Iryn

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Parfois, il suffit d'un seul pas de l'autre pour que toutes nos barrières que l'on s'était forgées avec tant de conviction pendant des années, s'abaissent, comme par enchantement...

...comme, par Amour.

Fall... In Love ?

Iryn regardait pour la centième fois le portfolio que Lee lui avait transféré la veille. Elle n'arrivait pas à se dire que la jeune femme qui défilait à l'écran devant ses yeux était elle. Celle des photos dégageait un air qu'elle ne s'était encore jamais vu. La confiance en soi et l'assurance qui s'en dégageait la faisait presque rougir de timidité et elle hésitait entre cacher l'écran ou en être fière. Se trouver réellement belle et l'assumer lui était encore difficile, mais de petits changements s'étaient opérés, elle pouvait le sentir. Le regard des autres face à sa beauté ne la gênait plus comme avant et elle ne changeait plus de trottoir devant un groupe de personnes. Mieux : elle arrivait à soutenir le regard des gens qu'elle croisait - ou du moins à regarder fièrement devant - et ne baissait plus les yeux comme avant. Lee l'avait beaucoup aidé pour cela.

Dès leur rencontre, Iryn avait pu sentir au fond d'elle que cet homme serait important dans sa vie. Elle ne savait dire pourquoi ni comment, mais elle avait l'impression de le connaitre alors qu'ils se voyaient pour la première fois. Le jeune photographe avait eu un temps d'arrêt également, et lui avait avoué quelques temps après, avoir ressenti une étrange sensation de déjà-vu. Comme pour les conforter, leur entente mutuelle dès les premiers instants, avait permis de créer une relation forte et vraie ; quelque chose de pure et de fusionnel.

Thomas Chastain avait vu juste, puisque la jeune femme était devenue l'égérie de l'exposition de Lee. Elle qui ne supportait pas le regard des autres, s'était sentie en confiance devant l'objectif, en présence de Lee. Iryn ne pensait pas à l'exposition qui aurait lieu par la suite, mais savourait chaque instant passé dans le labo, à se découvrir à travers différents styles artistiques, choisissant avec Lee les photos définitives et celles à enlever. Parfois, ils passaient des heures sans prendre aucunes photos, juste à parler ensemble. Ils communiquaient également à travers leur silence, quand les heures de travail et de concentration l'obligeait.

Iryn se sentait, pour la première fois de sa vie, à sa place et n'aurait pour rien au monde troquer cette existence-là contre un poste haut placé dans une entreprise quelconque. Ici, elle était Iryn, et c'était tout ce qui comptait.

Le téléphone sonna. Iryn se dépêcha de répondre : c'était Lee. Il avait besoin d'elle au labo pour décider de l'ordre d'apparition des photos. L'exposition était prévue pour le début de l'hiver, mais beaucoup de préparatifs manquaient encore. La jeune femme se coiffa rapidement après sa douche et ouvrit son armoire. Les tenues qui y étaient n'avaient plus rien à voir avec celles d'avant : plus mature, la jeune femme assumait maintenant pleinement son élégance et sa silhouette raffinée à travers des robes cintrées ou des tenues mettant en valeurs sa féminité. Elle s'était posée la question de ce changement et avait trouvé la réponse dans la glace en se regardant. Son regard dégageait une assurance nouvelle. Elle n'avait pas changé pour un certain photographe, comme beaucoup aurait pu le croire, mais bien pour elle-même ; Lee n'en avait été que l'heureux déclencheur.

Pendant longtemps, l'image qu'elle avait d'elle n'était pas en accord avec l'attitude qu'elle arborait dans sa vie. Elle se cachait souvent derrière ses longs cheveux et avait failli devenir l'ombre d'elle-même. Elle avait dressé des barrières qu'elle s'assurait infranchissable et avait caché sa propre lumière tout au fond, en attendant que quelqu'un digne d'elle, trouverait le chemin. Il n'y avait rien de narcissique dans cette démarche ; elle se sentait juste différente de beaucoup de gens et s'était peu à peu enfermé dans sa propre tour d'ivoire, devenant ainsi la spectatrice de sa propre vie. Aujourd'hui les choses commençaient à changer drastiquement, pour son plus grand bonheur.

