6 - Ombre insaisissable

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41e jour de la saison du soleil 2447

La forêt Rousse était vaste, dense et riche. Azéna commençait sérieusement à se demander si elle allait en sortir un jour. Le crépuscule tombait et la teinte du ciel devenait chaude telle la couleur des feuilles des imposants arbres. Les brises faisaient légèrement tourbillonner celles qui étaient mortes et tombées. Les nuages grandissaient et noircissaient. La température se faisait fraîche.

La Kindirah huma l’air humide qui l’entourait. Elle haussa le regard et plissa les yeux.

— Il va pleuvoir. Où allons-nous nous abriter ?

On ne lui répondit pas. Elle se contenta donc d’observer la silhouette du sombre dragon qui les suivait, toujours haut dans le ciel, qui disparaissait de temps en temps dans les nuages. Il battait lentement des ailes. Son intention n’était pas difficile à deviner : il essayait de suivre le rythme lent du groupe de compagnons.

— Ça fait un long moment qu’il nous suit, se plaignit Azéna. On devrait envoyer Tyrath enquêter.

Leith songea un moment avant de répliquer.

— Ignore-le. Il ne nous cause pas de tort pour le moment et on ne pourrait peut-être pas le vaincre en combat.

— Nous ne pouvons tout de même pas ignorer sa présence. C’est louche et sans oublier dangereux.

Leith répliqua d’un bref hochement de tête. Le visage de Tyrath s’endurcit. Il tourna la tête en direction de sa dragonnière et attendit. La rebelle sentit son instinct lui dicté de se méfier et frissonna sous son regard améthyste. Elle se ressaisit, se rappelant qu’il n’y avait rien à craindre.

— Pourquoi semble-t-il si sérieux ? demanda-t-elle à Leith.

— Je crois qu’il veut aller en reconnaissance, répliqua la guérisseuse. Il attend probablement ton approbation pour le faire.

— Pourquoi demande-t-il ma permission ? Il est libre de faire ce qu’il veut.

— Tu es sa dragonnière. Il te consulte, comme tu devrais lui faire part de tes plans en général. Vous êtes une équipe à présent.

Elle offrit donc un signe de son approbation à son partenaire.

— Tu peux y aller, mais approche avec diligence.

Secouant vigoureusement de la tête, Tyrath s’envola en direction de la silhouette. Il tenta de l’approcher de façon diplomatique et calme, mais le dragon noir s’avéra agressif. Claquant des dents, il menaça Tyrath. Le drake argenté maintint une bonne distance de lui. Il désirait lui parler, tout simplement, mais l’étranger suspicieux disparut. À sa place flottait un nuage épais d’ombre. Dans un grognement sourd, Tyrath s’élança à sa recherche. Il explora les moindres recoins du nuage ébène, mais en ressortit en compagnie d’un échec. Confus, il tourna en rond pendant un long moment. Enfin, il s’impatienta et souffla plusieurs brises afin de disperser l’ombre.

Rien. Il n’y avait personne.

Frustré, Tyrath piqua vers sa dragonnière. Il ouvrit ses ailes pour ralentir sa chute et plana au-dessus d’elle. Il poussa un grognement sec en claquant des mâchoires. Fayne sursauta, apeurée par son comportement agressif.

— Quelque chose ne tourne pas rond, s’inquiéta Leith en plissant ses yeux. Ce dragon ne désire pas prendre contact direct avec nous. Il nous évite en se servant de ses pouvoirs pour se dissimuler.

— Est-ce que ça veut dire qu’il peut créer des nuages d’ombre à sa guise ? demanda Azéna en jetant un coup d’œil intéressé vers la voyageuse.

— Oui. Selon sa couleur, le dragon contrôle un certain élément. Par exemple…

— Tyrath est gris donc, il contrôle le vent ! coupa Azéna avec enthousiasme.

— Oui. Tu as bien observé ton compagnon.

— Donc, ce dragon noir contrôle l’ombre ? devina Fayne avec intérêt.

Son amie sursauta à son tour. Elle avait complètement oublié la brunette qui s’était fait particulièrement tranquille.

— Mhmm, répliqua Leith en acquiesçant. Le terme approprié pour désigner un élémentaliste de l’ombre est umbrancien. Chaque élément en possède un ; je vous les apprendrai en chemin à l’académie.

— J’ai entendu des rumeurs à propos de prêtres umbranciens et qu’ils sont normalement mauvais. Apparemment, ils reçoivent ce don au travers de Noktow, le Père Divin du Chaos, lorsqu’ils lui prouvent leur ultime dévotion. Est-ce que cela s’applique aux dragons ?

