cessa de tourner alors qu'elle réalisait lentement qu'elle s'adressait au légendaire Turionthraluan du vol draconique violet. Au début, elle ressentit un stresse immense qui évolua en ravissement. Elle eut l'envi soudain de hurler comme une hystérique. Au lieu, elle se contente de laisser son corps trembler légèrement.

« Un peu de calme, s'ordonna-t-elle avant d'accorder la parole à Turion. Alors, tu es le dragon qui a signé le pacte au nom de toutes les vols draconiques! Plusieurs pensent que tu n'es qu'une simple plume enchantée, mais tu es grandiose. »

« C'est normal car, je me suis arrangé pour qu'on pense cela. »

« Une façade... Je le savais qu'il y avait quelque chose dans tout ça qui était bizarre. J'avais raison pour une fois. Mais... Pourquoi tu me dis ça à moi? Et, pourquoi caches-tu ton identité? Pourquoi es-tu scellé dans une plume? Un être, une âme, est dans un corps physique normalement. »

« Ah... C'est une longue histoire, répondit Turion sur un ton rêveur. Je suis prêts à la partager avec toi, si tu m'accorde cet honneur. »

« Quelle question, répliqua Azéna avec sarcasme. Putain, c'est évident que je veux l'entendre »

Complètement émoustillée, Azéna sentait son coeur qui bondissait dans sa poitrine et depuis longtemps, elle se sentait comme une enfant qui pataugeait dans le bonheur. Elle se mit à balancer ses pieds d'avant en arrière comme si elle était sur une balançoir.

« J'y vais, avertit Turion. »

Azéna sentit une présence pénétrer dans sa chair, dans son sang puis, dans son esprit. Sa première réaction fut la panique. Son intimité, son corps, toute sa personne était partagée avec quelqu'un d'autre. Son cœur se mit à battre follement. Elle résista et se battit, mais l'esprit de Turion était plus fort. Son stresse diminua malgré sa lutte. Enfin, ses muscles se détendirent.

Après quelques instants, elle fut totalement calmée. Elle baissa la tête et fixa son reflet avec étonnement. Ses yeux ainsi que ses cheveux partageaient la même teinte que la plume, soit un violet doux.

« Qu'est-ce qui se passe? demanda-t-elle, confuse et mal à l'aise avec ces changements inattendus. Dans une situation pareille, normalement, je serai au bord de la folie. Pourquoi mon corps et mon esprit sont-ils coincé dans un calme qui me paraît si superficiel? »

« J'ai calmé ton corps et j'ai fait ce que j'ai pu pour apaiser ton esprit, répondit Turion. Tu dois descendre en reddition complète si tu désires que je te montre mon histoire. »

« C'est très difficile pour moi, dit-elle avec légère irritation. Tu ne peux rien faire de plus? Toi, le tout puissant Turion. »

Azéna ne désirait pas insulter le grand wyrm violet, mais par dessus tout, elle répugnait l'idée que quelqu'un d'autre ait le contrôle de son être tout entier.

« J'en suis incapable, dit le wyrm. Je suis impuissant car mes pouvoirs sont limités. Fais-moi confiance. Il y a tant de méfiance dans ton passé ainsi que dans ton présent. Je peux le sentir et je comprends, mais j'ai bien peur de devoir t'en demander trop. Fais-moi confiance, jeune dragonnière. »

« Pourquoi en es-tu incapable? Tu es Turion, le représentant de toutes les vols draconiques. »

« Être scellé dans un objet cause cela, tout simplement. Maintenant, cesse de penser. Vide ton esprit et laisse-moi le contrôle. Tu comprendras assez rapidement pourquoi c'est mieux ainsi. »

L'esprit tourbillonnant d'Azéna était coincé dans le défilement de souvenirs, de questionnements, de situations potentielles, mais surtout de celle courante. C'est comme si son corps et ses sentiments étaient drogués sur des relaxants puissants, mais qu'elle était parfaitement lucides quant à ce qu'elle songeait.

