30 - Shawn

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Putain, c'est quoi ce foutu mal de tête ! On pourrait croire que je me trouve tout près d'une scène où un type encore plus disjoncté que Dan martèle la grosse caisse. C'est horrible ! Laissez-moi encore dormir. Pas de bol, le sommeil ne semble plus vouloir de moi. Je me masse la tête, comme un con. Je crois quoi ? Après toutes les merdes que j'ai ingurgités hier, ça ne va pas me passer comme ça. Quelle idée aussi ! Je ne sais même pas pourquoi je suis allé me piquer. Si Josh l'apprend, je suis un gars mort. Surtout que je me rappelle plus ou moins d'avoir foutu un sacré bordel sur scène et… Non ! Je n'ai pas pu faire ça ! Merde ! Bon, cette fois, c'est certain, je vais crever. Le frangin va vraiment péter un câble. Pitié, faites que Miller ferme sa grande gueule, je suis encore trop jeune pour me retrouver enfermé dans une caisse en bois.

Alarmé par ma vision, derrière mes paupières closes, je finis par ouvrir les yeux. Tout tourne autour de moi. Il me faut plusieurs longues secondes pour réussir à faire une mise au point visuel et capter que je suis dans notre jet. Je ne me rappelle même plus comment je suis arrivé jusqu'ici. La seule chose dont je me souviens c'est de Jen se barrant et moi jubilant comme un ado prépubère sur le point de mater un porno.

Je me rassois difficilement sur la banquette sur laquelle je me suis allongée — à moins qu'on m'y ait déposé, je n'en sais foutrement rien — et jette un coup d'œil à mon environnement. Je ne vois que Dan qui se tient droit comme un "I" devant moi. Bras croisés sur sa poitrine, lèvres pincées, visage grave, il n'a vraiment pas l'air commode. Pour me mettre mon seul pote à dos, pas de doute, j'ai plus que merdé.

— T'as fini de dormir, la belle au bois dormant ? grogne-t-il.

Il ne peut pas se la fermer ? J'ai encore plus mal à présent, putain ! Je tente de me relever pour m'éloigner de lui, mais je tremble tellement que mes foutues jambes se dérobent sous moi. Je retombe comme un putain de camé sur le siège. De toute façon, c'est ce que je suis ! Bordel, je me hais d'avoir replongé.

— Oh, Black, je te cause !

Sa voix est pire qu'un marteau-piqueur pour mon crâne.

— Moins fort, merde !

Face à mon grognement, une ride se dessine aussitôt sur son front.

— Tu veux que je parle moins fort ! J'ai bien compris ?

Ouais, il a tout compris, sauf qu'il gueule encore plus fort, l'enfoiré !

J'opine juste du chef. Vu son énervement, je n'ai aucune envie de causer avec un mec qui risque de me prendre la tête.

— Pas de bol pour toi, j'en ai pas envie !

Furax qu'il continue de s'en prendre à moi, je tente de me relever une nouvelle fois. Si je dégage à l'autre bout de la cabine, il va bien comprendre que je n'ai pas envie de causer. Sauf qu'encore une fois, mes mollets ne sont pas foutus de supporter mon poids.

— Va t'occuper de ta femme et de ton gosse, au lieu de me prendre le chou !

Il se tourne d'un quart de tour, sûrement pour jeter un coup d'œil dans leur direction.

— Tu les vois quelque part ? me questionne-t-il en désignant l'intérieur du jet d'une main.

S'il ne se tenait pas devant moi, je pourrais peut-être vérifier par moi-même. Mais, au vu de sa question, je sais qu'ils ne s'y trouvent pas. Je ne suis pas con non plus.

— Tu veux que je te dise où ils se trouvent ?

Qu'est-ce que ça peut me foutre ? Parce que, sincèrement, je suis certain qu'il va s'en servir pour me passer un putain de savon.

— Je m'en tape ! grinché-je.

Comme ligne de défense j'aurais pu trouver mieux si je n'étais pas aussi mal.

Un drôle de sourire se dessine sur ses lèvres. Je ne sais pas s'il se fout de ma gueule ou si je viens de l'énerver encore plus.