— Non, un dragon n’a aucun besoin de faire ses preuves. Ils sont nés avec une connexion intime à un élément spécifique. Ne les juge jamais. Il est vrai que chaque membre d’un vol draconique possède un caractère généralisé, mais il y a toujours des alternations d’un individu à l’autre. Spécialement les dragons noirs qui sont très incompris.

L’herboriste hocha la tête et continua silencieusement leur marche.

Azéna trouvait que la voie était longue et horriblement lassante. Il n’y avait que des arbres au feuillage orange, jaune, rouge et marron. Même l’herbe était de cette couleur. Seul le chemin de terre rocailleux qu’ils suivaient était unicolore. Des écureuils jacassaient. Le son aigu irrita la dragonnière. Elle sentit sa patience diminuer rapidement.

Distrais-toi, s’encouragea-t-elle.

Elle s’imagina en train de discuter avec Tyrath. Dans l’image qu’elle se fit de lui, il s’avérait joueur et enthousiasme. Il racontait des histoires et des blagues. Un groupe de jeunes dragonniers l’entourait pendant une pause et un professeur leur demanda de retourner en classe.

La scène fictive se transforma. Elle se voyait alors sur le dos de son compagnon qui volait à pleine vitesse au travers de l’enceinte de l’académie. Mais pourquoi ? Sera-t-elle en retard à ses cours ? Sera-t-elle poursuivie par quelqu’un ? Sera-t-elle l’auteure de mauvais coups ? Cette dernière idée évoqua un large sourire. Elle leva les yeux et observa Tyrath avec amusement. Celui-ci haussa un sourcil confus.

Fayne brisa le silence :

— Peut-être est-ce une escorte envoyée par l’académie, proposa-t-elle en parlant toujours du visiteur mystérieux.

— Non, répliqua Leith. Personne ne sait où nous allons. Les deux académies n’ont pas été avisées.

— C’est un dragonnier qui nous suit ? s’alarma Azéna.

— Il y a deux académies ? questionna Fayne. Je n’aurais jamais pu imaginer !

— Pour répondre à Azéna, c’est très possible, dit Leith d’un ton rêveur. Et, oui, Fayne. Il y a deux académies. Elles sont dirigées par deux frères et coexistent dans la même ville.

La Kindirah ne savait pas si elle devrait s’inquiéter. Tyrath s’était désintéressé du dragon sombre depuis un long moment et Leith ne paraissait pas alarmé.

✦×✦

Le crépuscule n’était plus et l’obscurité de la nuit dominait. Azéna était bien trop préoccupée à songer aux évènements récents de sa vie pour en s’en faire. Des centaines de questions lui traversaient l’esprit, mais elle se retenait de toutes les poser à Leith. À l’encontre des conseils de la guérisseuse, Tyrath avait chassé le dragon noir à trois reprises depuis qu’il avait tenté la diplomatie. À chaque fois qu’il s’approchait de lui, c’était la même réaction : il s’échappait grâce à sa manipulation de l’ombre.

— Il fait nuit, annonça Leith qui guidait leur passage grâce à la luminosité sur la cime de son bâton. Nous allons nous installer ici.

Ils avaient atteint un lac. La surface de l’eau brillait comme si on avait jeté des milliards d’étoiles à sa surface. Elle était calme et relaxante. Le ciel s’était éclaircit mais quelques nuages demeuraient. Le vent apportait toujours avec lui une lourdeur qui annonçait de la pluie.

— Ne buvez pas l’eau, ordonna la vieille dame d’un ton sévère.

— Pourquoi pas ? se moqua Azéna, insouciante. Elle va nous tuer ?

Leith fit volte-face et pointa son bâton vers la dragonnière, faisant fuir les ombres qui dissimulaient les traits de son visage.

— Il y a des plantes exotiques dans cette forêt et certaines sont très vénéneuses. L’une d’entre elles, dénommée la nageuse noire, pousse sous l’eau.

— Et alors ? questionna Azéna. Je ne vais pas en manger.

— Elle contamine l’eau, expliqua Fayne.

— Oh... Je vois. Merde. J’ai soif.

Leith lui tendit sa gourde d’eau.

— Ne la bois pas toute. C’est notre seule réserve d’eau douce.

Elle inspecta les environs. Ils étaient assez loin du chemin pour ne pas se faire apercevoir.

— Je ne crois pas que Seigneur Kindirah ait envoyé des troupes après nous, ce qui est curieux mais, convenable pour nous.

