Joy

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Trouver quelqu'un qui nous aime pour notre beauté extérieure est une chose. Trouver quelqu'un qui nous aime pour ce que nous sommes en est une autre.

Trop souvent, on dénigre au second plan ces précieuses personnes qui regardent droit en nous et qui se fiche de notre apparence. On préfère dire qu'elles sont rares, plutôt que de sauter le pas et de les aimer également pour ce qu'elles sont, et non pour ce à quoi elles ressemblent.

Alors regardez-bien autour car, souvent, ces personnes sont juste devant nous...

Fall... In love ?

Joy pestait dans sa salle de bain : elle avait oublié de racheter des masques réhydratants pour le visage et peinait à obtenir une peau douce et lisse. Elle devait être parfaite pour le shooting de cet après-midi !

Théo était en vacance pendant une semaine ce qui leur permettrait de retrapper le temps perdu. Elle n'avait eu le temps que de le voir trois fois depuis son hospitalisation, et chaque fois il était partit tôt prétextant d'un cahier chargé : il avait des dizaines de projets en même temps et des cernes creusaient son beau regard. Elle savait que si elle lui demandait, il resterait pour lui faire plaisir, mais Joy ne voulait pas manipuler le cœur du jeune homme. Cependant ces derniers temps, elle supportait de moins en moins son absence. Elle avait l'impression que sa vie était désordonnée quand il n'était pas là. Son appartement lui semblait vide et trop grand, ces séances de shooting, interminables. Il y avait bien Kévin, le photographe avec qui elle entretenait une relation légère et libre, mais ce n'était pas pareil. Théo la connaissait depuis son enfance et comprenait jusqu'à ses silences. Leur relation n'avait pas d'égal, mais... c'était son ami. La ligne à ne pas franchir. Elle qui avait tant de mal à garder une relation, ne pouvait se permettre de risquer de perdre la seule personne qui voyait réellement qui elle était. Cela surprenait toujours autant Joy de constater que le jeune homme savait ce dont elle avait besoin avant même qu'elle-même le sache. Il arrivait souvent à calmer ses craintes et ses crises d'angoisses qui s'étaient accentué après la maladie de sa mère et le stress accumulé de son métier.

Son téléphone sonna.

  • Salut bébé, tu es en retard de quinze minutes déjà pour le shooting. Tu veux que je passe te chercher ?
  • Non ça va, c'est Théo qui m'amène.

Il y eut un silence gênant au bout du fil. Joy connaissait le ressenti qu'avait Kévin pour Théo, mais elle n'avait pu s'empêcher de mentionner son nom. Le "bébé" l'avait mise particulièrement mal à l'aise et elle se sentait opprimée. Jusque-là, leur relation n'avait été que purement physique, mais ces derniers temps, Kévin semblait vouloir passer au stade plus sérieux. Elle raccrocha presque en suivant. Les larmes lui montèrent : qu'est-ce qu'elle faisait de sa vie ? Une grande sensation de frustration s'emparait d'elle quand elle y pensait. Que faisait-elle qui lui faisait réellement plaisir ? Elle en venait presque à douter de son métier. Surveiller son alimentation, faire du sport, prendre soin de sa peau, trainer dans des soirées mondaines en espérant se faire repérer, repousser les avances de certains au risque de passer à côté d'une opportunité... La nausée lui vint soudain et elle se précipita aux toilettes. Une boule nouait son ventre. Une nouvelle crise !

Théo rentra à ce moment-là. Au bruit qu'il entendit, il comprit de suite ce qui se passait et se précipita jusqu'aux toilettes, où il vit son amie complétement dévasté. Il l'aida à passer cette crise et la calma comme il put. Puis, sans demander son autorisation, s'empara de son téléphone - dont il connaissait bien évidement le code - et envoya un texto pour annuler le shooting. Joy était partagée entre l'obligation et le soulagement de ne pas y aller. Comme pour chasser le stress qui commençait à ronger la jeune femme, Théo se justifia :

  • De toute façon, vu ta tête, il ne voudrait même pas de toi.

Il lui sourit tendrement et aussi content de lui de l'éloigner de ce Kévin. Il essayait de rester neutre, mais avait de plus en plus de mal, surtout en voyant que cet homme était nocif pour Joy.

La jeune femme lui envoya un coussin pour se venger de la moquerie mais pour la première fois, le regarda avec un regard qu'il ne lui avait jamais vu. Le cœur du jeune homme s'emballa quelque peu alors qu'il soutenait son regard, puis, voyant que Joy persistait de ses yeux beaux yeux verts, Théo s'éclaircit la gorge avant de lui proposer :

  • Vu que tu as la journée de libre, je me disais... enfin, si tu en as envie bien-sûr, qu'on pourrait en profiter pour partir quelque part. Un week-end, ou plus.

Et de suite de renchérir, comme pour se justifier :

  • Ça te ferait du bien pour décompresser un peu, et j'avoue que j'ai bien besoin de vacances, moi aussi.