Du moment où elle avait accepté de lâcher prise, où elle avait fait sciemment le choix de ne pas s'enterrer définitivement dans une vie qui ne lui correspondait pas, son être premier s'était réveillé. S'il lui avait fallu du courage pour sauter les yeux bandé dans l'inconnu, elle ne le regrettait pas. Oui, elle avait bien-sûr eut peur quand elle avait tourné les talons de l'entreprise qui lui promettait un avenir stable et sans encombre. Et s'était trouvé stupide de suivre un parfait étranger sous prétexte que son instinct l'ordonnait de le suivre. Pourtant, quand elle avait vu Lee, tous ses doutes s'étaient dissipés : elle avait su qu'elle avait fait le bon choix.

Lee Wichian était emplit, à sa façon, de doutes lui aussi, et ses parts d'ombres et de mélancolie semblaient se résorber au fur et à mesure de leur relation. C'était comme une évidence tacite, un besoin mutuelle de guérison, sans rien demander à l'autre que ce qu'il avait à offrir. Iryn ne percevait pas autrement l'amour. A cette pensée, elle s'empourpra légèrement car elle n'avait jamais clairement définit ce qu'elle ressentait pour le jeune homme.

Elle prit une robe noire simple mais élégante et sortit, café en main, en direction du métro. Mais au lieu de descendre, elle s'arrêta à la bande d'arrêt de taxi juste à côté, une berline noire y était stoppée. Thomas Chastain sortit de la voiture et après avoir salué la jeune femme, s'empressa d'ouvrir la portière pour elle. S'il s'était fait passé pour un chasseur de tête pour la mode, il était surtout l'ami avéré de Lee et se portait volontiers à sa disposition pour ne pas être mis sur la touche ; les grandes marques se tournaient vers d'autres repéreurs plus jeunes, qui ne risquaient pas de rendre mal à l'aise les futures égéries. Iryn avait de suite apprécié cet homme pour sa franchise, et c'était avec joie quelle s'assit à l'avant.

  • Alors, prête pour le grand jour ?
  • Tu parles de l'exposition ? Oh, j'essaye de ne pas trop y penser, c'est vrai que ça me fera bizarre que les gens se déplace pour voir mes portraits affichés en grands. Mais le stress sera surtout pour Lee qui devra gérer le flot continu de visiteurs !
  • Heureusement, tu seras là pour le soutenir.

Le regard de la jeune femme mêla surprise et agacement :

  • On en a déjà parlé : je ne viendrais pas. C'était même une des conditions pour laquelle j'ai accepté d'être l'égérie : je n'aurai pas à faire figure de proue et subir le regard des autres.

Thomas marqua un léger temps respectueux avant de poursuivre :

  • Je pensais juste que ces derniers temps, Lee et toi vous étiez rapprochés. Je me suis dit - bêtement je l'avoue - que vous aviez dépassé ce stade et...
  • Lee est un grand garçon et saura se débrouiller sans moi !

Le ton sec et tranchant d'Iryn trahissait un malaise qu'elle ne pouvait cacher. Visiblement, elle avait dû se disputer plus d'une fois avec le photographe à ce propos.

  • Avoue quand même que ne pas assister à sa propre exposition est quelque peu... puéril, tu ne trouves pas ?
  • Je ne te permets pas ! J'ai... mes propres raisons... Que ça vous plaise ou non, cette exposition se fera physiquement (elle insista sur ce mot) sans moi !