Tyrath, le ventre grognant, alla chasser pour la quatrième fois ce jour-là. Cette-fois, il eut l’avantage de l’obscurité et revint rapidement.

Pendant ce temps, Fayne s’occupa de Shirah et lui offrit des baies que la troxxe dévora avec hâte. Leith planta fermement son bâton dans le sol afin qu’il serve de source de lumière et se mit à fouiller dans son sac de cuir. Elle en ressortit une curieuse amulette d’argent.

— Va me chercher des brindilles pour faire un feu, ordonna-t-elle à Azéna. Utilise ceci pour t’aider.

Elle marmonna quelques mots incompréhensibles en serrant l’amulette de sa main droite. Le petit charme se mit à briller, créant de la luminosité autour de lui. La voyageuse l’offrit à la rebelle qui l’accepta volontiers et l’attacha à son cou.

Irritée, cette-dernière leva un sourcil. Elle n’était pas ravie de se faire donner des ordres, mais exécuta les vœux de son aînée sans broncher. Elle n’était plus dans le château, après tout. Ce n’était surement pas un serviteur qui allait lui dénicher tout ce qu’elle désirait sur commande.

En s’enfonçant dans les profondeurs de la forêt, elle sonda les environs à la recherche de branches assez petites pour être soulevées. Elle en trouva une grande quantité et prit le soin de choisir les plus sèches. Elle en dénicha une dont l’allure attira particulièrement son attention. La cime de la branche lui rappelait une tête de loup. Lorsqu’elle se pencha pour la ramasser, elle entendit le crépitement de feuilles. Quelqu’un avait fait l’erreur de passer dans un buisson derrière elle.

Alarmée, elle se retourna et aperçut une silhouette humanoïde qui l’observait au loin. Il était complètement à découvert.

— Hé ! aboya-t-elle en le pointant du doigt. Qui es-tu ? Pourquoi m’observes-tu ?

L’intrus était drapé d’une cape trop grande pour lui. Son visage était dissimulé par un capuchon. Il n’avait aucune arme et ne bougeait pas. Azéna tenta de s’approcher doucement de lui.

— Tu vas me répondre ou tu es sourd ?

Le mystérieux personnage se dissout en ombre. L’adolescente écarquilla les yeux. Elle s’imagina déjà le pire.

— Un prêtre noir, murmura-t-elle. Un loyaliste dément de Noktow.

Elle se figea et sentit son cœur s’arrêter momentanément. Elle se mit à paniquer. Encore pire qu’un prêtre noir, elle aurait pu se trouver en face de l’un de ces affreux nécrodins, des paladins corrompus qui sèment l’horreur partout où ils passent. Si c’était le cas, celui-ci l’aurait sûrement tué sur-le-champ. Quoiqu’il en fût, il était tout simplement parti. Elle se contenta donc de ramasser la branche à la cime en forme de tête de loup et de retourner au campement.

Une fois là-bas, elle se trimbala, les bras débordant de brindilles, jusqu’à Leith et Fayne qui étaient assises sur une souche en train de discuter.

— Bien, approuva la guérisseuse. Une bonne quantité. On n’a jamais assez de bois pour faire un feu.

Elle fronça soudainement les sourcils puis, son expression satisfaite se transforma en inquiétude.

— Tu es blanche comme un drap et épuisée. Quelque chose s’est passée ?

— J’ai rencontré quelqu’un, souffla Azéna d’une voix suraiguë.

— Raconte.

— Il ne semblait pas désirer se cacher. Lorsque je me suis retourné, il était là et me fixait comme si de rien n’était.

— Et ensuite ?

— Je lui ai demandé qui il était, mais il a tout simplement disparu. Il s’est littéralement transformé en ombre.

— C’est sûrement le dragonnier de ce dragon noir ! s’exclama Fayne.

— Comment tu peux le savoir ? questionna bêtement la Kindirah.

— C’est évident. Fais le lien. Un dragon noir contrôle l’ombre.

— Et son dragonnier se transformerait en ombre ? Ça serait une technique très avancée. Une chance qu’il ne cherche pas à se battre.

— C’est possible, soutenu Leith.

Azéna se sentit soudainement stupide. C’était toujours elle qui ne comprenait rien. Elle déposa les brindilles à côté du bâton de la guérisseuse et lui rendit son amulette dont la luminosité s’était considérablement affaiblie.

— Tyrath n’est toujours pas revenu ? demanda-t-elle pour changer de sujet.