J'obtiens très vite la réponse lorsqu'il fond sur moi, me choppe par mon t-shirt et me redresse sur mes pieds comme un moins que rien. J'ai à peine le temps de remarquer son poing serré que je me le prends en pleine tronche.

Putain, l'enfoiré ! Il a pété un câble ou quoi ?

Sonné, je tombe en arrière. J'ai la chance que la banquette amortisse ma chute. J'aurais pu me faire beaucoup plus mal. Une chose est sûre, je vais cesser de le sous-estimer. Certes, il a moins de force que Miller, mais il a une sacrée droite quand même.

Il me fixe un moment d'un regard qui en dit long sur ce qu'il pense de moi, tout en secouant sa main. Il a dû lui aussi le sentir passer. Rien d'étonnant, vu qu'il ne cogne jamais. J'ai plus qu'à espérer qu'il me foute la paix à présent.

— Maintenant que je t'ai remis les idées en place, on va peut-être pouvoir causer un peu tous les deux.

Je ne relève même pas et attend patiemment qu'il me balance sa merde. De toute façon, je sais qu'il n'attend que ça. Avoir mon attention pour me sortir que je ne suis qu'un con. À tort ou à raison ? À vrai dire, je n'en sais foutrement rien.

— Vas-y accouche !

Comme je sais que je vais vraiment en prendre pour mon grade, autant me la jouer insolent jusqu'au bout. Il me snobe un instant, avant de venir s'asseoir à côté de moi. Les bras ballants entre les jambes, il porte son regard vers l'arrière de la cabine. Afin de savoir ce qu'il mate d'un air si grave, je ramène mes yeux dans la même direction que les siens. Miller est assis sur un des sièges, la tête tournée vers le hublot.

— Ça doit bien te faire marrer de le voir dans cet état ?

Je hausse les épaules. Qu'est-ce que ça peut me foutre ?

Est-ce que lui a cherché à savoir ce que je ressentais en sortant avec elle ? Est-ce qu'il a réalisé que j'étais en train de sombrer chaque fois qu'il la tenait dans ses bras ? Que mes démons me tiraient toujours un peu plus bas dès qu'il l'embrassait ? Est-ce qu'il imagine à quel point j'ai eu mal de le voir s'accaparer ma chanson ? Non, bien sûr que non ! Il était bien trop perché sur son petit nuage pour se rendre compte à quel point son meilleur pote était en train de couler. Je faisais juste semblant d'aller bien et s'il avait enlevé ses œillères, il s'en serait rendu compte. C'est de sa faute si j'ai retouché à cette saloperie ! Et maintenant, je devrais lui montrer de la compassion ?

— Ça te fait peut-être ni chaud ni froid de savoir que ton pote va très mal, mais sache que Jen n'a pas cessé de pleurer depuis qu'elles sont parties. Quel genre de gars es-tu pour détruire deux fois la femme que tu dis aimer ?

Je me tourne vers lui, furax, qu'il émette, ne serait-ce que l’idée, que c'est à cause de moi si Jen est malheureuse. Je n'ai fait que lui dire la vérité, putain !

— Je t'arrête tout de suite, avant que tu sortes une connerie ! me lance-t-il en tournant la tête pour me fixer. Jen est amoureuse…

— Ferme-la, Dan ! l'interrompt Miller d'une voix morne.

Tous deux nous tournons les yeux dans sa direction. Il secoue lentement la tête en fixant notre batteur. Son regard me laisse percevoir l'immense chagrin qui le ronge. Le même que celui qui m'a détruit cinq ans plus tôt. Et alors ? Qu'est-ce que ça peut me foutre ?

Quand il se rend compte que je le mate également, sa tronche s'assombrit encore plus. Il me lance des éclairs à travers ses prunelles, avant de pivoter la tête dans sa position initiale.