Le silence s'installa entre eux. Iryn était plongée dans ses pensées. Elle brûlait d'envie d'assister à l'évènement, bien entendu. Mais elle se l'interdisait. Cela faisait partie de ses dernières parts d'ombres qui lui faisaient renier tout ce qu'elle aimait. Elle avait besoin qu'on aille la chercher, qu'on ne lui donne pas le choix que de dépasser sa peur et de s'assumer pleinement sur les photos. Elle aurait aimé que Lee insiste davantage ; mais comment le pouvait-il, aussi respectueux qu'il était ? Il ne comprendrait sûrement pas les méandres dans lesquelles Iryn plongeait toute seule, ou la trouverait trop compliquée. Comment déchiffrer que ce "non" téméraire était en fait un "oui" d'appel au secours ? C'était plus fort qu'elle et c'était pareil dans beaucoup de domaines, y compris l'amour.

Thomas prit l'allée de gauche, le café dans lequel ils avaient rendez-vous n'était plus très loin. Il ne démordit pas et continua à pousser la jeune femme dans ses derniers retranchements.

  • Ça te ferait du bien, tu sais ? Et, qui sait, tu apprécieras peut-être même le monde de la mode.

Iryn ne disait plus rien et regardait par la fenêtre. Les larmes de honte lui montaientt aux yeux ; elle devait paraître tellement stupide et - oui - puérile en cet instant ! Une enfant qui ne savait pas ce qu'elle voulait, rien de plus. Elle avait enfin la chance de se débarrasser de ses vieux démons, mais n'y arrivait pas. Elle avait besoin d'aide. Soudain, Iryn fut prise d'une irrésistible envie d'être seule ; elle ne pourrait pas voir Lee dans cet état : elle se sentait lamentable et son moral était comme sapé.

  • Arrête-toi là, s'il-te-plaît, parvint-elle à articuler dans un sanglot qui menaçait d'éclater.
  • Quoi, là ? Mais on n'est pas arrivé...
  • Laisse-moi !

Thomas s'arrêta sur le côté de la chaussée, après avoir allumé les warning. Le trafic était dense et il prit peur pour la jeune femme. Il voyait bien qu'elle n'était pas dans son état normal, mais savait très bien qu'il ne lui servirait à rien de tergiverser.

Iryn sortit, aussi droite et froide qu'une pierre et tâcha de garder sa dignité dans sa démarche. Mais n'importe qui aurait pu voir que la jeune femme tremblait de tout son corps. Elle commença à marcher, ne sachant pas vraiment où elle était. Elle finirait bien par trouver un métro et rentrerait chez elle. La mort dans l'âme, elle s'éloigna de la berline.

De son côté, Thomas se sentait affreusement coupable et appela directement son ami pour le mettre au courant. Lee les attendaient déjà au café qui était à deux pas. Il sortit précipitamment dans la rue après avoir annulé la commande et se mit à courir dans la direction que lui avait indiqué Thomas. Il dépassa la berline et aperçut bien vite la silhouette frêle d'Iryn qui s'engageait dans les escaliers du nautilus.

Il courut à en perdre haleine et la rattrapa alors qu'elle attendait sur le quai. Là, sans prononcer un seul mot, il la prit dans ses bras et resta autant de temps qu'il fallut à la jeune femme pour qu'elle se détende et fonde finalement en larmes.

Quand elle eut finis, elle le regarda pleine de reconnaissance dans les yeux. Le jeune homme contenait avec difficulté ses propres larmes et elle pouvait lire la peur qu'il avait de la perdre. Il lui murmura :

  • Ne te ferme pas au monde, Iryn, ne te ferme pas à moi. Tu m'es trop précieuse !

Elle pouvait entendre leurs coeurs se caler ensemble dans un unisson rassurant et chaleureux. Elle enfouit sa tête dans son torse et lui murmura alors que le métro arrivait :

  • Jamais. Je te le promets.

Mais c'était également une promesse qu'elle se faisait. Dorénavant, à partir de ce jour, elle ne renoncerait pas à ce qu'elle aimait. Peu importe le temps qui lui faudrait pour s'en accommoder, elle ne se refuserait plus son bonheur. Elle en fit le serment.

Ensemble, ils montèrent dans le compartiment et passèrent le reste de la journée et celle du lendemain, chez elle.

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