24 - Shawn

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Putain, j'ai l'impression qu'un trente-six tonnes m'a roulé dessus. Ce connard ne m'a vraiment pas raté. Avec l'adrénaline et la fureur qui coulaient dans mes veines hier soir, je ne me suis pas rendu compte à quel point il m'a explosé, ce fils de pute ! Par contre, ce matin c'est à peine si j'ai pu sortir du lit et descendre prendre mon petit-déjeuner. Mon nez et mon arcade me font souffrir le martyr. C'est à peine si je peux ouvrir l'oeil. S'en prendre à un ancien boxeur revient à se jeter dans un précipice sans harnais de sécurité, mais je n'avais pas le choix, bordel ! Cet enfoiré m'a volé la femme de ma vie, putain !

En route pour l'hôpital, je n'arrête pas de revoir leurs mains enlacées. C'est tellement dégueu que ça me file la gerbe. Je n'ai pas cessé d'y penser toute la nuit. Lui, elle, ensemble. C'est impossible ! Et dire que je croyais comme un con qu'il n'y avait plus rien entre eux. J'étais persuadé qu'elle était sur le point de me pardonner. On s'entendait tellement bien depuis l'après-midi que nous avions passé ensemble. On passait beaucoup de temps au téléphone. Bon d'accord, une bonne partie de nos conversations tournaient sur le plan professionnel, mais pas toutes. J'arrivais parfois à la faire rire. Je n'arrive pas à comprendre. Je suis complètement paumé. Pourquoi ? Comment ? Il a fallu une fraction de seconde pour que mon rêve vire au cauchemar.

Qu'est-ce qu'il a de plus que moi, putain ? Je lui aurais donné tout ce qu'elle désirait. Je l'aurais couverte de cadeau pour lui prouver à quel point je suis dingue d'elle.

Merde, ça fait mal, pire que toutes ces douleurs qui ravagent mon corps. Cette trahison ressemble à l'enfer, en pire.

Ce salopard m'a laissé croire qu'elle ne l'intéressait pas plus que ça, qu'il ne voulait pas me perdre à cause d'une femme et il continue à la baiser comme si de rien n'était. Cet enfoiré m'a planté un coup de poignard dans le dos. Je suis fou de colère. Fou de douleur. Ils m'ont arraché le cœur et le piétinent sans relâche. Mes yeux me brûlent et les larmes menacent de se déverser de chaque côté de ma gueule. Les paupières closes, je me masse les tempes pour tenter de contenir mon chagrin. Hors de question de craquer devant Dan. Il serait bien foutu de rapporter à l'autre fumier à quel point le savoir avec elle me dévaste. Je ne sais même plus ce qui est le plus dur à encaisser qu'il m'ait trahi ou qu'elle se soit joué de moi.

— Ça va ? me questionne notre batteur.

Qu'est-ce que ça peut lui foutre ? Et surtout en quoi ça le regarde ?

Je tourne ma gueule en direction de la vitre passager pour bien lui faire comprendre que je n'ai aucune envie de causer.

— Shawn ?

Son insistance me fout la hargne. Je n'ai pas envie de parler, ce n'est pas compliqué à capter, si ? Je lui lance un regard noir pour bien lui faire comprendre qu'il vaudrait mieux qu'il se la ferme une bonne fois pour toute.

— Pas la peine de vouloir me flinguer, mec. Je sais que ce ne doit pas être simple...

Je pars dans un éclat de rire, dont le son n'a rien de mélodieux. C'est même tout l'inverse, cynique, froid à vous glacer l'âme. Pas simple ? Le mot est faible pour décrire ce que je vis. C'est tellement dur que j'ai l'impression de suffoquer à chaque seconde. J'aurais préféré crever que de me prendre ce putain de sale coup dans le dos.

— Ferme-la, Winston ! Juste, ferme-la !

Il secoue la tête, dépité, néanmoins il ne revient pas dessus. Tant mieux. Je viens de perdre mon meilleur pote, je ne souhaite pas en perdre un second. S'il avait continué à la ramener, vu la rage qui coule dans mes veines, on aurait fini par se prendre la tête.