« Toutes tes questions auront des réponses, lui assura Turion. »

« C'est si difficile, se plaignit Azéna. Ma tête refuse de coopérer. C'est comme si c'était du suicide volontaire de faire ce que tu demandes. »

« Ce n'est qu'un mécanisme d'auto-défense. Tu es capable de le contrôler, tu es forte. Vainc toi-même! Évolue et mue! Débarrasse-toi de tes faiblesses, de ces phobies! Elles ne valent rien; elles ne sont que des poids sur ton dos. »

Azéna s'imagina en train de se battre en duel contre une version embrouillée d'elle-même qui représentait son subconscient. Elle refusait de prendre un seul combat et ce, contre n'importe qui. Avec cette motivation et quelques longues minutes à suer toute son énergie, elle put enfin calmer son esprit dans sa totalité.

C'est à ce moment qu'elle sentit son esprit se fusionner avec celui de Turion. Son corps n'était plus qu'un vaisseau physique de deux âmes qui se le partageaient. Une nouvelle dimension envahit ses sens, une certaine puissance ancienne qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant : le pouvoir d'un dragon. Plus que jamais, elle se sentait forte et en confiance. Elle avait la nette sûreté que rien au monde ne pouvait lui faire du mal. Elle était au sommet de la chaîne alimentaire. Elle était un prédateur apex. Ce sentiment était exaltant, presque addictant. Pour un instant, elle perdit presque la vue de sa véritable identité. Puis, elle vacilla encore une fois. Cette-fois, elle s'imaginea déchiqueter ceux qui lui avaient fait du mal, que ce soit physique ou mental, dans son passé.

« Premièrement, ces espèces de vieilles peaux à Nothar qui osaient me juger par la pureté de mon sang et la couleur de mes cheveux, songea Azéna avec sadisme. Ensuite, ma famille adoptive... Particulièrement, Bayrne et Sérus... Oh aussi, peut-être cet espèce de porc qui désirait m'acheter dans ce petit village... Je devrais lui couper les testicules. Puis, à l'académie, il y a tant de choses qui m'énervent... Je pourrai tout simplement rayé ces embarras de ma vie... Maître Ruvior, Vyrius, Maîtresse DarkBlade, Serfantor, même le petit Katanor prétentieux. Je pourrai même forcé Maîtresse Valkirel a me donner une place dans une équipe de skotar... Ça serait facile. Rah, ce ne sont que des insectes. Au lieu, je devrais brûler des royaumes au grand complet et m'enrichir des crânes de mes ennemis. »

À ce moment, la lucidité lui revint alors qu'elle réalisa que les ambitions qui naissaient dans son esprit ne lui ressemblait pas du tout.

« L'esprit humaine est très fragile, expliqua Turion, mais j'étais certain que tu pouvais te conquérir toi-même. Je le répète, tu es forte, jeune dragonnière. Ton coeur est brave. Je n'ai jamais douté de toi et tu es revenue. »

Azéna n'eut pas le temps de questionner les sages paroles du wyrm. Des images se mirent à défiler involontairement dans son esprit. La première chose qu'elle aperçut fut Turion. Le dragon violet se trouvait au bord d'un lac gelé. La glace à sa surface était particulière, trop belle et brillante pour que ce soit naturel. Cette glace était en réalité du cristal. Azéna le reconnue comme étant le lac de Cristal près de l'académie.