Dan secoue sa tignasse, dépité et, certainement attristé par cette situation dans lequel je l'ai fourré, malgré lui. Puis, il se lève et va s'asseoir sur un autre siège, loin de moi. Ça me fait chier de le voir s'éloigner, mais je ne lui courrai pas après. Il a choisi son camps. Ce n'est pas le mien, visiblement. Tant pis pour moi, c'est la vie. Je n'allais pas continuer à regarder Miller gagner des batailles sans réagir. Il se croyait invincible, fort de son amour pour elle, pourtant je lui ai donné le coup de grâce. Je l'ai achevé en seulement une phrase. C'est moi le vainqueur dans cette putain de guerre. Je n'en ressors pas indemne, mais ma victoire me permet de garder la tête haute, même si ça m'a coûté une descente aux enfers. Vu à quel point, je me sens mal, physiquement parlant, je me jure de ne plus jamais me laisser tenter. Je risquerai d'y passer si j'en abusais. La vie, ce n'est pas forcément crever en étant stone. Je ne sais pas comment, néanmoins j'ai l'impression que là, dans ce putain de jet, qui me rappelle à quel point je déteste mon père et son fric, je suis prêt à relever les manches pour me battre contre mes démons.

Je me rallonge sur le sofa, les bras derrière la tête et contemple le plafond un long moment. Je n'arrive même pas à ressentir de sentiments, si ce n'est cette rancœur et cette colère qui ne m'a jamais quitté ce dernier mois. Je sais ce que j'ai dit à Jen, que je préférais la voir avec mon pote plutôt qu'un connard comme son ex, ça n'empêche que je n'ai jamais été foutu d'encaisser leur relation. Sans ma promesse à Josh, j'aurais attaqué bien plus tôt. Miller peut remercier mon petit frère, grâce à lui, il a pu profiter d'elle quelques temps en plus.

Je finis par tourner la tête dans la direction des autres musiciens. Dan pianote sur son téléphone. Vu la gueule qu'il tire, les réponses qu'on lui a adressées ne doivent pas le satisfaire. Mon intuition me souffle que son interlocuteur est sa femme et elle doit sûrement lui raconter encore une fois à quel point j'ai brisé Jen. Je porte ensuite un regard sur mon ex-pote, il n'a pas bougé d'un iota. Seules ses épaules se sont affaissées, certainement lié au poids de son chagrin. Un sourire se dessine sur mes lèvres, bien qu'il n'y ait rien d'amusant à cette putain de situation. Je me rappelle juste notre amitié, celle qui nous unissait lors de notre aller. D'amis à la vie à la mort, nous sommes devenus les pires ennemis. Plus rien ne pourra venir réparer ce qui existait entre nous. C'est terminé. L'un et l'autre avons pris des chemins opposés. La seule chose qui nous relie encore, c'est cet espoir qu'au bout de la route, nous retrouverons la sublime Britannique pour laquelle nos cœurs battent sur le même tempo. Je ne suis pas fou non plus, j'ai conscience qu'il y a très peu de chance pour qu'elle me choisisse. Elle doit me haïr autant que lorsqu'on s'est revus, voire plus. Face à cette vérité, mes lèvres se pincent et mon cœur se serre. Pour ne pas sombrer, je ferme les paupières.