Le reste de la route jusqu'à l'hôpital se fait dans un silence de mort. Si d'habitude, je déteste ce genre d'ambiance, là je l'apprécie à sa juste valeur. Ça me laisse le temps de réfléchir à toute cette merde.

J'ai agi comme un con en embrassant Jen de force Je m'écœure en me souvenant de comment je l'ai bloquée contre moi pour poser mes lèvres sur les siennes. Son goût était divin, mais je n'aurais jamais dû faire ça, putain ! Qu'est-ce qu'il m'a pris ? J'avais tellement l'impression de me faire prendre pour un con, que j'ai agi sans réfléchir. C'était plus fort que moi ! Si je veux la moindre chance qu'elle revienne vers moi, il va déjà falloir que je me fasse pardonner. Lorsque je l'aurais fait, je pourrais lui ouvrir les yeux sur Miller, parce que je reste persuadé qu'il n'est pas sérieux avec elle. C'est carrément inconcevable. Ce n'est pas lui. Je le connais par cœur, les histoires sérieuses, il n'en veut pas. Tôt ou tard, il finira par la blesser, comme il l'a fait avec Shanya. Son père lui a trop retourné le cerveau et pour lui les meufs ne servent qu'à se vider les couilles. Rien que de penser qu'il utilise Jen pour ce genre de choses me file les jetons. Heureusement que la caisse s'arrête parce que je suis sur le point de péter un câble.

Sans demander mon reste, je sors de ce putain d'endroit qui me paraît un peu trop étroit pour contenir ma fureur. Je claque la portière dans un foutu élan d'humeur, avant de me diriger vers l'entrée de l'hôpital. Il vaudrait mieux que personne ne se foute en travers de ma route, faute de quoi je risque de passer mes nerfs sur lui ou elle. Peu importe, de toute façon le résultat sera le même.

— Shawn, attends ! entends-je Dan m'appeler.

Je ne me retourne même pas. S'il n'est pas content, il n'avait qu'à pas me suivre. Je ne lui ai rien demandé, moi ! J'aurais très bien pu me démerder tout seul. Pas besoin d'un deuxième père. J'en ai déjà un et pour ce qu'il me sert...

Dès que j'entre dans l'établissement, je pars à la recherche des urgences. Dans mon malheur, je suis plutôt chanceux. L'endroit où je dois me rendre est clairement indiqué sur un panneau accroché au mur.

Je longe un très long couloir, avant d'y arriver. Et quand je dis long, je ne déconne pas, il m'a bien fallu cinq bonnes minutes pour parvenir jusque là.

Dan et Tim sur les talons, j'entre dans la salle d'attente. Plusieurs mâchoires se décrochent en me voyant débarquer. Putain, j'ai oublié de foutre ma tenue de camouflage. Encore la faute de ce connard de Miller. Ben, quoi, faut bien un fautif ? Quelques fans, pas trop mal en point, se déplacent jusqu'à moi. De mon œil valide, je les snobe royalement. Dan joue son rôle à la perfection pour ne pas que l'image du groupe soit entachée par mon attitude. De toute façon, je m'en tape. Je ne suis même plus sûr de vouloir continuer. Bosser avec Miller ne va plus être possible. Soit Leo trouve un autre bassiste, soit je me casse. Je me fous totalement de faire exploser le groupe. J'ai de quoi assurer mes arrières. Une place toute chaude m'attend depuis des années auprès de mon père, qui sera ravi de me voir débarquer la queue entre les jambes.

D'un mouvement circulaire du regard, je cherche une place de libre pour y poser mon cul. Au moment où j'en trouve une, mon monde cesse de tourner. Jen se trouve assise juste à côté de cette chaise. Elle mordille son pouce, certainement inquiète. Mon cœur rate plusieurs battements en la voyant si splendide, mais cesse de battre lorsque je réalise que si elle est là, il y a de fortes chances que ce soit pour lui. Je fouille la salle des yeux afin de déceler sa présence. Ne le voyant nulle part, je me dis que je me suis peut-être planté. Elle pourrait avoir un problème de santé, qui sait ? L'accident aurait pu lui laissé bien plus de séquelles que ce qu'elle m'a dévoilé. Inquiet, je me dirige vers elle pour tenter d'en apprendre plus.