La vision de l'adolescente devint légèrement floue et elle réalisa que son esprit turbulent reprenait le dessus. Elle reprit rapidement contrôle de ses pensées. Sa vision s'éclaircit et la tache violette refléter au travers du cristal qu'elle regardait se transforma en tête de dragon. Ce dernier fixa son reflet, celui d'un mâle immense aux majestueuses écailles violettes. Ses deux solides cornes étaient de cristal transparent qui passait de lavande à un violet presque noir. Elles pointaient vers l'avant. L'une d'entre elle avait été coupée et d'elle pendait une corde à laquelle était attachée une améthyste. Plusieurs des mêmes cristaux que ses cornes jaillissaient de son dos. Autour de son cou puissant reposait tranquillement un pendentif soutenu par des billes de jade. Rien qu'en le voyant, Azéna ressentit son pouvoir écrasant, autant physique que émotionnel. Il lui rappelait un moine d'une lignée royale. Les énigmes du monde et le savoir des ères semblaient tourner autour de lui. Ses yeux appartenaient à l'humanité pourtant, son regard était divin. Son cœur était fort et durable; son âme était douce et étrangement attirante. En admiration devant lui, Azéna sentit ses joues rosirent sous l'effet de la gêne. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait comme si elle voulait sincèrement se prosterner. Turion poussa un petit rire amusé. Le Turion physique resta immobile, mais plusieurs saisons passa en arrière-plan comme pour démontrer que le dragon avait été présent pendant longtemps. Puis, les images continuèrent de défiler.

Le Turion physique prit son essor et se dirigea vers le ciel qui était d'un bleu plus pur et beau que tout ce que Azéna n'avait jamais eu la chance de voir. Les nuages, le vent et l'air effleurèrent ses écailles. Les sens de ce wyrm étaient si aiguisés et sensibles qu'elle avait l'impression de n'être qu'un avec tout son environnement. Elle réalisa qu'elle n'était que le spectateur provenant de l'intérieur de l'esprit du dragon. Elle ressentait la source de vie pulsante qui coulait dans chaque oiseau à proximité. Elle resta bouche-bée et en admiration pour l'être merveilleux qu'était ce dragon. Un étrange sentiment s'éprit d'elle alors qu'un oiseau approcha de derrière eux. Vieux, il luttait pour rattraper son vol. Son cœur se faisait faible et la source de vie en lui se faisait mince.

Azéna ressenti une amertume qui lui tirait au cœur. Elle réalisa que la mort était aussi présente dans chaque être, seulement dormante dans les plus forts.

« Je n'en reviens pas, songea-t-elle en faisant référence au Turion du présent. Est-ce que ce dragon c'est toi dans le passé? »

« Exactement, dit Turion. Tu es présentement dans le corps d'un dragon violet. Les autres dragons ne peuvent pas ressentir ce que tu ressens en ce moment. Comme tu le sais peut-être déjà, nous dragons violets contrôlons l'essence de la vie et ainsi, celle de la mort. C'est pour cela que nous nous sentons si connectés à tout ce qui nous entoure. On peut ressentir la vie quitté le corps d'un animal mourant comme on ressent la croissance d'énergie en un humain qui s'éveil à la lumière de l'aube. »

Le Turion physique fit demi-tour et le ciel se transforma. Les nuages devinrent noirs et trop épais pour que les rayons du soleil ne les percent. Même si c'était le jour, on aurait dit que c'était la nuit. Une pluie torride tombait et des éclairs violents frappaient le sol à quelques secondes d'intervalle.

« La vie n'est pas toujours positive, dit Turion avec sévérité. Il faut faire le mieux que l'on peut avec ce qu'on a. »

Le Turion physique atterrit au centre d'un champ de bataille occupés par des mortels, des dragons et des dragonniers. Des barbares presque tous humains tuaient les dragons avec des catapultes, avec des lances géantes qu'ils tiraient ou en les déchirant en lambeaux après les avoir immobilisé à l'aide de filets. Certains dragons étaient seuls comme Turion, alors que d'autres se battaient en équipe avec leur dragonnier. Les dragonniers subirent des morts aussi terribles que leurs dragons. Le sol était trempé par la pluie et par le sang de ceux qui étaient tombés. La musique de la guerre résonnait mais les cris de douleur et d'effroi régnaient. Cette scène abominable déchira l'âme d'Azéna. Jamais elle n'aurait imaginé qu'un tel combat aurait pu avoir lieu.