— A-t-il vraiment l’air d’être ici ? répliqua Fayne sur un ton sarcastique.

— Ah... Je... Ouais…

Elle se contenta de grogner et enfonça la moitié de son visage dans ses bras entrecroisés.

Leith tentait d’allumer le feu en vain. Elle avait réuni un nombre raisonnable de brindilles devant elle et frottait frénétiquement deux roches ensemble.

Rapidement, Azéna se lassa de l’observer et détourna son attention vers le ciel sombre décoré de plusieurs petits points brillants dont un qui était particulièrement grand : la lune. Elle l’avait toujours trouvé belle et mystérieuse, mais surtout fascinante car elle changeait de couleur en fonction de la saison. À cet instant, elle arborait une teinte d’un humble doré, la couleur de la saison du soleil et c’était durant ce temps qu’elle ressemblait le plus aux soleils, mais en plus pâle. C’était elle qui écoutait l’adolescente lorsqu’elle se sentait seule.

Les gens d’Aerinda s’étaient entendus pour mesurer le temps avec le cycle de la lune. Celle-ci était divisée en huit saisons, soit en commençant par le printemps qui était composée de la saison de la naissance suivi de la saison de la rivière, puis l’été qui était composée de la saison du soleil suivi de la saison du marteau, puis l’automne qui était composée de la saison de la scythe suivi de la saison de la mort et enfin l’hiver qui était composée de la saison de la lune suivi de la saison du sapin. Chaque saison avait son propre festival organisé dans une des multiples cités majeures au travers des royaumes.

Un grognement attira l’attention d’Azéna vers l’ouest. Une grande silhouette ailée apparue sous la luminosité réconfortante de la lune. Plus il se rapprochait, plus Tyrath devint distinguable. Ses ailes, normalement d’un teint argenté presque blanc translucide, étaient traversées par le clair de lune jaunâtre. Il laissa tomber quelque chose d’une masse considérable et atterrit derrière le groupe. Lorsque Fayne y jeta un coup d’œil, elle étouffa un cri horrifié avec sa main.

— Quoi ? demanda la dragonnière.

Elle se retourna à son tour et se retrouva face à face avec un cadavre frais de cerf. Pendant un moment, elle resta figée dans l’incertitude. Le dragon la regardait avec anticipation.

— Oh. C’est pour moi ?

Elle se pointa, confuse. Tyrath renifla et hocha de la tête. Il poussa le cadavre de son museau en sa direction.

— Eh, merci ? dit-elle, incertaine de quoi répliquer.

Ne sachant pas trop quoi faire, elle fixa l’animal mort. Tyrath secoua la tête, visiblement déçu et se roula en boule sur le sol caillouteux. Il ne semblait pas se préoccuper de son propre confort. Il tomba rapidement dans un profond sommeil.

— Il veut qu’on fasse quoi exactement avec ce cerf ? demanda la Kindirah.

— Que tu peux être idiote parfois, ricana Fayne. Il nous l’offre pour qu’on ait de quoi à manger.

— J’avais compris, mentit son amie bougonneuse en se retournant vers le feu nouveau-né.

Les flammes étaient bien vivantes, mais petites. Leith se frotta le menton en réfléchissant.

— Pourrais-tu demander à Tyrath de souffler un peu de vent sur les flammes, proposa Fayne.

— Pourquoi ? osa demander Azéna.

Elle reçut un coup sur la tête. La brunette l’avait frappée amicalement avec une branche solide.

— Hé ! Pourquoi mériterais-je cela ? cria la victime en massant son crâne avec rogne.

— Ne connais-tu donc pas le principe simple des forces et faiblesses des quatre éléments de base ? demanda Fayne en fronçant des sourcils.

Azéna n’osa pas répliquer, lassée de se faire humilier.

— Le vent amplifie le feu, tout simplement, informa l’herboriste en soupirant. Le feu se nourrit d’air pour s’intensifier. Souviens-toi de cela. Tu en auras peux être besoin un jour puisque Tyrath est un dragon gris.

Leith ricana et se darda son regard bienveillant vers les deux adolescentes.

— Bien vue Fayne, complimenta-t-elle.

Elle pivota vers Tyrath qui les observait d’un œil ouvert.

— Voudrais-tu s’il te plaît nourrir le feu de ton vent ?

Azéna chuchotait des jurons en continuant de se préoccupée de sa tête. Le jeune dragon se leva et expira une faible brise sur le feu qui s’amplifia exponentiellement. Puis, il retourna se coucher en boule à son emplacement original.