Je ne sais pas si je me suis juste assoupi quelques minutes ou endormi plusieurs heures, cependant la voix du pilote me sort de ma léthargie quand il nous annonce d'attacher nos ceintures. Je me redresse péniblement. Mon corps est encore tout rouillé, seul mon mal de crâne semble s'être un peu atténué. Je jette un coup d'oeil sur ceux qui étaient jusqu'alors mes alliés. Miller fixe le vide cette fois. Aucune étincelle de vie ne brille dans son regard. Je l'ai tué. Et cette fois, je ressens un peu de peine pour lui, comme si ce deuxième sommeil avait réveillé mes sentiments. Il était mon frère, je ne l'oublie pas totalement. Je ne peux pas faire comme si toutes ces années où nous avons été potes n'existaient pas. Est-ce que je m'en veux ? Je n'en sais rien, peut-être un peu. Est-ce que je ferais un pas vers lui ? Plutôt crever ! Je n'ai rien d'un diplomate, je suis juste un destructeur. Ce n'est pas la première fois que je détruis quelqu'un à qui je tiens réellement. Shanya en a payé les frais en tout premier. Sans ma grande gueule, elle n'aurait jamais été au courant de notre plan à trois. Miller aurait continué à s'éloigner d'elle comme il le faisait depuis quelques semaines, jusqu'à ce qu'elle ne le supporte plus et qu'elle le largue. Au lieu de ça, comme le connard que je suis, j'ai été vanté nos prouesses au pieu à tout le bahut. Je savais que ça lui retomberait aux oreilles, ça n'a pas raté. Le soir même, elle est venue me demander des explications. Elle voulait la vérité. Face à elle, je n'ai pas ouvert la bouche, contrairement à mon habitude. Mon silence n'a fait que confirmer la rumeur. Elle m'a traité de tous les noms, avant de se barrer sur cette putain de bécane. Quand l'accident a eu lieu, j'ai de suite rejeté la faute sur Miller. Après tout, c'est lui qui sortait avec elle, pas moi. Il a encaissé en silence, comme chaque fois. Il a toujours su porter mes erreurs en plus des siennes sans esclandre. Ce gars mérite que je lui tire mon chapeau juste pour ça. Sauf que ce ne serait pas moi, si je le faisais. Mon vieux m'a toujours enseigné à ne jamais faire de courbettes si on veut survivre dans ce monde de requins. Pour être en haut de l'échelle, il ne faut pas courber l'échine. Même sous les coups les plus rudes. Même quand ceux-là vous lacèrent le dos et vous entraînent au bord de l'évanouissement. N'est-ce pas très cher père ?

Au moment où les portes du jet s'ouvrent, j'enfouis mes putains de sales souvenirs au plus profond de moi. Je regarde Miller se lever. Il avance, tel un automate en direction de la sortie. Dan le suit aussitôt. À mon avis, il n'a aucune envie de le laisser seul. Quant à moi, je reste encore quelques secondes de plus dans la cabine. J'ignore ce que j'attends pour en sortir. La seule chose dont je suis conscient, c'est qu'il vaut mieux que je reste en arrière pour le moment. Quand je rentre à mon tour dans l'aéroport, je suis sidéré par tous les fans qui nous attendent malgré l'heure tardive. Je pensais que nous serions seuls, tranquilles. Je ne leur prête aucune réelle attention. Rien d'inhabituel pour ma part. Ce qui l'est moins, c'est le comportement de notre bassiste. Bien que plusieurs meufs soient prêtes à tourner de l'oeil en le voyant, il ne leur jette même pas un regard. Il avance, comme si elles n'existaient pas. Jen l'a radicalement changé. À moins que ce soit leur rupture. Aurait-il agi pareillement si elle avait été là avec lui ? Je ne crois pas. Ils auraient posé ensemble comme ils le faisaient ces dernières semaines. Comme à chaque fois, leur bonheur m'aurait explosé à la tronche et m'aurait fait un mal de chien. Le voir tel un robot ne me fait pas sentir beaucoup mieux. Parfois, la victoire a un goût amer. C'est clairement le cas, cette nuit.

Dan se prête un peu au jeu, pour ne pas ternir l'image du groupe. Ce n'est pas dans ses habitudes, or ce soir, il n'a pas le choix. Il sourit comme si tout allait bien, alors que nous avons tous trois conscience que c'est faux. Dans un mois, nous n'existerons plus. Les Diamond Angels seront vite relégués dans le passé. Un nouveau groupe à la mode prendra notre relève. Je leur souhaite de ne pas croiser une femme capable de les détruire. Encore une fois, je perds quelque chose à laquelle je tenais vraiment. Comme Shanya. Comme Jen. Comme Jay. Mais cette fois, c'est le groupe, celui que je me suis évertué à pousser vers les sommets. La rancœur me colle encore plus à la peau à présent. D'autant plus que je sais que mon paternel risque de me faire vraiment chier quand il apprendra que je n'ai plus de taf. Il me forcera à le rejoindre dans sa boite de merde. Rien que de penser dans quoi je vais fourrer les pieds et avec qui je vais devoir bosser, j'en suis écoeuré. Plutôt crever que de jouer au lèche-botte de ce type qui n'a su que baiser notre mère, sans jamais aimer sa famille. Seul le fric et la puissance comptent pour ce gars. En tant que fils aîné, il rêve de me voir reprendre le flambeau de son empire. C'est pour ça qu'il m'a élevé à la dure quand il se trouvait à la baraque. Son entreprise, il peut se l'enfoncer où je pense. Je n'en ai rien à cirer, je ne suis pas fait pour ce genre de boulot.

