1 - Le paquet à la chevelure argenté

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12e jour de la saison du sapin 2433

Le froid était particulièrement cruel en cette saison qui était iconique pour son festival célébrant la nature. En Daigorn, la neige s'amoncelait en un tas sur les toits des habitations chauffées au bois ou, pour les familles les plus pauvres, directement sur un feu de camp intérieur. Le vent s'était apaisé en cette nuit paisible, accordant un peu de répits aux citoyens qui venaient d'affronter une terrible tempête hivernale. Il y avait bien des dommages à réparer et derrière les murailles en pierre du château, le fils aîné du seigneur-suzerain ruminait sur cette tâche lassante que son père lui avait confiée. Il était installé à la grande table en bois dans la salle à manger avec quelques parchemins et une carte de la ville à sa disposition.

Le jeune adulte de vingt-et-un ans soupira, démotivé, puis se leva pour jeter une nouvelle bûche dans les flammes avides du foyer. Il était enroulé dans un manteau épais dont les épaules et les rebords de la capuche étaient couverts de fourrure de loup géant. Sa barbe fraîchement taillée longeait la courbe de sa mâchoire proéminente. Songeur, il la caressa d'un bref mouvement et déjà, son regard se perdit dans la beauté rougeoyante qui dansait devant lui. Tellement qu'il ne se rendit pas compte de la nouvelle présence dans la pièce.

— Tout va bien, mon amour ? questionna la jeune femme qui paraissait à la fin de son adolescence et qui menait une grossesse avancée. Tu devrais être au lit... J'étais inquiète...

Bayrne se tourna vers elle et admira sa longue chevelure châtaine qu'il adorait tant. D'ailleurs, c'était ce qui l'avait attiré vers elle lors de leur rencontre. Même après quatre ans de mariage, un sentiment de bien-être s'installa au creux de son ventre lorsqu'elle lui offrit son plus chaleureux sourire.

— Je suis tout simplement un peu anxieux à l'idée de ne plus m'inquiéter quant aux devoirs que Père m'impose, avoua-t-il. Qu'arrivera-t-il si le conseil ne me juge pas digne ? J'ai travaillé si dur pour leur plaire, à eux et à mon père.

Contrairement aux autres royaumes humains qui se fiaient à l'héritage familial, celui de Daigorn laissait un conseil choisir le prochain souverain. Souvent, puisque les enfants du seigneur-suzerain actuel étaient bien connus des conseillers et loyaux à leurs parents, ils étaient choisis comme successeurs, mais ce n'était pas garanti.

— Tu réussiras, rassura Rivatha. Et puis... qu'importe ce qui se passera, tu es et resteras un époux attentionné, un représentant respectés des citoyens et un père dévoué. Tu nous offres tant, à moi, à Sérus, à Argent et bientôt, à une nouvelle addition.

Bayrne sourit, fier de sa troisième progéniture nichée dans l'utérus de sa bien-aimée. Rivatha était maternelle, loyale, fertile et forte, donnant naissance sans problème à chaque fois. Que pouvait-il désirer de plus, si ce n'est gouverner son peuple ?

— Si c'est un garçon, il s'appellera Gendrel.

— Et si c'est une fille ? taquina la châtaine.

— Mmmm j'ai toujours eu un faible pour le prénom Tria. C'est simple, court, mais adorable.

Rivatha poussa un petit rire contagieux. Gloussant lui aussi, il posa une main sur celle de l'adolescente. Il était heureux que son père eût approuvé sa requête et qu'il fasse d'elle sa femme. Leur union était l'une des rares issues de romance et de noblesse.

Le cliquetis d'une armure de mailles brisa leur intimité.

— Pardonnez mon intrusion, dit un garde à la barbe grisonnante et drue. Seigneur Kindirah ne désire pas s'encombrer d'un dérangement à la porte principale... Si vous pouviez...