« C'est ça une guerre? demanda-t-elle malgré qu'elle était consciente la réponse. »

« Non, dit Turion avec rage. C'est une boucherie. Le Sang du Dragon est né pour une seule raison et la voici. Mais, dans la noirceur, il y a toujours une source de lumière. Il suffit de la trouver et parfois, elle se trouve à un endroit où l'on n'aurait jamais imaginé. »

Le Turion physique se battait comme un déchaîné. Azéna sentit son crâne se fendre en deux lorsqu'il poussa son cri de guerre. Même le rugissement de Rendar n'allait même pas à la cheville de ce chant assourdissant. Tout s'arrêta. Le silence prit place. Chaque regard se tourna vers le grand dragon violet. Celui-ci baissa les yeux sur eux de ses trente pieds de haut.

- Ça suffit! dit-il entre ses dents exposés.

Les barbares comprirent alors qu'il s'agissait du chef de leur ennemi et s'élancèrent vers lui en brandissant leurs armes dans les airs. Les autres dragons et leurs dragonniers tentèrent de minimiser la horde qui chargeait vers Turion, mais l'ennemi était trop nombreux.

Le wyrm violet fut submergé par les humanoïdes qui grimpaient sur lui et brisaient ses écailles à coups de haches. Il poussa un deuxième cri, déploya ses ailes et la plupart des barbares furent propulsés au loin comme des vermines. Malgré tout, d'autres vagues vinrent. Turion sentit son énergie qui fuyait lentement son corps. La faiblesse s'en prenait à lui, mais il résistait. Il refusait de mourir et de laisser ses frères et sœurs dragons à la merci de ces fous furieux.

Lorsque son corps défaillit enfin, il tomba lourdement au sol. Sa vision était trop embrouillée par la pluie et le sang pour qu'il y voit clairement. Malgré tout, il aperçut une silhouette devant son visage qui se plaça dos à lui. Le guerrier était minuscule à ses yeux, peut-être six pieds de haut tout au plus. Tout était flou, mais l'homme semblait se battre avec une épée ainsi qu'un bouclier rond de taille moyenne. Il défendait Turion de tout son pouvoir. Sa technique n'était pas la seule chose qui impressionnait le dragon. Il était le seul humanoïde qui démontrait autant de détermination et d'intérêt à l'aider.

Turion fut éprit d'une soudaine attirance pour cette âme. Puis, un second sentiment inattendu envahit son esprit: le désir de tout partager avec le nouveau venu, de devenir son fidèle compagnon, son frère. Une vague de chaleur réchauffa son cœur. Il se sentait chez lui, comme si le chaos du moment n'existait pas. Soudainement, son éternel solitude s'était dissipé, lui accordant une nouvelle vitalité. Ses yeux s'écarquillèrent alors qu'il réalisait ce qui se passait.

- Après tants de saisons... C'est donc ça le sentiment qu'on éprouve lorsqu'on se lie à un humanoïde. Qui es-tu, guerrier?

L'homme se retourna brièvement vers le dragon. Enfin, Turion pouvait le dévisager et s'émerveiller de son dragonnier. Le guerrier possédait une peau blême dont on pouvait décrire la teinte d'opale, un visage creusé par la fatigue comme s'il avait été soumis au combat pendant des jours et une robuste carrure digne d'un survivant de guerre. Ses yeux gris intense scrutaient tous les angles qu'ils le pouvaient et ses longs cheveux rayonnaient d'un blanc de givre. À cet instant, Turion perça au travers de l'âme de l'elfe et y trouva de la peur, de l'amertume, de la déception profonde, mais aussi une détermination et une loyauté puissante. L'elfe fronça les sourcils, hésita, puis il se retourna vers l'avant. Il se préparait à la nouvelle vague de barbares qui approchait.