Joy fut surprise et bien que tout son être souhaitait répondre "OUI", elle se contenta de dresser milles et une barrières, comme à son habitude.

  • Hein ? Mais et le shooting ?
  • Tu peux le reporter la semaine suivante, dit-il en riant devant l'obstination de Joy.
  • Et mes plantes ?
  • Je suis presque sûr que même si tu restais, elles auraient toujours l'air aussi... mal en point.

Les deux rirent car elle n'avait pas vraiment la main verte, mais persistait à prendre des plantes.

Joy sembla réfléchir un moment et demanda d'une voix de défi :

  • Et Kévin ?

Cette fois Théo marqua un temps d'arrêt avant de déclarer en la regardant droit dans les yeux :

  • Si tu penses sincèrement qu'il est assez bien pour toi, rien ne t'empêche de le rejoindre. Je peux encore t'accompagner.

Joy secoua la tête et lui sourit, contente de la réponse du jeune homme :

  • Non, tu as raison...

Son visage devint soudain grave et sa voix était assez lointaine alors qu'elle reprenait sur un ton plus sérieux :

  • Je vaux mieux que ça...

Le "ça" allait au-delà de Kévin qui, de surcroît, n'occupait même pas ses pensées. Elle parlait de toute cette vie qu'elle s'était forgée depuis son enfance, de ce masque qu'elle avait porté jusqu'ici sans rechigner. Sa beauté, elle s'en rendait cruellement compte maintenant, avait été un fardeau plus qu'une bénédiction. Et le pire, c'est qu'elle ne pouvait dire ça aux gens sous peine de s'attirer les foudres de jalousie et d'incompréhension : en quoi cela pouvait être difficile pour elle ? Théo, lui, la comprenait au moins. Elle se rendait compte à présent qu'elle n'avait pas besoin de plus. Lui, elle, loin de tous.

Théo qui devant ce silence semblait avoir deviné les pensées de la jeune femme, retrouva son aplomb et ne put s'empêcher de la taquiner :

  • J'emporte un appareil photo au cas où, ou tu peux t'en passer ?

Un autre coussin lui atterrit en pleine figure alors qu'il continuait pour détendre son amie :

  • J'emporterais bien quelques masques "green tea" aussi pour le visage...

Ils firent leurs valises et Joy se sentit planer dans une extrême euphorie avant même d'atteindre l'aéroport. Son téléphone n'avait pas arrêté de sonner et quand elle répondit enfin à Kévin, se fut pour lui annoncer sans retenue, tout ce qu'elle avait sur le cœur et que bien évidemment, leur relation était terminée. Elle lui fit remarquer en conclusion, que de toute façon, il tomberait très certainement "amoureux" de sa prochaine égérie et lui souhaita que du bonheur.

Après ça, même si le faire par téléphone était un peu lâche, elle se sentie enfin libre. Libre d'aller où il lui plaisait, libre d'être elle-même. Elle ne renonçait bien évidemment pas à sa carrière de mannequin, mais elle souhaitait prendre le temps de s'écouter, savoir qui elle était et pas seulement une couverture de magazine.

En même temps qu'elle prenait cette décision, le projet qu'elle s'était refusé jusqu'à présent, lui semblait réalisable, tangible. Elle souhaitait depuis un moment monter elle-même une agence chargée de mettre en relation des photographes amateurs avec de jeunes mannequins débutants, le tout dans un cadre à la fois sans prise de tête et professionnel, avec le rendez-vous artistique au premier rang. Théo lui avait d'ailleurs affirmé, lors de leur discussion, qu'il souhaitait créer le design de l'agence - l'argent n'étant pas un problème pour Joy. Les idées nouvelles florissaient à l'orée de ses pensées ; en s'autorisant à être soi, les choix lui semblaient maintenant clairs et accessibles. Elle était maître de son destin et en avait maintenant pleinement conscience. Pendant longtemps, elle avait été l'otage de sa beauté, croyant devoir rendre des comptes aux autres pour être faite ainsi, craignant un jour de n'être plus assez bien. Aujourd'hui, elle comprenait qu'elle n'était pas définie que par son physique, et c'est ce qu'elle aimait chez Théo, car il l'avait compris bien avant elle.

Théo lui prit la main alors que l'avion décollait. Leur échange mutuel de regard voulait tout dire, même si aucunes paroles n'avaient été encore prononcées. En fait, Joy s'en rendait compte seulement maintenant : Théo avait toujours été l'homme qu'elle recherchait à travers ses aventures, celui qu'elle désirait et qu'elle avait - par peur de décevoir l'unique personne qui la voyait sans masque - repoussée. Il lui avait fallu cet ultimatum pour enfin accepter l'évidence.

Et alors que l'avion décollait vers leur première étape de voyage - qui d'un week-end s'était transformé en semaine complète - Joy chérit de tout son être cet instant qui marquait le début d'une nouvelle vie.

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