Une caisse, aux vitres teintées, nous attend devant les portes de l'aéroport. À l'arrière, il y a de la place pour au moins six personnes en face à face. Miller y grimpe le premier. Je le suis, en prenant soin de ne pas me tenir dans son champs de vision. Malgré son semblant d'apathie, je ne peux pas être certain qu'il ne finisse pas par me décrocher une droite à un moment ou un autre. Lorsque son chagrin laissera place à sa rage, il vaut mieux pour moi que je me tienne le plus loin possible de lui. Quelques heures plus tôt, avant qu'on se casse pour prendre le jet, j'ai cru que ma dernière heure avait sonné. Jamais, je ne l'avais vu dans un tel état de rage. Heureusement que Tim et Dan ont vite capté de quoi il en retournait. Ils ont fait barrage de leurs corps pour qu'ils ne puissent pas m'atteindre. Il n'aurait pas retenu ses coups, jusqu'à ce que j'en clampse, j'en suis certain.

Dan nous rejoint, puis c'est au tour de notre manager de poser son cul sur un des sièges en cuir. Le trajet jusqu'à l'hôtel se déroule dans un silence de mort. Personne n'ose parler, de peur de voir le monstre qui se tient à distance de moi se réveiller. Enfin, je ne sais pas si c'est le cas pour les autres, mais c'est réellement mon sentiment. Dans cette caisse, avec cette proximité évidente, je ne fais pas mon malin. Dans le jet, nos gardes du corps étaient présents, pas cette fois. Personne ne sera foutu de se mettre entre Miller et moi s'il venait à m'attaquer. Avec son petit gabarit, Leo ne ferait pas le poids. Quant à Dan, il le laisserait me défoncer sans réagir. Je suis sûr qu'il en sera même satisfait, vu ce qu'il m'a balancé dans la tronche. Mon nez s'en souvient encore.

Une demi-heure plus tard, nous sommes devant l'hôtel dans lequel nous allons passer le reste de la nuit et la suivante. C'est le plus ancien que possède la famille Johnson. Contrairement à ceux détenus par les Hollister, il n'en ressort aucun charme. En même temps, je m'en tape un peu. Tout ce que je demande, c'est d'avoir un lit dans lequel je peux pioncer encore durant quelques heures. La seule chose qui m'emmerderait, ce serait que l'autre conne se trouve ici également. Je n'ai franchement pas envie de la voir.

Je reste dehors quelques secondes, à mater ce bâtiment aussi gris que tous ceux qui l'entourent. Puis poussé par Leo, j'entre dans ce building. Et là, je sens que la galère arrive. Josh se tient debout à quelques pas de l'entrée, le regard si noir que j'en détourne la tête. Rien qu'à son air, je capte qu'il sait à quel point j'ai merdé. Il salue d'un vague signe de tête les autres membres de mon staff, s'arrête quelques instants sur Miller, qui ne lui prête même pas attention, avant de se retourner vers moi. Bras croisés sur la poitrine, lèvres pincées, il me rappelle notre batteur quand je me suis réveillé dans le jet. Durant plusieurs secondes, il ne bouge pas et ne dit rien. Je flippe. Je ne l'ai jamais vu si furieux. J'aimerais bien savoir qui lui a parlé, histoire d'arracher la langue à ce fumier. Il doit m'en vouloir à mort s'il a appris que je me suis piqué et que j'ai détruit ce qu'il y avait entre son pote et Jen.