— Cette place est prise, m'informe-t-elle alors que je vais pour m'y asseoir.

— Je ne vois personne pourtant.

Jouer au con peut être dangereux, mais je ne parviens pas à faire autrement. Son regard glacial me hérissent les poils. J'aurais plongé sous la banquise, je n'aurais pas été moins refroidi.

— Ça n'empêche. Je n'ai aucune envie que tu t'assois à côté de moi.

Ni de discuter, vu la façon dont elle me tourne le dos. Je reste debout comme un idiot devant elle, sans savoir quoi faire de mes mains, avant de me décider à n'en faire qu'à ma tête. Elle va me haïr, mais rien à foutre. De toute façon, c'est la seule place dispo dans cette foutue salle et je suis bien trop claqué pour rester sur mes pieds

— Tu le fais exprès ou quoi ? s'emporte-t-elle en me fusillant du regard.

Je hausse les épaules avec nonchalance. Son expression de dégoût à mon égard me laisse facilement comprendre qu'elle n'est pas prête à me pardonner. En à peine une soirée, j'ai brisé le peu de confiance qu'elle m'accordait depuis quelques jours. Qu'est-ce que je croyais ? Que je pouvais foutre la merde sans en payer les conséquences ? J'ai dû me planter quelque part, pas possible autrement. Je devrais peut-être accepter de la laisser partir avec Jay. Sauf que c'est inconcevable, mes sentiments pour elle sont encore trop fort pour que je la laisse m'échapper sans me battre. J'en crèverai s'il le faut, mais elle me reviendra. En attendant, je dois commencer par m'excuser si je souhaite qu'elle cesse de me voir comme un sale enfoiré qui l'a embrassé de force et s'est battu avec son mec... putain, rien que de songer à ces deux mots accolés, ça rouvre une putain de blessure au fond de mes tripes. Je caresse d'instinct le tatouage à l'intérieur de mon bras. Je veux encore pouvoir y croire.

— Je suis désolé, Jen pour ce que je t'ai fait.

Elle me dévisage comme si je venais de lui révéler que le Royaume-uni a été submergé par les flots. Pas la peine qu'elle dise quoi que ce soit pour comprendre qu'elle ne croit pas que je puisse être sincère.

— Je n'en ai rien à foutre de tes excuses, Black ! Je t'ai redonné un peu de confiance et tu l'as bousillé en moins de deux. De toute façon, c'est tout ce que tu sais faire, bousiller la confiance des autres.

Les éclairs dans ses magnifiques prunelles renforcent la violence de l'uppercut qu'elle vient de me balancer à travers ses mots. J'essaie de prendre sur moi, pour ne pas lui montrer qu'elle vient de me toucher en plein coeur. Les paupières closes, j'encaisse à ma manière. À cet instant, je revois leurs échanges de regard, plein de désir. Ça me fout l'estomac en l'air, tellement c'est répugnant. La douleur me submerge à nouveau et ramène avec elle la colère.

— Tu veux vraiment parler de confiance ? T'en es sûre ? Parce que j'en ai pas mal à sortir de ce côté-là aussi !

Dépitée, elle secoue la tête, avant de se lever et de s'éloigner de moi aussi vite que possible. Furieux qu'elle tente de s'échapper ainsi sans écouter ce que, moi, j'ai à lui dire, je la rattrape et la force à me faire face, en saisissant son coude. D'un mouvement brusque, elle se dégage de mon emprise, croise les bras sur la poitrine et me laisse comprendre à travers sa mine aussi fermée qu'une huître, qu'elle n'a pas envie de m'entendre. Rien à battre ! L'armure, que je viens de créer autour de mon coeur, permet de me protéger de toutes les attaques qu'elle pourra lancer. Je suis prêt à l'affronter, quoi qu'elle dise. Placé la confiance en première ligne est la pire stratégie qu'elle pouvait employer pour me tenir loin d'elle. En balançant ça, elle ne fait qu'attiser ma colère. D'une poigne ferme, qui l'empêchera de me tourner le dos, je la maintiens par les épaules.