Bayrne acquiesça, acceptant la tâche en refoulant un ronchonnement. Il déposa un doux baiser sur les fines lèvres de sa femme et suivit le soldat. À l'entrée, il y trouva un panier en osier révélé par le clair de lune émeraude. Par-dessus quelques couvertures, il y avait une note.

Souverain de Daigorn,

Vous ne nous connaissez pas, comme nous ignorons qui vous êtes personnellement. Voici notre fille. Elle se nomme Azéna, un prénom qui nous est cher. Elle est née la 32e nuit de la saison de lune qui vient de s'éteindre. C'est avec nos cœurs lourds que nous vous demandons humblement de prendre soin d'elle. Votre royaume est réputé pour sa vie paisible malgré les désastres naturels fréquents. Nous espérons qu'elle réchauffera votre demeure avec son esprit aussi énergique que solide. Elle mérite une famille qui saura la chérir, et cela malgré la nuance maladive de ses cheveux.

S'il vous plaît, prenez-la sans jugement. Offrez-lui de l'amour et du support parental. C'était notre désir de lui en fournir jusqu'à la fin de nos vies.

Bayrne fronçait de plus en plus les sourcils à mesure qu'il lisait la lettre. À la toute fin, il écarquilla les yeux, incrédule face à la description physique de l'enfant.

Un couinement béat provint du tas de couvertures en laine. C'était bel et bien un bébé.

Malgré tout, Bayrne ne désirait pas condamner cette enfant aux griffes cruelles de l'hiver. Il agrippa le lit improvisé et l'emporta à l'intérieur où il le déposa sur une table avec un chandelier et quelques statuettes d'animaux exotiques. Il dévoila Azéna, impatient de découvrir la vérité.

En train de câliner la douceur de l'étoffe colorée, elle était là ; une nouvelle-née à la chevelure brillante d'un argenté sublime. Ses grands yeux au bleu stupéfiant séduisirent l'homme tel un ensorcellement. Comme une sorcière... Bayrne repoussa ces pensées sombres. Un bébé ne savait pas comment lancer des sortilèges à un tel âge. Évidemment qu'elle n'était pas une sorcière. Il sourit jaune, nerveux de ce nouveau fardeau qui lui avait été tiré dans les bras. Devait-il l'adopter ? Non, c'était impossible, spécialement s'il allait prendre la charge du royaume un jour. Les citoyens ne l'accepteraient pas et encore moins le conseil. Il ne savait pas quoi en penser, mais Rivatha saurait, elle.

Il retourna donc la voir et, immédiatement, la femme enceinte poussa un cri de bonheur. Elle prit Azéna dans ses bras et se mit à la bercer. Ce n'était pas bon signe ; elle s'attachait déjà et cela allait brouiller son jugement.

— Oh ! Elle est si belle, dit-elle avec tendresse en flattant la chevelure du bébé. Si différente. On la garde ? Nous avons toutes les ressources nécessaires pour un enfant additionnel.

— Je crois que la question de son adoption devrait être discutée avec le conseil et avec mon père, déclara Bayrne en tentant de paraître autoritaire.

Mais dans le fond, il était déjà sous le charme de cette enfant qui émettait quelque chose de mystérieux.

Rivatha lui accorda une expression de chien battu.

— Ah non ! grogna-t-il. Ne me fais pas ce coup ! Tu sais que ce n'est pas si aisé ! Nous sommes dans la haute noblesse et... et... Nous en discuterons demain.

✦×✦

C'était la troisième nuit depuis son mariage que Bayrne passait seul. Son épouse avait l'habitude de rester une journée entière près d'un enfant qui s'ajoutait à leur famille grandissante. C'était la preuve qu'elle était déjà convaincue de l'adoption d'Azéna. Mais ce n'était pas uniquement à elle de prendre une telle décision. Le lit à baldaquin était froid et vide sans elle, mais pas pour longtemps.