Pour tenter de m'extraire de cette putain de situation qui risque de très vite dégénérer, j'émets un bâillement bien sonore, genre de dire " tu me fais chier frangin, casse-toi ! ". Un drôle de sourire naît aussitôt sur ses lèvres tandis que l'un de ses sourcils se hausse. Il se fiche pas mal que je sois claqué ou non. Son message est parfaitement clair. Il n'a pas l'intention de me foutre la paix, alors autant attaquer le premier.

— Qu'est-ce que tu branles ici ? lancé-je, hargneux.

Son éclat de rire, froid à vous glacer l'âme, me laisse pantois. Où est mon frère ? Ce gars porte son enveloppe charnelle, mais il n'a rien à voir avec lui. Jamais Josh ne m'aurait ri de cette manière au nez. Perturbé, je recule d'un pas afin de mieux l'observer. Ce que je vois, alors qu'il se tord en deux, ne me plaît pas. Mais alors, pas du tout. Et c'est encore pire, lorsque, brutalement, il retrouve son sérieux. Tout en lui me rappelle notre vieux. Espérons seulement qu'avec l'âge, il n'ait pas pris également sa folie.

— Tu me demandes ce que je fous ici ? J'espère que tu te fous de ma gueule ?

Son ton est dur. Tranchant même. Il me scrute attentivement comme s'il cherchait vraiment à savoir si je me moque de lui ou non. J'en ai aussitôt confirmation quand il me balance :

— Bordel, mais c'est qu'il est sérieux en plus !

— Ouais, je le suis ! Je viens de me taper six heures de vol après notre dernier concert et je n'ai qu'une envie, me pieuter. Alors si t'as des trucs à me dire, ça attendra demain !

Je tente de me diriger vers le comptoir, mais j'ai à peine le temps d'effectuer un pas, qu'il me retient par le bras. D'un mouvement sec, j'essaie de me dégager de son emprise, même si je sais qu'avec sa force, j'ai très peu de chance de le faire lâcher.

— Je t'ai dit que si tu déconnais, l'un de nous quatre serait là pour te foutre un putain de coup de pied au cul. Et avec ce que j'ai vu, j'ai bien l'intention de m'y coller.

Ce qu'il a vu ? On était séparés par des milliers de kilomètres. Là, je suis clairement paumé. Moi qui croyais qu'un des gars avaient cafté, j'ai tout faux.

— De quoi tu parles, bordel ? lui demandé-je, tout en secouant la tête dans l'incompréhension la plus totale.

Il me regarde en fronçant les sourcils, comme s'il cherchait à en apprendre encore plus que ce qu'il ne sait déjà.

— De la merde que t'as foutu sur scène. T'étais déchiré ou quoi ?

Putain, comment il sait ça lui ? Cette fois, c'est à mon tour de laisser mes sourcils se froncer.

— Depuis que t'es reparti d'ici, j'ai suivi la diffusion de la plupart de tes concerts.

Je savais que certains étaient retransmis, mais j'ignorais que la majorité l'était. Va falloir que j'en touche deux mots à Leo. Quoique… au point où nous en sommes, je ne suis pas très certain que ce soit bien utile.

— Et en quoi ça te concerne ? finis-je par lui demander.

— Est-ce que oui ou non, tu t'es shooté ?

Malgré moi, je frotte mon bras à l'endroit où j'ai planté hier matin cette putain d'aiguille. Ce geste n'échappe pas à mon frangin, qui, aussitôt, fonce sur moi pour me décoller une droite. Bordel de merde ! Mon nez pisse le sang à présent. J'en ai ma claque de me faire cogner ! Hors de moi, j'essuie le sang dans un geste rageur du revers de la main, avant de le repousser avec violence.

— Vire ton cul d'ici ! tonné-je.

— Désolé, frangin, mais ça ne marche pas comme ça ! Je ne bougerai pas tant qu'on aura pas discuté des raisons pour lesquels t'as fait ça.

Comme l'hémoglobine continue à s'écouler, je me pince les naseaux pendant plusieurs minute. Un silence s'abat sur nous durant lequel nous nous affrontons du regard.

J'ai le putain d'espoir qu'il me foute la paix lorsqu'il se met à faire les cent pas devant moi, une main sur sa nuque. Quand il agi de la sorte, c'est qu'il réfléchit.