— Laisse-moi, Shawn ! m'ordonne-t-elle en tentant de retirer mes mains de leur emprise.

— Pourquoi ? T'as la trouille que je te sorte quelque chose qui ne te plaise pas, chaton ?

D'un regard, elle me transmet tout le bien qu'elle pense de moi. Même si ça me touche, je ne faiblis pas. Hors de question de lui montrer qu'elle m'atteint encore une fois.

— Ne m'appelle plus jamais comme ça ! Nous ne sommes plus ensemble, fous-toi bien ça dans la tête, Black ! Et retire immédiatement tes mains de là, avant que je fasse un esclandre !

J'adore quand elle sort les griffes. Une véritable tigresse, ma petite Jen.

Je suis sûrement dingue, mais à cet instant je crève d'envie de poser ma bouche sur la sienne. Toutefois je me reprends, avant de me recevoir une nouvelle baffe. Malgré toutes mes autres douleurs, ma joue se souvient encore de celle qu'elle m'a foutu hier. Jamais, je n'aurais cru qu'elle avait autant de force. Elle paraît si frêle quand on la voit.

Je relâche ma prise afin de m'éloigner d'elle sans pour autant la quitter des yeux. Si elle a le malheur de se barrer, je la rattraperai en moins de deux. Elle doit m'écouter, je ne lui laisse pas le choix !

— D'un, je t'appelle comme je veux. De deux, ça me branche bien de reparler de cette histoire de confiance. Parce que là j'ai grave l'impression de m'être fait prendre pour un con.

— Arrête, tout le monde nous regarde !

Je jette un coup d'oeil au reste de la salle. Elle a raison. Plus personne ne parle et tous nous observe avec le plus grand intérêt. Dan et les jumeaux se tiennent assez proches au cas où j'irais trop loin. De voir le batteur se tenir prêt à protéger les intérêts de Miller me fait rire jaune. Au moins, je sais de quel côté il s'est rangé. À cette allure, je vais finir par me retrouver seul et ça me gave, putain !

— Tu avais tout calculé, n'est-ce pas, chaton ? Me laisser croire que nous deux on pourrait reprendre, alors que tu ne rêvais que de baiser avec mon pote ! C'était quoi le but du jeu, hein ?

— Je ne t'ai jamais laissé croire qu'on pourrait reprendre quoi que ce soit ! Je me suis tenue...

— Vraiment ? Tu veux que je te rappelle ce que tu m'as dit exactement ?

Sidérée, elle écarquille les yeux. Apparemment, elle a la mémoire très courte. Pas moi, surtout lorsque ça la concerne. Dommage pour elle !

— Tu m'as dit qu'avec le temps, tu pourrais réussir à me pardonner. Pour moi, ça veut tout dire. Tu ne m'aurais jamais sorti un truc pareil si tu ne voulais pas me laisser une nouvelle chance !

Elle éclate de rire. De la voir si hilare me blesse, car elle se fout littéralement de ma poire. Il n'y a pourtant rien de drôle. Ce sont juste ses putains de mots.

— Tu as tiré tes propres conclusions. Oui, j'aurais pu te pardonner si tu n'avais pas joué au con hier, mais je n'ai jamais envisagé de me remettre avec toi ! Jay me plaît beaucoup et je suis en train de tomber amoureuse de lui.

Cette bombe m'explose à la gueule sans me prévenir. Non, elle ne peut pas avoir ce genre de sentiments pour lui. Il ne lui apportera rien de bon. Putain, il faut qu'elle ouvre les yeux. Jay n'est pas du genre à s'attacher. Une fois qu'on sera reparti de l'autre côté de l'Atlantique, il l'oubliera. Si ce n'est pas avant.

— Parlons du gars en qui j'ai toujours eu confiance et qui m'a trahi. Le jour où il le pourra, il te plantera un couteau dans le dos, comme il l'a fait avec Shanya. Elle aussi était amoureuse de lui et elle ne s'en est jamais remise. Tu veux que je te dise comment je le sais ?

