2 - L'œuf argenté

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13e jour de la saison de la naissance 2433

Un bruyant craquement retentit dans la sombre caverne localisée sur les délimitations d’Atgoren, une ville ainsi qu’un refuge pour les dragons et les dragonniers. Les deux gardes stationnés à l’entrée se raidirent au son. Incertains sur la conduite à tenir, ils fixèrent bêtement l’intérieur de la caverne : celle-ci faisait partie d’une série d’antres qui formaient le Grand Nid, là où résident les majestueux dragons dits apprivoisés due à leur intégration à une communauté humanoïde. Le refuge était toutefois la plus petite de la structure ; un dragon adulte pouvait à peine y pénétrer. Malgré tout, elle se montrait ferme, solide et son entrée avait été polie pour obtenir une parfaite forme de demi-lune.

Le garde à droite de l’entrée jeta un coup d’œil vers son compagnon :

— Allez ! On doit vérifier ce qui se passe.

Celui de gauche, somnolent et accoté paresseusement sur sa lance, poussa un soupir.

— C’est sûrement encore un rat en quête d’un abri ou de nourriture. Pas la peine de te fatiguer et encore moins de se déplacer, Fingäar.

— Pas la peine de me fatiguer... et de se déplacer ? questionna Fingäar, outré par la suggestion qui lui avait été proposé. Comment peux-tu dire une telle chose ? Et si c’était important, cette fois ? Et si c’était l’œuf ? Prends ton rôle au sérieux !

L’elfe de lune aux longs cheveux tressés ne prit pas la peine d’attendre son camarade. Il se tarda de scruter l’intérieur de la caverne. Dogan, un humain court et grassouillet, ronchonna et se résolut à le suivre tout en continuant de parler à haute voix comme si rien ne lui importait.

— Ça fait au moins cent fois qu’on est venu vérifier en dix jours. Et, je prends mon rôle au sérieux, contrairement à ce que tu crois. C’est juste cette mission qui va avoir raison de moi... C’est tellement injuste... Surveiller un œuf... Franchement, je crois qu’il aurait été correct que... je sois assigné à une tâche héroïque !

Fingäar s’arrêta brusquement. Dogan glissa sur de la glace à moitié fondue et se cogna la tête dans le dos de son collègue maigrichon. L’impact entre son heaume et l’armure de Fingäar résonna longuement. Quelques dragons qui paressaient au sommet des cavernes tournèrent leur attention vers eux. Ses joues rosis, l’humain se dégagea et poussa les longues tresses de l’elfe hors de son visage.

— Je déteste la saison de la naissance, grogna-t-il. La neige fond, tout est glissant ou sale. Les vents froids persistent bien que les soleils s’avèrent éblouissants. Mes pauvres yeux...

Fingäar le fusilla du regard.

— Par la lumière d’Elysia, arrête de te plaindre et de papoter ! J’essaie de me concentrer.

Une fois à l’intérieur, la noirceur de la caverne ne l’affecta que peu grâce à sa vision elfique. À première vue, l’œuf était introuvable. Le nid de paille était vide.

— Étrange, murmura l’elfe pour lui-même.

— Par Elysia ! s’exclama Dogan, alarmé. Les rats ont volé le petit !

Il s’attendait à une réaction plus extravagante de la part de son compagnon qui lui offrit qu’un roulement de yeux.

— Cela serait ridicule ! grogna Fingäar. Franchement… Les rats n’agissent pas ainsi.

Après un moment, il blêmit et ramassa quelque chose au sol qu’il éleva au niveau de son nez. Dans sa paume reposait un objet rectangulaire aux pointes fines et acérées.

— Montre-moi, requêta l’homme bedonnant.

L’elfe tendit la main et Dogan s’empressa d’y jeter un coup d’œil.

— Il a éclos ! s’écria ce dernier. Ce sont des nouvelles merveilleuses !

La coquille arborait une teinte gris foncé dans l’ombre de la grotte, mais en réalité, elle était argentée et veinée de violet.

— Interroge-toi bien sur tes sentiments à ce sujet, conseilla Fingäar. Dois-je te rappeler qu’il s’agit de la progéniture de Gariak et d’Amarath ?

Il scruta les environs avec prudence comme s’il guettait pour du danger.

— Amarath, soupira Dogan avec émotion. Je la trouvais amusante et pourtant, elle était capable d’une agressivité accrue. Elle ne sera pas oubliée, termina-t-il dans un salue respectueux.

Trop occupé à remémorer ses souvenirs de la dragonne, il ne remarqua pas que son compagnon lui lançait un regard noir. Il détourna son attention vers une silhouette tapie au fond de la caverne et pointa en sa direction.

Fingäar s’avança doucement vers la créature ailée. Celle-ci faisait environs deux têtes en hauteur et lavait paisiblement son dos avec la gracieuseté d’un félin. L’elfe fit signe au second garde de rester silencieux. Il ne désirait aucune interférence dans cette tâche délicate. Il s’approcha et Dogan le suivit de près.