— Enfin bref, on cuit le cerf ? demanda la Kindirah en se frottant les mains ensembles en préparation du festin.

Les yeux de Fayne s’écarquillèrent et elle pâlit. La vue d’un animal mort l’avait toujours dégouté et lorsqu’elle avait atteint son quatorzième anniversaire, elle avait pris la décision de s’en abstenir s’il y avait d’autres choix de nutrition de disponible.

— Quoi ? continua Azéna. Il est mort. On ne peut rien faire de plus que rendre cette perte utile.

— J-je suppose, bégaya l’herboriste en évitant son regard.

Avant d’aller se coucher, les trois Daigorniènnes dégustèrent la viande fraiche du cerf en discutant de tout et de rien. Fayne éprouva de la difficulté à s’y faire. Elle ne mangeait de la viande que lors d’occasions spéciales, lors des fêtes ou lorsqu’il n’y avait rien d’autre à manger.

✦×✦

Azéna était restée éveillée toute la nuit. Elle était habituée à un grand lit douillet, bercé par le luxe de la noblesse. Le sol bosselé l’empêchait de dormir. De plus, elle utilisait une branche comme oreiller et n’avait pas de couverture. Elle ne faisait que se tourner sans cesse et lorsqu’elle abandonna la chasse, elle s’installa sur le dos. Elle observa la lune en songeant à ce qui pourrait lui arriver le lendemain. Une journée de marche était déjà écoulée. Il n’en restait plus que quatre. C’était à ce moment qu’elle réalisa à quel point cette forêt était dense. Combien de temps allaient-ils marcher avant d’atteindre la fin ? Finalement, ce n’était pas important. Ça allait prendre le temps nécessaire pour atteindre l’académie d’Archlan. Elle était plus inquiète pour sa famille. Sa mère et ses sœurs étaient probablement choqués par son départ soudain. Ses deux petits frères Gendrel et Ravon l’adoraient. Ils jouaient toujours des mauvais tours aux roturiers ensemble. Elle avait dû admettre qu’ils allaient lui manquer, même l’irritable petite Tria qui agissait toujours en parfaite petite dame. Mais elle pensait que le pire allait être loin d’Argent, sa sœur aînée qui avait toujours été le type de guerrière aimable, mais forte. Elle l’avait toujours secrètement admirée.

Au milieu de la nuit, elle remarqua que Leith contemplait aussi le ciel.

— Qu’est-ce que tu regardes ?

— Seulement les étoiles, répondit-elle avec une touche de tristesse. Ils me réconfortent.

La dragonnière leva un sourcil confus.

— Ce n’est rien, continua la voyageuse. Retourne te coucher.

Azéna obtempéra, mais ne trouva malheureusement pas le sommeil. Elle se retrouva seule encore une fois.

Malgré la saison chaude, la température avait anormalement chutée cette nuit-là. Une goutte d’eau tomba sur le front d’Azéna. Irrité, elle l’essuya avec sa manche et grogna. Il n’y avait pas d’abri convenable à proximité. Les arbres étaient trop loin et cette distance devenait risquée au cas d’une attaque. Elle soupira et se roula en boule.

Une douce pluie tomba des cieux. Le feu mourant chercha désespérément à trouver la force de survivre. Un courant d’air puissant le pilla du reste. La fumée qui émanait des branches brûlées suivaient un chemin particulier.

Azéna la suivit du regard jusqu’aux sous-bois où elle aperçut une ombre. C’était la même silhouette qu’elle avait aperçue lors de sa cueillette de branches. Cette fois, elle était beaucoup plus près d’elle, mais l’obscurité de la nuit l’empêchait de distinguer ses traits. Il avait encore la tête encapuchonnée. Sa cape dansa doucement dans une brise.

Le torrent de pluie s’intensifia et malgré tout, la sérénité de la forêt dominait. On ne pouvait entendre que les gouttes qui tombait au sol. Azéna fut mystifiée que ses compagnons ne s’étaient pas éveillés.

L’étranger délaissa l’arbre sur lequel il était appuyé et d’un mouvement lent et discret, presque gracieux, il s’approcha d’elle. Cette dernière tressaillit, incertaine s’il elle devait avertir les autres. Écoutant son instinct, elle resta immobile de peur qu’il lui arrache la vie avant qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit pour se défendre.

Une goutte tomba près de son œil. Elle s’essuya, fermant les yeux. Lorsqu’elle les réouvrit, l’étranger n’était plus là.

Un instant passa et enfin, elle sentit un souffle chaud et lent sur son cou.