Elle mordille l'ongle de son pouce et secoue la tête. Elle sait que ce que je m'apprête à lui dire va faire mal. Très même. Quand elle saura la façon dont il a brisé les rêves de son ex, elle ne pourra que le détester. Leur bel idylle prendra fin. Je m'en réjouis d'avance.

— Ferme-la, Black ! Ce n'est pas à toi de lui en parler, entends-je dans mon dos.

Je jette un rapide coup d'oeil sur Miller par dessus mon épaule. Il s'avance vers Jen, très mal à l'aise. Encore mieux. Je vais pouvoir faire d'une pierre deux coups.

Il se penche sur elle, avant qu'elle ne hoche la tête pour accepter ce qu'il vient de lui proposer. Mon estomac se révulse quand je le vois poser ses lèvres sur celles de la femme que j'aime. La douleur est telle que je ne réfléchis même pas avant de parler. Je veux que tous deux souffrent autant que moi.

— C'est ma cousine et elle faisait aussi partie du groupe. Demande à ce connard de quelle manière il a brisé ses rêves.

Quand elle darde son regard sur Miller, je pense avoir touché la bonne corde. C'est pourquoi je ne m'attends pas une seule seconde à ce qu'elle hausse un sourcil en portant ses yeux sur moi.

— Et ? En quoi ça me regarde ? Lui, il lui a peut-être brisé ses rêves, mais toi, tu as brisé ma vie, Shawn. Et si je commence à aller mieux, c'est grâce à lui.

Elle me fusille une dernière fois du regard, avant de s'éloigner à toutes jambes de moi. Je reste comme un con, les bras ballants, blessé par cette stricte vérité. Miller me bouscule d'un coup dans l'épaule pour m'amener à lui faire face.

— Ne t'avise jamais à lui raconter toute l'histoire ou je te jure que tu franchiras ces portes plus vite que tu ne le souhaites, me menace-t-il en désignant l'entrée derrière lui.

— Éloigne-toi d'elle ou je te promets de te faire regretter chaque instant que tu passeras à ses côtés.

D'un signe de tête, il me montre son désaccord. J'enfonce les poings au fond de mes poches pour ne pas lui décrocher une nouvelle droite devant nos fans, même si l'envie m'en démange.

— Dis-moi, Shawn, tu préfères la voir heureuse avec Jay ou malheureuse avec un connard qui la fera souffrir ? intervient Dan. Que tu le veuilles ou non, elle ne reviendra pas avec toi. Même s'il s'éloigne d'elle, elle en trouvera un autre. Tu l'as trop blessée pour qu'elle puisse envisager une nouvelle histoire avec toi.

Comment peut-il oser me parler ainsi ? Putain, ce n'est pas possible ! Ils se sont tous ligués contre moi, ma parole ! Malgré tout, je m'attarde quelques secondes sur sa question. Est-ce que je préfère la savoir heureuse avec Miller ou bien malheureuse avec un connard ? Pour être honnête, je préfère envisager la première. La voir malheureuse me tuerait encore plus que de la savoir heureuse avec lui. Je devrais accepter qu'ils aient envie d'être ensemble, mais je n'y parviens pas. C'est plus fort que moi, je me sens tellement trahi. Puis, merde, ça fait cinq ans que je l'imagine dans mes bras et crève d'envie de reprendre là où nous en étions restés. Comment puis-je, si près du but, laisser tomber mes rêves ?

— Elle est à moi ! grogné-je.

Vu ainsi, je peux paraître égoïste et possessif. Je le suis... certainement.

— Elle n'est pas à toi, mec ! me lance Miller. Ni à moi d'ailleurs. Jen n'est pas un objet que l'on peut posséder au même titre qu'une basse ou une guitare. C'est juste une fille sublime dont je suis tombé amoureux, que tu le veuilles ou non.

Ces mots sont le coup de grâce qui m'achève, tout en faisant bouillir mon sang un peu plus. Comment vais-je pouvoir me battre encore alors qu'ils éprouvent tous les deux les mêmes sentiments ?

— Je suis désolé, Shawn. J'aurais préféré que ce ne soit pas le cas.