Concentré, le pauvre grassouillet n’aperçut pas la branche sur laquelle il marcha. Au son du craquement, Fingäar serra les dents. Le duo s’immobilisa dans l’espoir que le dragonneau ne les remarque pas. Le nouveau-né interrompit sa séance de toilette pour scruter les environs de ses yeux globuleux. Il posa son regard attentif sur les deux gardes. Grognant, il haussa légèrement sa lèvre supérieure, dévoilant une rangée de petits crocs blancs barbelés.

— Tu dois venir avec nous ! ordonna Fingäar.

Le dragonneau n’apprécia guère le ton autoritaire de son interlocuteur et feula comme un chaton.

— Laisse-moi essayer, proposa Dogan.

— Non ! aboya Fingäar.

L’homme bedonnant s’approcha trop brusquement du petit reptile. Ce dernier déploya ses ailes, ressemblants à celles d’une chauve-souris.

— Arrête ! hurla l’elfe en envoyant ses mains vers l’avant comme si ce mouvement allait aider à la situation. Imbécile !

Mais c’était déjà trop tard. Le dragonneau s’élança vers l’avant, sautant sur sa proie et mordant vigoureusement l’armure de Dogan. Fingäar essaya de l’attraper en vain. La créature s’avéra plus rapide que lui. De plus, Dogan ne faisait qu’empirer leurs circonstances en ne cessant de tournoyer maladroitement sur lui-même. À bout de patience, il poussa un hurlement de rage.

De bruyants battements d’ailes étouffèrent son cri.

Qu’est-ce qui se passe cette fois ? résonna une douce voix féminine dans l’esprit de l’elfe.

Un petit problème de dragonneau, avoua Fingäar.

Alors, il a enfin abattu la coquille de son œuf et a obtenu sa liberté.

Il ou elle... Bah ! Peu importe ! Peux-tu venir à mon aide ? Je ne désire point faire du mal à ce jeunot, mais il ne me laissera bientôt plus le choix d’utiliser la force. Même un dragon nouveau-né n’est pas un ennemi à sous-estimer. De plus, tu connais Dogan ; il va perdre son sang-froid si ce n’est pas déjà le cas. 

Bon. Dégagez l’entrée.

Le dragonneau s’accrocha au heaume de Dogan et mordit le métal qu’il tenta de déchirer en vain. Il battit des ailes et, voyant que sa tactique ne fonctionnait pas, commença à griffer. Fingäar essaya désespérément de le contenir, mais le petit dragon lui donna un puissant coup d’aile en plein visage. Étourdit, il recula afin de retirer son propre heaume alors que son adversaire poussa un cri de triomphe. Il effleura délicatement l’égratignure fraîche qui traversait sa joue gauche allant jusqu’à son oreille pointue qui dépassait de ses cheveux, révélant son héritage elfique.

Toujours perché sur le crâne protégé de Dogan, le nouveau-né évita les grosses mains de ce dernier. Patte dans son visage, il se prépara à s’élancer vers sa prochaine cible : Fingäar.

Dogan, aveuglé, jura. Le dragonneau bondit vers l’avant.

Le sol trembla violemment. Un rugissement assourdissant enterra les couinements du nouveau-né. Une énorme tête pénétra dans la caverne alors que le dragonneau continuait ses attaques acharnées sur Fingäar. La nouvelle venue était recouverte d’étincelantes écailles blanches aux reflets bleutés qui passaient pour un gris terne dans la pénombre.

C’était une dragonne, mais pas comme le petit rebelle ; elle était adulte. Elle ouvrit la gueule et un large, mais faible rayon de lumière en jaillit, illuminant tout le refuge. Le petit, qui était maintenant clairement visible, cessa ses activités pour la fixer de ses yeux écarquillés. Ses écailles étaient d’un argenté sublime et ses pupilles étaient minces et sombres.

La dragonne ferma la gueule dans un claquement et le rayon mourut aussi rapidement qu’il en fut né. Elle lança un regard autoritaire au dragonneau qui baissa la tête et qui se dépêcha à l’extérieur. D’un mouvement brusque, elle fit signe aux deux gardes de les suivre.

Dehors, les deux soleils jumeaux brillaient avec puissance. À leur lumière, le groupe put observer le trouble-fête avec aise. Celui-ci possédait un nombre impressionnant de piquants pour son âge bien qu’ils fussent petits et courts. Il était évident qu’ils deviendraient fatals lorsqu’il attendrait sa maturité. Ses canines primaires, plus longues que la normale, l’empêchaient de fermer sa gueule correctement. Ses yeux étaient d’un violet brillant que l’on ne pouvait décrire avec des mots sans en ternir la beauté. Cette couleur était très rare dans la nature ce qui piqua la curiosité de la dragonne blanche.