— Gare à toi, Azéna Kindirah, murmura-t-il de façon douteuse, mais presque séduisante. Je sais qui tu es vraiment et ce que réserve ton destin embrouillé.

Il fit une pause.

D’après sa voix, Azéna devina qu’il était un jeune adulte ; surement au début de la vingtaine sinon vers la fin de son adolescence. Intriguée, elle osa détourner son regard vers le sien. Il battit en retraite puis, fit volte-face. Sa longue cape s’abattit sur le sol tel un balai dansant.

— Tu attires le danger et l’imprévisible, continua-t-il dans un murmure sombre. Sang-mêlé, mais ta force et ton courage réside. Ta curiosité t’emmènera à ta gloire, que ce soit en blanc ou en noir. L’inconnu t’appelle.

Il disparut dans l’ombre de la nuit. Seule sa voix mystérieuse demeura :

— Choisis ton camp et restes-y fidèle, car le chaos rôde autour de toi. Le sang impur s’avérera pur.

Puis, sa voix s’estompa. Il avait disparu, encore une fois, ne faisant qu’un avec l’ombre.

Azéna se leva et fouilla dans les buissons à proximité. Elle ne le retrouva pas. Déçue et perturbée, elle se résigna à s’endormir. Mais son sommeil s’avéra agité. Elle revoyait l’étranger dans ses rêves lui répéter en boucle les quelques mots qu’il lui avait accordés cette nuit-là. À chaque fois, elle espérait l’empêcher de partir, mais échouait. Soit il se transformait en ombre, trop subtil ou rapide. Elle croyait devenir folle. Elle désirait savoir ce que signifiaient ses avertissements.

— Attends ! s’écria-t-elle au bord d’une crise de panique.

Elle se réveilla avec le cœur battant et le souffle court. Sa vision était embrouillée. Après avoir cligné plusieurs fois des yeux, elle put distinguer Fayne qui se trouvait devant elle et la fixait.

— Ça va ? demanda son amie d’une voix inquiète.

La dragonnière repoussa une mèche humide de son visage.

— Quoi ? Que s’est-il passé ?

— Tu parlais dans ton sommeil, expliqua la brunette. Tu hurlais à quelqu’un de s’arrêter, de t’attendre.

L’esprit d’Azéna s’éclaircit lentement. Elle se souvint de ce qui s’était passé durant la nuit, mais ses souvenirs lui paraissent si irréels. Sur le coup, elle réclama Tyrath mais, celui-ci était parti chasser.

Il ne pleuvait plus. Il faisait chaud et humide. Le temps était écrasant. Azéna n’avait envie que de rester là, couchée paresseusement et dormir. Son linge était lourd et lui collait à la peau, ce qu’elle détestait par-dessous tout. Ses deux compagnes étaient dans le même bateau qu’elle.

En déjeunant, elle leur raconta toute l’histoire en omettant le fait que la voix de l’intrus était intrigante, ce qui la gênait considérablement.

— D’après moi, ces évènements sont vraisemblables, opina Leith avec sagesse, Ça ne m’étonnerait pas que ce soit le dragonnier de ce dragon noir. Par conséquent, que ça se reproduise en boucle dans ton esprit, ça, c’est un rêve.

— Devrais-je prendre ces avertissements au sérieux, d’après vous? demanda Azéna en avalant un morceau de cerf cuit.

Fayne avait toujours l’air horrifié par son repas. Elle a pris une petite bouchée ensuite, elle avait placé le reste de la viande sur le sol.

— Je ne sais pas, avoua la guérisseuse. C’est difficile à dire. Je te conseille tout simplement de ne pas y penser pour l’instant.

— Ce qui veut dire ? demanda l’archère.

— Ne fais pas de bêtises à l’académie.

— Oui, maman, murmura la jeune dragonnière sarcastiquement.

Elle se leva pour aller jeter un coup d’œil au lac.

— Il y a des nageuses noires dans ces eaux, lui rappela Fayne.

La Kindirah grommela et se contenta, encore une fois, de la gourde qui se vidait trop rapidement à son goût. Il ne restait plus qu’une ou deux gorgées. Tyrath revint de sa chasse matinale. À son arrivé, il lui accorda un grognement amical.

— Bon matin à toi aussi, répondit-elle.

Elle se tourna vers Leith.

— Je peux lui faire part de ce qui s’est passé hier soir ?

— Bien sûr. Il est ton partenaire, mais en chemin, sourit la voyageuse. Nous avons encore du chemin à faire. Ton père pourrait partir à notre recherche aujourd’hui. Il est sage de ne pas rester au même endroit trop longtemps.