- Ce n'est pas vraiment important, répliqua l'elfe doucement, mais certain me surnomment le Visionnaire Pâle tandis que d'autres m'appelle tout simplement traître.

- Je dois savoir ton prénom, insista Turion qui ne réalisait pas à quel point il était impoli.

Alors qu'il attendait une réplique, le wyrm se perdit dans ses songes. Un hurlement d'agonie le fit revenir de la réalité. L'elfe venait de se faire poignarder à l'épaule. Celui-ci tomba à genoux en pressant une main sur sa nouvelle blessure. Un barbare plus grand, plus costaud et plus intimidant que ses compagnons se tenait devant lui.

Turion ne pouvait pas voir de qui il s'agissait car sa vision était encore floue, mais il reconnue la double hache de guerre que le barbare tenait d'une main. Il rugit, s'élança vers l'avant impulsivement dans l'espoir de sauver son dragonnier. Dans son élan, la boue et la pluie l'aveugla. La dernière chose qu'il vit fut la hache qui était sur le point de trancher la tête de l'elfe. Il entendit un cri d'effroi puis, il sentit ses crocs et griffes fendre la chair de son ennemi. Du liquide chaud fut éclaboussé dans tous les sens. Il déchiqueta sa victime en lambeaux alors qu'elle hurlait son agonie.

- Je vais me venger! beugla-t-il. Rien ne peut me détruire! Je suis le fils de No...

- Ferme la! hurla Turion.

Le grand wyrm ouvrit les mâchoires puis, les referma sur la tête de l'homme et tira. On entendit un craquement puis, le cadavre sans tête tomba. Turion tira la tête au loin puis, se positionna entre les barbares et son dragonnier qui était étendu sur le sol. Ses dents acérées et parsemées de sang furent révélées alors qu'il grognait avec férocité.

- Partez sbires du Sang du Dragon, rugit-il avec une voix si forte qu'on l'entendait de l'autre côté du champ de bataille. J'ai arraché la tête de votre chef de guerre. Je vous offre la vie tant que vous ne démontrez aucun signe d'agressivité.

Les membres du Sang du dragon hésitèrent puis, après un moment d'incertitude, obéirent.

- La victoire est nôtre! déclara Turion.

- Pas si vite, résonna une voix sombre et grave.

Un homme équipés d'une armure de plaques sombre apparut dans un nuage d'ombre. Sa peau pâle, ses longs cheveux et yeux noirs ainsi que son habit le symbolisait bien. Il était de la taille d'un homme, mais Turion savait que ses pouvoirs étaient bien plus grands que les siens. À la réalisation de l'identité de l'étranger, le coeur du wyrm sembla se perdre dans le néant.

- Noktow, grogna Turion avec mécontentement. Que veux-tu?

Le dieu ricana longuement.

- Pas content de voir son père? questionna-t-il avec un sarcasme amer.

Puis l'espace d'un instant plus tard, son sourire s'effaça.

- Tu as tué mon fils, continua-t-il avec colère. Mon seul et unique enfant authentique qui a été créé par les pouvoirs de l'univers et non par les nôtres! Tu as fait pleurer ta mère pour ça! Et, les massacres n'ont pas aidé à son morale même si moi, ça me plaisait bien. Mais, elle est plus importante que mes plaisirs alors...

- Tu n'as pas le droit d'intervenir dans notre monde pour des raisons aussi négligeables! se déchaina Turion.

Azéna pouvait sentir l'anxiété de Turion le ronger jusqu'aux os, mais le courage du wyrm persévéra, ce qui impressionna grandement la jeune dragonnière. Elle aussi venait de recevoir des grands chocs: elle ne pouvait plus dénier l'existence du panthéon, elle venait d'être témoin d'une vraie guerre et de l'histoire du grand Turion, elle savait maintenant comment se sent un dragon violet et qu'elle était sujette à la corruption de la faiblesse humaine. Elle remarqua ensuite que le Turion physique s'inquiétait pour son dragonnier qui semblait proche de la mort. En effet, la pulsation de son flux de sa vie n'était plus qu'un murmure. Tout ce que le wyrm espérait c'etait que Noktow ne le remarque pas; il désirait le sauver s'il le pouvait, sinon, il planifiait lui donner le cadeau d'un enterrement mémorable que seul un dragon pouvait accomplir.