Un cri strident résonna dans le corridor et la porte de sa chambre s'ouvrit lentement pour laisser entrer un jeune garçon de trois ans. Il avait à la main sa petite épée en bois qu'il adorait tant. Il grimpa avec misère au lit et s'attaqua à son père.

— Ayez pitié de moi, guerrier grandiose ! supplia Bayrne avec un sourire qu'il ne put dissimuler.

Il reçut un coup au torse et il fit semblant d'avoir rendu l'âme. Le petit Sérus se mit à ricaner et monta sur son père à califourchon.

— Papa pas mort ! s'exclama-t-il. Papa se réveille !

— Tu as bien raison ! rétorqua Bayrne de sa voix puissante.

Il se redressa soudainement en passant ses bras musclés autour de son fils pour qu'il ne tombe pas. Ce dernier poussa un cri de surprise et se tortilla dans tous les sens pour enfin échapper à son assaillant.

— Ce gamin a tellement d'énergie, se dit Bayrne alors qu'il observa le petit courir d'un bout à l'autre de l'immense chambre.

Il le laissa s'amuser pendant un instant alors qu'il mettait une tunique et des pantalons. Il peigna son épaisse crinière ébène et s'observa un instant dans le miroir. Ses yeux bruns paraissent fatigués, mais lorsqu'il songea à passer du temps avec sa famille, ceux-ci s'illuminèrent. Il chérissait sa femme et ses enfants plus que tout au monde et était impatient de rencontrer celui qui allait naître à la prochaine saison. Rivatha était si bonne ; il ne pouvait pas demander mieux. Il était si comblé.

Cependant, l'idée de devoir négocier l'adoption de la jeune Azéna l'énervait un peu. Ce n'était pas l'idée d'avoir une deuxième fille qui l'inquiétait, mais les problèmes qui allaient surgir tôt ou tard en raison de sa présence en leur famille et de son apparence. Il détestait être cruel, mais il ne pensait honnêtement pas que c'était une bonne idée de l'accepter comme une Kindirah. Il avait déjà assez de soucis et de responsabilités sur les épaules.

— Allez, on va déjeuner Sérus, lâcha-t-il en ébouriffant la chevelure déjà chaotique de son fils.

Le gamin suivit son père en trottant derrière lui, son épée toujours entre les mains. Il s'arrêta à la chambre d'Argent, sa fille âgée d'une seule année, et la porta dans ses bras jusqu'à la salle à manger où il était la veille.

— Tu t'ennuies de grand-oncle Cohennar ? lui demanda-t-il alors qu'elle pleurnichait légèrement. Ne t'en fais pas ; il va rester pendant quelques jours.

Son oncle était un voyageur et le maître d'armes le plus réputé de sa génération. Il n'y avait que les créatures les plus traîtresses qui lui donnaient du fils à retordre. N'ayant pas d'enfant, il appréciait beaucoup ceux de son neveu, spécialement la petite Argent qui lui rendait tout son amour. Mais Cohennar n'était pas présent à cause de multiples conflits avec son frère et ainsi, il s'était acquis une réputation douteuse.

Bientôt, le seigneur-suzerain ainsi que le vagabond franchirent le seuil de la pièce et s'installèrent à la grande table à côté des enfants et de leur père.

— Je te dis que je ne resterai pas longtemps, ronchonna Cohennar.

— C'est mieux ainsi, approuva Hurath de sa voix rauque.

Il se tourna vers Bayrne et un large sourire se dessina sur ses lèvres.

— Mon fils ! Quelle était la perturbation de cette nuit ?

Cohennar roula ses yeux, clairement irrité par son frère comme à son habitude et pour se distraire, il servit à déjeuner à Argent pendant que Bayrne s'occupait de Sérus tout en écoutant son père.

— Hé bien..., commença le jeune homme.

Il hésita un moment, puis il se convainc qu'il était inutile de cacher la vérité. Il expliqua à son auditoire tout ce qu'il s'était passé durant la nuit.