Sur ce, il se barre à son tour, sans me laisser le temps de répliquer. Usé, je me laisse tomber à même le sol. Mon cœur meurtri pleure sans me laisser une seconde de répit. Quand je relève la tête, plusieurs personnes sont en train de me filmer. Putain de bordel de merde ! Je bondis sur mes pieds avec un très fort désir de leur arracher leurs foutus smartphones des mains et l'éclater contre le mur. Le rouge colore ma vision, si bien qu'il me faut plusieurs secondes pour réaliser que les jumeaux s'occupent déjà de ce foutoir. Je n'imagine même pas la réaction de Leo s'il aperçoit une seule de ces vidéos sur les réseaux sociaux. Il va nous tuer et il y a de fortes chances que ça remonte à nos producteurs, puis à mon père. Fait chier !

— Comment tu te sens ? demande Dan en se laissant glisser à son tour sur le carrelage blanc.

Même si sa compassion me gonfle, je hausse les épaules. Pour l'heure, je me sens si sonné, que je n'ai même pas envie d'en discuter.

— Je connais Jay, certes, pas aussi bien que toi, mais je ne l'ai jamais vu comme ça. Tu devrais lui laisser une chance de la rendre heureuse.

J'aimerais bien l'y voir si je lui tenais le même discours en parlant d'Haley. Quelque chose me dit qu'il n'apprécierait pas beaucoup plus la situation que moi. Une légère grimace déforme mes traits. De toute façon, quoi qu'on me dise, rien ne pourra me faire changer d'avis. Je suis bien trop dégoûté.

— Pourquoi tu me sors ça ?

— Parce que ça m'emmerde de vous voir vous prendre la tête. Avec vos conneries, le groupe va finir par exploser. On a bossé comme des malades pour en arriver où nous en sommes aujourd'hui, malgré les différents obstacles croisés sur ce chemin de la gloire.

Il n'a pas tort. Malgré toute la merde que j'ai foutu, on est arrivé au sommet. Les producteurs nous font confiance, tout comme nos fans. Suis-je en droit de les décevoir ?

— C'est vraiment ce que tu veux, vieux ? Parce que pour ma part, je n'en ai pas trop envie. Je ne sais rien faire de mes dix doigts hormis jouer de la batterie. Je veux que mon gosse ait des étoiles pleins les yeux dans quelques années quand il sera en âge d'assister à nos concerts. Tu ne peux pas savoir à quel point je désire qu'il soit fier du parcours que nous avons accompli. Tu n'as pas le droit de m'empêcher de réaliser mes rêves.

Je suis tellement blasé que je n'arrive même pas à éprouver la moindre émotion devant cette vérité. En fermant les yeux, je découvre le visage poupin d'Ashton. Ce gosse est tellement craquant. Suis-je en droit de briser le rêve de cette famille ? Si ma fille avait survécu, que voudrais-je pour elle ? Certainement la même chose que Dan. Un très court instant, j'imagine une petite fille aux traits aussi parfait que ceux de sa mère totalement en admiration devant moi, alors que je lui joue un de mes morceaux. Bien que je sois furieux après Miller, je ne suis pas en droit d'éclater le groupe sur un coup de colère.

Je ne sais même plus quoi faire. Jusque là, j'ai cru que le mieux serait de briser ce pour quoi nous nous sommes battus, mais je réalise que j'ai tort. Je ne suis pas le seul embarqué dans cette histoire. Haley et Dan le sont aussi, mais surtout ils n'ont rien demandé à personne.

— Dis-moi juste comment toi tu réagirais si c'était Haley à la place de Jen.

Surpris par ma question, il porte son attention vers le mur face à nous, comme s'il revêtait un quelconque intérêt. Je l'observe quelques secondes, puis dirige mon intérêt comme lui vers cette cloison immaculée. Sa réflexion intense me laisse entrevoir sa façon de penser. Il ne serait pas mieux que moi.

— Il y a de fortes chances que je lui en veuille, c'est vrai, finit-il par briser le silence. Il me faudrait beaucoup de temps pour encaisser, mais si elle est vraiment heureuse avec lui, alors qui serais-je pour me placer entre eux ? Un connard de première qui refuse de la voir partir avec un autre ?