— Je te suis dans ta piaule et tu vas tout me raconter, finit-il par me lancer.

Oui, papa, ai-je envie de lui répondre, mais je ne ferais qu'attiser ses foudres un peu plus. Vaincu – en même temps, il me laisse aucune marge pour m'extraire de cette situation merdique – je souffle un long coup, avant de me diriger vers la réception pour y récupérer ma clé de chambre. Josh se montre pire que mon ombre à me suivre à la trace de la sorte. Une vraie glue, ce mec !

Arrivé dans la suite, situé au quinzième étage, j'observe plusieurs minutes la décoration. Elle est tellement basique, même pour une chambre sensée être luxueuse, qu'elle ne me fait ni chaud ni froid. Contrairement à ici, les hôtels Hollister me donnaient l'impression d'être dans un cocon. Un peu comme si j'étais à la maison. Tandis que le frangin se rend dans l'une des deux pièces adjacentes je pars m'installer sur le canapé, au goût plus que douteux. Je me demande ce que mes prédécesseurs ont pu y faire pour qu'il soit dans un tel état. Si bien que je regarde par deux fois, s'il n'y a pas une capote ou un truc du genre planquer dans les interstices ou derrière les coussins. Je finis par m'y affaler, les jambes étendues devant moi, dans une attitude nonchalante. Le saignement de mon nez s'est atténué, il ne doit pas être pété. Du moins, j'espère.

— Tiens, fous ça sur ton nez ! m'intime Josh en me balançant une serviette humide en plein torse.

Je m'empare du linge et l'applique aussitôt sur l'endroit douloureux. Le froid me fait du bien, je dois l'admettre. Josh ne dit rien, d'ailleurs il se contente de me regarder, une drôle de lueur dans son regard. Je ne sais pas a quoi il pense et ça me fait chier de le voir m'observer comme si j'étais un foutu extraterrestre, débarqué d'une horrible planète, qu'il crèverait d'envie de disséquer. J'émets un nouveau bâillement, qui, cette fois-ci n'est pas feint. Et revoilà son froncement de sourcil. Je vais vraiment finir par croire que ça fait partie de lui.

— C'est bon quoi ? Je suis juste claqué…

— Et pour cause… Je vais te dire moi, je suis en pleine forme. Je me suis tapé un roupillon avant ton arrivée. J'ai donc toute la nuit pour discuter.

Bordel ! Si je veux dormir un peu plus j'ai le choix entre tout lui balancer ou me la fermer et le virer à coup de pied au cul. Malheureusement pour moi, je n'ai pas assez de force pour opter pour le second choix. Du coup, je sors tout ce qui m'a rongé ce dernier mois pour en arriver à cet extrême. À plusieurs reprises, il secoue la tête, sûrement atterré par ce qu'il entend. Lorsque je termine ma tirade, il arpente la pièce de long en large, sa main sur sa nuque. Il est tendu. Vraiment tendu. Ce qui ne peut signifier qu'une seule chose, que je risque vraiment d'en chier.

— Putain, merde, Shawn ! Tu m'avais promis de passer à autre chose ! s'emporte-t-il en s'arrêtant net devant moi.

Comme si c'était aussi simple que ça ! J'ai essayé les deux premières semaines, en me forçant à regarder ailleurs, mais ça a été plus fort que moi. Je n'ai pas pu combattre ma jalousie. Elle était là, sournoise, à se foutre de ma gueule. Il fallait que je la fasse taire pour ne pas qu'elle gagne. Me shooter et foutre la merde à été ma seule arme.

— C'était trop dur. J'ai pas pu.

Son regard me transperce comme s'il tentait de fouiller sous mon crâne à la recherche d'info que je ne lui aurais pas fourni. Je me sens mis à nu et c'est vraiment désagréable comme sensation. Pour reprendre un peu contenance, je me redresse légèrement, puis enfonce mes mains dans mes poches. D'un coup, alors que je ne m'attends plus à aucune réaction de sa part, sa mâchoire se décroche. Il reste ainsi deux, trois secondes avant de me mitrailler des yeux.