- Négligeables? cracha le dieu de la mort avec véhémence. Négligeables!?! En plus, tu oses m'attaquer, dragon. Moi, qui suis la raison de ta présence ici. Eh bien, la vie n'est pas juste! Même un dieu ne peut pas être parfait alors, je briserai les règles. Pour ton insolence, tu vas périr!

Noktow croisa ses doigts en plaçant ses mains de sorte à ce que les paumes fassent face au dragon. Turion sentit son corps être attiré par le centre des deux mains du dieu. Il tenta d'y résister. Il griffa le sol, battit des ailes, mais rien ne fonctionnait. Petit à petit, il s'approchait de la noirceur croissante. Turion fixa son regard sur son cavalier dormant qu'il espérait allait survivre.

Un rugissement puissant retentit puis, les dernières paroles qu'Azéna entendit du Turion physique fut: Pourquoi ai-je été condamné par mon propre père?

Azéna sentit son crâne se faire accabler par la douleur. Elle s'empoigna la tête et tomba à genoux. C'est alors que la présence du wyrm disparut de son corps. Elle était enfin libre et se sentit si légère. Son cœur battit violemment après toutes ces manifestations et émotions. Confuse, elle regarda autour d'elle pour se rendre compte qu'elle était revenue dans la salle aux deux bassins.

- Plus qu'un mauvais souvenir, murmura-t-elle avec incertitude. Ce n'est qu'un cauchemar...

Plus elle y songeait, plus elle vint à la conclusion que tout ce qu'elle venait de vivre était bel et bien réel. Pourtant, elle refusait de l'accepter.

« Qu'est-ce qui s'est passé? demanda-t-elle à Turion pour confirmer qu'elle était toujours saine d'esprit. »

« Je ne pouvais plus le supporter, répondit Turion avec tristesse. Mes pouvoirs sont si faibles... »

De nulle part, les yeux d'Azéna furent submergés d'eau comme si elle était sur le point de pleurer. Elle eut un soudain haut le coeur et faillit vomir comme si son corps désirait expulser le choc des sentiments et des visions. Elle trembla de tous ses membres et se rendit compte que ses muscles pouvaient à peine la supporter. Elle tendit le bras et s'accrocha au bord du bain chaud.

« Mais, tu es mort. Comment...? »

« Un dragon a toujours la possibilité de sceller son âme dans l'objet le plus près de lui qui appartient à son dragonnier. Noktow est un dieu, mais les divinités ne peuvent pas contrôler les âmes des dragons. C'est un détail important qu'il avait oublié sous l'impulsivité. Oui, il m'a tué, mais après que mon âme était séparée de mon corps, j'ai fais ce que je voulais. Et ce que je désirai le plus dans la vie, c'était de rester dans le monde des mortels pour les protéger et, peut-être, avec un peu de chance... apprendre à connaître mon dragonnier... »

« Tout ceci est tellement triste. Comment es-tu tombé ici dans cet académie? »

« Mon dragonnier... Je ne sais pas ce qui est arrivé, mais il n'était plus là. Il était probablement mort. Il l'est forcément puisque je me suis lié à toi. Un dragon ne peut pas être lié à deux personnes simultanément. Noktow a donné la plume au nouveau chef de guerre du Sang du Dragon afin de s'assurer que je restes dans un solitude éternelle. Les dragonniers et dragons n'ont pas approuvés et m'ont récupéré. Mon secret est mort avec les générations et, présentement on croit tous que je ne suis qu'une plume enchantée. »

Azéna se sentit extrêmement frustrée face aux actions du dieu sombre. Elle se comprenait pas pourquoi il agissait ainsi. Elle avait entendu des rumeurs que Noktow était un filou et un manipulateur, mais personne n'avait jamais eut l'honneur de confirmer ces affirmations. Cela la poussa à questionner le reste du panthéon. Distraite, ça lui prit un instant à réaliser que Turion avait mentionné qu'il s'était lié à elle.