Ils ramassèrent leurs affaires, se débarrassèrent des restes du feu de camp et se mirent en route. Azéna récita ce qui lui est arrivé pendant la nuit à Tyrath qui réagit en grognant et en fouettant l’air avec sa queue, colérique. Il tenta d’aller défier le dragon noir, mais Leith le gronda, l’empêchant d’y aller.

Près des frontières, la forêt Rousse n’était plus aussi dense. Les rayons des deux soleils parvenaient à traverser le feuillage avec aisance. Enfin, la lisière leur apparut.

— Finalement ! s’écria Azéna en filant dans le champ où il faisait chaud et l’herbe était verte. Nous sommes libérés de cette forêt de merde.

— Allez, on continue, ordonna Leith. Et Azéna… fait attention à ta langue.

Tyrath vola librement au-dessus des plaines et effectua des toupies et autres tours en plein vol. Sa dragonnière essaya suivre son rythme, mais il était trop rapide pour elle. Il la provoqua et elle redoubla d’effort. Malgré la compétition féroce, elle rit, heureuse de participer au jeu. Elle le poursuivit même si elle savait qu’elle n’avait aucune chance de gagner.

— Azéna ! appela Leith. Reste près de nous.

— Pourquoi ? demanda-t-elle.

— Parce que c’est dangereux dans ce coin.

— Ce que tu peux être pénible...

Leith lui accorda un regard noir.

— D’accord, d’accord, se lamenta l’adolescente.

Elle se résigna à suivre le chemin de terre derrière Leith et Fayne qui ouvraient la marche.

✦×✦

En après-midi tardive, alors que les soleils commençaient à peine à se coucher, le groupe croisa un voyageur pour la première fois. Celui-ci était vêtu d’un uniforme propre et possédait une peau claire subtilement teinté de bleu. Le plus remarquable dans tout ça, c’était sa monture : un énorme dragon blanc qui avançait dans un calme serein.

Tyrath était minuscule à côté de cette créature majestueuse. Immédiatement, comme s’ils consistaient d’un danger imminent, il se mit à voler autour d’eux comme un rapace et claqua des dents. Azéna resta bouche-bée devant de tels individus : lui et sa partenaire aux écailles laiteuses étaient resplendissants.

Le dragon blanc s’arrêta en ignorant les menaces de Tyrath. Le drake était sûrement trop petit l’intimider.

— Bonjour à vous Leith, salua poliment le dragonnier en baissant la tête légèrement.

Leith cessa sa marche et fut imitée des autres.

— Ah, dit Leith en souriant au dragonnier. Ça fait longtemps, jeune Vigoth Jarthen.

Le dénommé Vigoth laissa échapper un petit rire.

— Jeune ? J’ai plusieurs décennies de plus que vous derrière moi.

Azéna fut prise de confusion.

Comment est-ce que cet homme a plusieurs décennies de plus que Leith et qu’il a un physique plus ou moins dans la vingtaine ? se demanda-t-elle.

— Vous semblez perturbé, jeune dame, informa l’étranger en la fixant.

— J-je, balbutia-t-elle en le pointant du doigt. Euh... Comment est-ce que...

— Ah ! Vous n’avez jamais rencontré d’elfe de votre vie, je suppose. Fait intéressant : particulièrement chez les elfes lunaires, les jumeaux sont communs. Même les triplés ne sont pas si rares que ça.

— Un elfe ? s’écria-t-elle impulsivement. C’est pour ça que tu parais si jeune et que tu as la peau bleutée ?

Réalisant qu’elle s’était échappée, elle baissa le doigt et son visage vira au cramoisi. Fayne et Leith rirent doucement, ce qui la gêna encore plus. Vigoth, lui, semblait être habitué à ce genre de réaction.

— Ce n’est pas tous les elfes qui ont une peau de cette teinte, mais c’est une caractéristique typique des elfes lunaires, expliqua-t-il.

Il observa Tyrath avec attention. Son regard s’arrêta sur ses pattes. Il plissa les yeux, clairement dérangé par les manilles, puis il concentra son attention sur Fayne et Azéna.

— Qui sont ces deux ravissantes jeunes femmes ? demanda-t-il avec un sourire chaleureux.

La Kindirah se présenta la première puis vint le tour de Fayne. Vigoth parut surprit lorsqu’elles expliquèrent leur relation amicale.