— Il est évident que cette Azéna doit être remise à une autre famille, déclara Hurath sans hésitation.

C'était exactement la réaction à laquelle Bayrne s'attendait : son père était pragmatique, très logique et direct. Il ne passait pas par quatre chemins pour s'exprimer.

— Pourquoi ? questionna Sérus d'une petite voix innocente avant de s'énergiser. Une deuxième sœur ! Je protéger ! termina-t-il en balançant son épée maladroitement.

Cohennar pouffa de rire et accorda un regard approbateur à son neveu. De son côté, Hurath, les sourcils froncés et les traits creusés, ne semblait pas impressionné. Il ne commenta pas, sachant qu'il était inutile d'argumenter avec un enfant de trois ans. À la place, il posa ses yeux perçants sur Bayrne et croisa les doigts, signe qu'il était sérieux dans cette affaire.

— J'ai raison, pas vrai, mon fils ?

— Oui, répliqua le jeune homme, ne désirant pas décevoir son père.

— Vous êtes vraiment dégoûtants, lança Cohennar nonchalamment comme s'il n'avait pas tout juste insulté le Seigneur-suzerain et son fils aîné dans leur propre demeure.

— Adopte-là, toi, rétorqua calmement son frère. Tu n'as toujours pas d'enfant. Au moins, ce serait quelque chose, quoique ton propre sang soit bien mieux.

Le vagabond ricana haut afin de bien démontrer son avis sur la situation.

— Ris comme tu le désires, continua Hurath sèchement. Tu es une honte pour cette famille ! Tu ne contribues à rien ! Tu disparais dans tes aventures sans queue ni tête et tu reviens quelques saisons plus tard en espérant qu'on va t'accueillir à bras ouverts comme si rien ne s'était passé.

— Crois-tu vraiment que j'ai un mode de vie approprié pour prendre soin de cette enfant ? demanda l'aventurier en offrant une cuillère remplie de légumes en purée à Argent.

Cette dernière sourit largement et avala le tout voracement.

— Quelle bonne fille ! complimenta son grand-oncle avec fierté. Ton papa mais surtout ton grand-père peuvent agir comme d'horribles monstres, pas vrai ?

La fillette d'un an gloussa et frappa des mains sans trop comprendre les paroles de son interlocuteur. Elle semblait tout simplement aux anges d'avoir son attention.

— Ça suffit, Cohennar ! grogna Hurath. Je crois qu'il est temps pour toi de...

Il se tue lorsqu'il aperçut Rivatha qui venait de les rejoindre. Elle était en train de bercer une Azéna somnolente dans ses bras. Ses yeux brillaient comme une étoile filante, reflétant le bonheur qu'elle éprouvait face à cette enfant mystérieuse.

— Elle est si calme, observa-t-elle en s'installant à côté de son mari.

Malaise. Bayrne repensait à la note, le suppliant de prendre soin de ce bébé sans défense, puis à son épouse qui était parfaite pour elle. Il savait à quel point cette femme était maternelle et débordait de bonté. D'un autre côté...

Il s'empêcha de se prendre la tête entre ses mains et ferma tout simplement les yeux, se concentrant sur sa respiration. Il devait se calmer, il ne devait pas craquer.

— Qu'est-ce qui ne va pas, mon amour ? questionna-t-elle.

Il ouvrit les yeux. Ensuite, comme s'il cherchait pour une indication divine sur ce qu'il devait faire, il attendit en posant son attention sur Azéna qui était sagement enroulée dans ses couvertures de laine et ne faisait pas un son. Elle était si mignonne et son physique était si unique, si différent. Elle était réellement charmante à sa façon.

Le cœur de l'homme sembla fondre dans son torse alors que toute anxiété se dissipa paisiblement. Les traits de son visage s'adoucirent alors qu'il tira une conclusion.

— Après tout, elle ne sera pas difficile à élever, murmura-t-il avant de hausser le ton. Nous la garderons.

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