Le plus étrange dans tout cela était le sentiment d’émerveillement qu’elle ressentait depuis un moment. Comme si on désirait affirmer qu’elle n’était pas folle, une brise à la fois délicate et insistante vint lui chatouiller la colonne vertébrale. Elle cligna et instinctivement, elle tourna le regard. Elle aperçut une silhouette humanoïde qui disparut aussitôt. Le manque de réaction de la part des autres lui indiqua que personne ne l’avait remarqué. Pour confirmer ses doutes à propos de l’identité de l’intrus, elle songea à la belle Elysia, déesse de la lumière et de la vie. Un instant passa et elle eut l’envie de guider ainsi que de protéger le dragonneau aux yeux si inhabituels. Quelle qu’en soit la raison, elle savait qu’il allait devenir important. Mais pourquoi ? Comment ? Que pouvait-il faire de si grandiose à son âge ? Qu’allait-il se passer dans le future proche ?

— Ce dragonneau se taillera une fière parure, complimenta Dogan. Ces yeux... C’est la marque des dragons dieux. Te rends-tu compte de l’honneur qui a été accordé à cette âme ? Sa voie a été tracée très spécifiquement.

— Oublie la parure et les légendes, ronchonna Fingäar sévèrement. Le problème est le comportement. Pour notre sécurité, on devrait le garder enchaîné. La marque des dragons dieux... Ma parole, tu es hilarant. Qui a déclaré que porter des yeux violets avait une telle signification ? C’est une couleur, c’est tout.

— Ne sois pas si austère. Il n’agit que par instinct ; c’est un nouveau-né. Et je crois que les dragons dieux sont toujours présents. Ils nous surveillent.

— Ah... Dogan... Ton cœur est trop tendre, mon frère dragonnier, rétorqua l’elfe après avoir émis un long soupire d’exaspération.

— Et le tien est trop dur, résista l’humain corpulent avec une touche de sécheresse.

Fingäar était conscient que ce dragonneau possédait déjà un tempérament dangereux. Si on ne pouvait lui apprendre les bonnes manières, il deviendrait sûrement violent et potentiellement mortel. Le maigrichon croisa son regard avec grande précaution. La petite créature claqua des dents, signe d’une mise en garde. Dogan n’y porta guère attention. Il s’appuya sur sa lance et sombra dans ses rêveries.

Quelques minutes plus tard, il se raidit comme s’il venait de réaliser à quel point ses actions reflétaient sa paresse.

— As-tu signalé sa naissance à quelqu’un ? marmonna-t-il, toujours somnolant.

— Gûyrinda s’en est occupée, répondit fermement l’elfe, indiquant qu’il était peu impressionné.

Le bedonnant détourna son regard vers la majestueuse dragonne blanche. Celle-ci hocha brièvement la tête afin de confirmer ce qu’avait déclarer Fingäar.

— Gûyrinda, dit avec joie une voix masculine au loin qui semblait sur le point de fredonner.

Gûyrindathrenda, comme l’était son nom complet, leva les yeux afin de mieux discerner celui qui l’avait appelée. Elle reconnut immédiatement le nouveau-venu et baissa gracieusement la tête avant de la relever en signe de respect. Assis sur la selle d’un mâle beaucoup plus costaud qu’elle, Terenas imita les mouvements de la dragonne. Son compagnon possédait des écailles rouge sang ainsi qu’une large et puissante mâchoire. Il s’avéra poli malgré la malice dans ses yeux alertes que Gûyrinda perçut. Grâce à sa grandeur supérieure et à ses longs piques jaillissant de son menton qui formaient une barbiche, il paraissait plus vieux.

— Grand Maître Terenas, lâchèrent Fingäar et Dogan, le saluant.

— Merci de m’avoir avisé de la situation, répondit Terenas.

L’énorme mâle s’arrêta à proximité du dragonneau qui le fixait avec défiance. Il lui rendit un regard fort et confiant. Ses petits yeux cramoisis n’étaient pas aussi bienveillants que ceux de la dragonne blanche ; ils dégageaient une impression dangereuse. Il renifla et une flammèche jaillit de ses narines. Il ignora les grognements de Gûyrinda qui montra ses dents en signe d’avertissement.

— Rendarnusx, saluèrent les deux gardes avec respect.

Rendar renâcla avec impatience. Son cavalier caressa le côté de sa tête en tentant de le calmer.

— Qu’allons-nous faire de celui-ci, Grand Maître Terenas ? demanda Dogan.

— C’est un dragonneau comme un autre, répliqua Terenas avec sévérité. On le traitera comme n’importe quel dragon ; soit avec respect et égalité par rapport à ses actions et à son âge. Dénichez-lui tout simplement un mentor respectable puisque ses parents ne sont pas présents.

Les deux gardes hochèrent la tête et se mirent à la tâche. Dogan parut déçu comme s’il avait espéré une réaction plus vive de la part de son supérieur. Rendar émit un grognement à peine audible. On pouvait toujours discerner de la rage dans son regard. Terenas tapota amicalement ses flancs comme s’il essayait de le convaincre de quelque chose. Secouant vigoureusement de la tête en signe d’abandon frustré, le mâle rouge fit demi-tour et partit.

Gûyrinda avait surveillé le grand dragon écarlate aux premiers signes d’agressivité et d’intolérance vis-à-vis du dragonneau. Préoccupée par la sécurité du petit, elle resta auprès de lui afin d’assurer sa protection.

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