« Pourquoi sortir de cette identité maintenant et, surtout, pourquoi moi? »

« J'attendais mon dragonnier, avoua Turion, mais je me suis lié à toi lors de ta première retenue. Tu m'as approchée lorsque tu traînais derrière. Alors, c'est toi ma dragonnière à présent. Je ne choisis pas à qui je me lie alors, je n'ai pas d'explication à te donner. »

« Quoi? Comment est-ce possible? J'ai déjà Tyrath. »

« C'est un évènement rare. Très rare. Un dragonnier qui est lié avec deux dragons se produit une fois environs toutes les trois décennies. On ne sait pas pourquoi, mais c'est la nature des choses. Le pacte entre dragons et dragonniers est une forme de magie bien mystérieuse. »

Azéna se sentit soudainement coupable comme si elle avait trahi la confiance de Tyrath. Pourtant, elle était dans l'incapacité de choisir et ce fait la réconforta.

« Comment Tyrath va le prendre? »

« C'est souvent un grand dilemme pour le dragonnier car il ne sait pas qui choisir entre les deux. Tu ne pourras pas monter les deux en même temps et ce problème se produit pour beaucoup de choses. Par chance, je n'ai pas de corps physique alors, tu n'auras pas autant de problèmes qu'à la normale. Ne dit pas à personne sauf Tyrath à propos de moi. C'est meilleur ainsi car je te mets en danger en raison de qui je suis. »

« Comment? »

« Si on découvre ce que je suis véritablement, on me désireras pour mes pouvoirs. Rare sont les dragons violets de nos jours et en avoir un, particulièrement un aussi puissant que moi, dans nos rangs est très avantageux. Comme tu l'as ressenti toi-même plus tôt, la corruption de la soif du pouvoir est très dangereuse. Aussi, le Sang du Dragon a juré vengeance... »

« J'ai entendu dire que le Sang du Dragon prépare quelque chose. Ils sont de plus en plus actifs à chaque jour qui passe. »

« C'est mauvais, très mauvais. »

« Qu'est-ce qu'il faut faire? »

« Prépare-toi à une guerre qui débutera prochainement, répliqua Turion dans un grognement. C'est tout. Les soleils sont encore présents, mais les nuages noirs reviendront. »

« Attend un instant... »

« Qu'y a-t-il? »

« Pourquoi me parlais-tu seulement momentanément au cours de l'année? »

« En temps normal, tu étais trop éloignée pour que je puisse toucher à ton esprit. Il te fallait être dans le donjon pour que je puisse le faire. Sinon, parfois, je me sentais un peu revigorer, mais c'était rare. »

Azéna hésita longuement avant de parler à nouveau, incertaine de ce qu'elle pouvait demander au wyrm sans provoquer sa colère.

« Le symbole que tu portais autour de ton cou... »

Turion réfléchit lui aussi avant de répliquer.

« C'est le symbole le plus important de ce monde. Il signifie la vie et la mort; la balance des deux qui permet l'existence. Aucun être ne peut vivre sans les deux, comme le crépuscule ne vient pas sans l'aube et vice-versa. C'est le cycle infini des temps. »

« Mais, les dragons violets... »

« Ils ont perdus la raison de vivre, tout simplement. »

« Où sont-ils? »

« Dans les profondeurs du désespoir. Ils écoutent ses chuchotements et se noient dans leurs plaies. »

« Ça ne me dit pas où ils sont. Tu parles en énigmes. »

« Malheureusement, c'est tout ce que je sais à ce propos. »

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