— C'est ce que tu penses de moi, Winston ? Je suis un connard de première ?

Ahuri, il secoue sa tignasse.

— Non. Je réponds juste à ta question.

Ouais, c'est ça. Tu le pensais quand même un peu.

Je me mords la langue pour éviter de sortir cette connerie à la dernière seconde.

— Tu sais que Jay n'est pas sérieux avec les filles. Il lui brisera le cœur comme avec Shanya.

— Il n'avait même pas dix-huit ans à l'époque. Pourquoi tu ressors cette histoire des placards ?

Parce que c'est la seule arme qui reste en ma possession si je veux le virer de sa vie, ai-je envie de lui répondre. Néanmoins, je préfère m'abstenir de le lui balancer ainsi. Sûr qu'il trouverait quelque chose à y redire.

— Parce que je suis certain qu'il finira par tromper Jen, comme il l'a fait avec elle. Son père lui a trop lavé le cerveau, Jayden Miller est incapable de tomber amoureux.

Je me souviendrai toujours du jour où Shanya a capté qu'il préférait aller s'éclater avec d'autres qu'elle. Ma famille a vécu un drame dont on se serait bien passé. Elle est venue me trouver pour me dire qu'elle nous haïssait autant l'un que l'autre, car dans cette foutue histoire, elle me considérait aussi coupable que lui. Puis, elle a enfourché la moto de Josh. Mon frangin avait laissé ses clés sur sa bécane comme ça lui arrivait souvent avant ce jour. J'aurais dû la retenir, mais je n'ai rien fait.

Si Jen savait qu'aujourd'hui, Shanya n'est même plus foutu de mettre un pied devant l'autre, elle ne m'aurait peut-être pas tenu le même discours. Mais si je lui en avais dit plus, je me serais mouillé en même temps. Jay n'est pas un ange. Moi non plus. Elle ne pardonnerait à aucun de nous deux d'avoir brisé cette vie et encore moins à moi après l'avoir fait autant souffrir. Surtout que je suis aussi coupable que lui, voire plus. Si je ne lui avais pas donné cette merde, il ne m'aurait jamais suivi dans mes conneries.

Cette époque où il me suivait comme un bon petit soldat me paraît bien loin d'un coup. Depuis qu'il a rencontré celle que j'aime, il semble vouloir prendre son envol pour s'éloigner de mon joug. Pourtant, je lui ai toujours apporté cette assurance qui lui faisait défaut. Je me rappelle encore de ce gamin complètement timide qui venait de débarquer dans mon école et se faisait chahuter tous les jours par les autres. Si je n'avais pas été là pour les remettre à leur place, ils en auraient fait qu'une bouchée. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il a commencé la boxe quelques années plus tard. Il voulait pouvoir se défendre seul, cependant il n'a jamais remis en cause ce que je lui apportais.

— Et si Jen était celle qui lui ferait comprendre que son père a tort ?

Non, il ne peut pas éprouver ce genre de sentiments. Je ne veux pas y croire, même l'amour de ma vie ne peut pas lui faire changer d'avis.

Et si c'était vraiment le cas ?

Cette voix dans ma tête, avec sa putain de question, m'horripile en me mettant le doute. Jen est tellement belle, si douce, si intelligente, si... enfin, tellement tout qu'elle pourrait réussir à piéger le plus pieu des hommes. Elle m'a bien attiré dans ses filets alors que j'étais un véritable junkie et maqué depuis plusieurs mois déjà. Face à ce souvenir, l'air semble s'être évaporé de la salle d'attente, tant je peine à en remplir mes poumons.

J'y vais pour répondre à mon pote que je ne crois pas une seule seconde que Miller puisse s'attacher à quelqu'un lorsqu'une jolie infirmière m'appelle. Rousse, les yeux bleus, plantureuse. Au moment où je me lève, j'accroche à son beau sourire. Quelque chose me dit que si j'y mets un peu du mien, elle pourrait soulager aussi bien mes blessures externes qu'internes. Au moins pour une nuit ou deux, car rien ne pourra jamais les supprimer totalement.

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