— Il est rare que les nobles de Daigorn se permettent de devenir si proche d’un roturier, sans vouloir vous porter offense Mlle Litfow, commenta-t-il. J’aime votre ouverture d’esprit Azéna.

— Dites-moi Vigoth, comment se fait-il que vous soyez loin de l’académie alors que la cérémonie débute très bientôt ? demanda Leith.

— Oh, vous savez, la charge de travail est immense et...

— Et, continua la vielle dame en fixant sévèrement son interlocuteur de ses petits yeux perçants, vous vous êtes enfuis, comme à votre habitude.

— Enfuis est un bien grand mot, répliqua-t-il en évitant ses yeux. De toute façon, le danger que représente le Sang du Dragon grandit. Il faut bien que quelqu’un patrouille dans les environs.

— Je me doutais bien que ces tueurs de dragons allaient revenir un jour. Il n’y a pas que cela. Un dragonnier et son dragon noir nous suivent depuis notre départ.

— D’où arrivez-vous ?

— De Nothar.

— Je n’ai pas envoyé qui que ce soit dans cette région durant les derniers jours.

Il songea pendant de longues secondes qui rongèrent l’humeur d’Azéna d’impatience. La jeune dragonnière voulait savoir ce qui se passait et qui était ce personnage. Sa longue cape, sa parure, son majestueux dragon et sa beauté lui donnaient une allure d’importance.

— C’est peut-être Archlan, répliqua-t-il finalement.

— L’académie d’Archlan ? sollicita la rebelle avec intérêt.

— Oui. Vous y allez ?

— En effet, confirma Leith. Cette jeune dame, ici présente, est une dragonnière depuis deux jours.

— Oh ! Pourquoi ne pas lui proposer l’académie d’Isriss ? suggéra Vigoth en affichant un grand sourire blagueur.

— Vigoth, grogna la vieille.

— C’était une blague, voyons. Un grand maître cherche toujours à recruter de nouveaux apprentis.

— Grand maître ? demanda Azéna, confuse.

— C’est le souverain d’une académie de dragonniers, expliqua Leith.

Elle désigna l’emblème de l’académie d’Isriss qui reposait sur le tabard rouge cramoisis de Vigoth. Le logo était magnifique. Il s’agissait d’une patte de dragon gris qui reposait au sommet de la lettre I en son centre.

— Je me propose comme escorte jusqu’à l’académie d’Archlan, proposa le Grand Maître avec politesse.

— Ce serait très apprécié, répliqua Leith, ravie de cette nouvelle. On ne sait jamais. Ce dragon noir pourrait revenir, de même pour une bande du Sang de Dragon.

— Très juste. Comme mon frère Terenas l’a toujours si bien dit : Prévient avant de réparer.

Ils se remirent en route. Tyrath ne semblait pas ravi des décisions prises. Il grogna silencieusement en restant près d’Azéna sans lâcher le dragon blanc des yeux. Ce dernier l’ignora et lança un regard offusqué à Vigoth. Au début, l’elfe lunaire ne semblait pas comprendre ce qu’il désirait de lui.

— Ah ! s’écria soudainement Vigoth. Je m’excuse. Je vous présente ma partenaire, Karialiatren ou Karia du clan Liatren.

Karia leva la tête et poussa un rugissement majestueux. Ce cri fit Tyrath grincer des dents. Il jeta un regard noir en direction de la dragonne et bomba le torse. Azéna sourit, amusé par sa réaction.

— Lui, c’est Tyrathralent ou Tyrath du clan Ralent.

Tyrath détourna le regard de Karia qui poussa un grognement qui ressemblait à un ricanement.

— Tu dois être lassé de me promener sur ton dos, s’inquiéta Vigoth avec compassion. Allez, va te dégourdir les ailes un peu.

— Merci, répondit-elle d’un ton rocailleux souligné d’une touche féminine.

Il se laissa glisser sur la patte avant de la dragonne. Celle-ci s’étira les ailes et prit son envol. Elle s’amusa à faire quelques ronds dans les nuages puis revint planer près de Tyrath. Elle faisait au moins quatre fois sa largeur ainsi que sa grandeur. Le jeune mâle poussa un grognement en la fixant subtilement. Celle-ci l’ignora et rêvassa tranquillement.

— Alors ils peuvent apprendre à parler, souffla Azéna bouche-bée. Quelle voix.... unique.

— C’est ce que je t’avais dit, grogna Leith. Tu ne me croyais pas ?

— Je... Je n’étais pas certaine.

Le groupe éclata de rire et ils se mirent à discuter entre eux en poursuivant le chemin vers l’académie d’Archlan.

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