— Ne me dis pas que si Jay tirait la tronche, c'est que t'as foutu la merde entre lui et sa copine.

Non, je ne le dirais pas, mais c'est exactement ça.

Comme un gamin pris en faute, je baisse la tête. Saleté de corps ! Un vrai traître celui-là !

— Qu'est-ce que t'as foutu ?

Sa voix ne me laisse aucun doute sur sa colère. J'ignore sa question en gardant le silence. Je pense que c'est le mieux, toutefois je réalise très vite que j'ai tort lorsqu'il se jette sur moi pour me forcer à me redresser en me chopant par mon colbac. Écrasé par sa hauteur, je me sens minable d'un coup.

— Je t'ai posé une question, alors tu vas y répondre, bordel !

Je déglutis difficilement devant sa rage. Là, de suite, je n'ai plus trop envie de faire le malin face à ce gars que je reconnais à peine.

Comme ma réponse ne lui parvient pas assez vite, il me secoue comme un prunier. À croire que ce geste pourrait faire sortir les mots plus vite de ma bouche. Je tente d'un mouvement sec de lui faire lâcher prise pour qu'il cesse son petit manège avec moi. En vain. Sa fureur a dû démultiplier ses forces.

Claqué, je finis par rendre les armes, que je jette à ses pieds sous forme de vérité. Sonné par ce que je viens de balancer, Josh me repousse violemment. Surpris, je n'ai pas le temps de me rattraper et mon cul percute le sol avec force. Ça fait un mal de chien, putain ! Incapable de me relever, je reste là où je suis a observer mon frangin s'arracher les tifs.

— Pourquoi ? tonne-t-il. Tu sais autant que moi que cette histoire de gosse, c'est de la merde. Cette salope s'est servi d'un moment de faiblesse de Jay pour lui soustraire du fric. D'ailleurs, excuse-moi du peu, mais j'ai toujours du mal à y croire.

Pour tout dire, moi aussi j'ai du mal a y croire. La meuf est réapparu comme par enchantement quatre ans plus tard, alors que Jay luttait contre la presse pour se faire blanchir. Elle l'a traîné devant le juge pour réclamer une putain de pension alimentaire. Quand il m'en a parlé, je lui ai dit qu'il devait obtenir un test de paternité. Avec les nanas de son genre, ça aurait pu être n'importe quel couillon. Je ne sais pas s'il l'a fait, il ne m'en a jamais parlé. Pour être honnête avec moi-même, je me suis toujours dit qu'il n'avait pas osé, qu'il avait accepté cette pseudo-vérité sans broncher. Plus tard il m'a avoué que l'homme de loi, ou plutôt la femme, lui avait ordonné de payer une coquette somme tous les mois et de se tenir loin de son gamin. L'avocate de l'autre pétasse s'est appuyée sur ce que tous les magazines de merde disaient de lui : criminel, homme violent et j'en passe. Jay s'est laissé faire, se contentant d'accepter sa sentence. Je me suis toujours demandé pour quelles raisons, il n'a pas pris de représentant pour le soutenir devant la juge.

— Je t'ai toujours vénéré, grand frère. Tu es mon idole depuis des années, celui capable d'encaisser la haine de notre père en redressant toujours fièrement la tête, celui qui prenait ses coups pour nous, sans jamais nous le reprocher.

Il laisse passer un long silence durant lequel il me regarde, un voile de tristesse recouvrant ses prunelles. Face à cet aveu d'amour fraternel, je ferme ma gueule.

— Au final, t'es comme notre vieux. Un salopard. Tu ne sais pas aimer, Shawn !

Sur ce, il me laisse en plan sans même se retourner. Malgré moi, je viens encore de détruire quelque chose. Mon frangin me déteste maintenant. Et ça, c'est le plus dur à encaisser. Mes frères et soeurs étaient tout ce qu'il me restait. Désormais, à cause de mes conneries, je suis seul au monde, complètement paumé.

Est-ce ce que tu désirais, cher père, que je devienne un putain de solitaire pour faire de moi un requin des affaires à ton effigie ?

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