Iryn

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Nous sommes tous liés les uns aux autres, comme des fils d'une immense toile d'araignée. Plus ou moins épais, ces fils définissent nos relations aux autres. Pour autant, certains semblent s'être coupés volontairement du reste, tandis que d'autres encore, attendent désespérément que quelqu'un se raccroche à leur fil solitaire.

Blossom

La fin de l'été s'annonçait et les couleurs chaudes de ce mois de début septembre dégageaient un je ne sais quoi dans l'air qui rendaient les gens rayonnant. Même ceux qui n'avaient pas eut de vacances et qui croulaient sous leur costume, tailleur ou vêtement de travail, affichaient le même sourire béat sur leurs lèvres, que leurs cernes ne pouvaient ternir.

Au milieu de cette foule bruyante, Iryn se cramponnait à son sac, les yeux rivés dans le lointain, ou sur le sol, dès qu'elle croisait des passants. Si je ne les regarde pas, ils ne feront pas attention à moi.

D'une beauté naturelle, que certains qualifierait de sauvage, la jeune femme de vingt-cinq ans, n'avait toujours pas confiance en elle, et voyait dans le moindre regard d'autrui, une possible critique à son égard. Bien-sûr, elle connaissait les ravages que faisait ses charmes, et plus d'une fois on l'arrêtait dans la rue pour le lui faire remarquer - avec plus ou moins de manières. Malgré cela, une part d'elle-même se refusait à embrasser son être et elle se repliait chaque fois un peu plus, accélérant le pas.

Ce matin-là, Iryn se dépêchait de rejoindre le métro. Son rendez-vous chez BreadCompagnies était prévue pour 9h15 et il lui restait tout juste le temps d'attraper le nautilus en trombe. Super ! Je vais arriver toute transpirante pour mon entretien d'embauche !, songea-t-elle. Elle s'était pourtant levée de bonne heure pour se laver les cheveux et déjeuner. Elle dévala les escaliers d'une traite, manquant de renverser au passage une mamie dans l'autre sens, qui tirait avec difficulté son cabas peu rempli.

Fouillant à la hâte dans son sac tout en courant, elle sortit son porte-feuille et chercha frénétiquement un ticket. N'en trouvant pas, elle jura en se rappelant son post-it sur le frigidaire : "Acheter des tickets !". Elle n'avait pas eut le temps de renouveler sa carte périmée depuis un mois, ou du moins, elle avait repoussée à chaque fois. Toujours positive, elle courut jusqu'à la borne, retira dix tickets d'avance et passa les portes.

Bip bip !

  • C'est pas vrai ! Je viens de les acheter !

Elle regarda nerveusement les contrôleurs qui parlaient entre-eux, mais ceux-là ne firent aucun geste pour aller l'aider. Derrière elle, les gens commençaient eux aussi à s'impatienter, insensibles à ce qui lui arrivait. Au bout du troisième - sans raison apparente - les portes s'ouvrirent enfin. Elle se pressa de passer et regarda l'heure : 8h45. Il lui fallait pile quinze minutes pour arriver. Elle déchira rageusement les deux tickets qui n'avaient pas marché, pour ne pas les confondre, et dévala les autres escaliers. Le bruit des portes qui se ferment l'alerta et elle sprinta jusqu'au métro. Par chance, certains avaient retenus les portes pour rentrer et elle s'y faufila, à bout de souffle.

Lorsqu'elle sortie, l'air était beaucoup plus agréable, malgré la chaleur écrasante. L'entreprise était juste à deux rues. Résignée, elle traversa, suivie d'une foule de monde composé principalement de touristes. Au fond, elle aurait aimé ne pas y aller. L'idée de reprendre le travail, dans un milieu de surcroît qui ne lui plaisait pas, la terrifiait. Sa main moite serait la lanière de son sac, pendant que l'autre essayait tant bien que mal de remettre en ordre sa longue chevelure brune. L'espace d'un instant, elle pria le destin de lui apporter un changement, n'importe quoi, pour ne pas se piéger elle-même dans cette entreprise. Car son entretien n'était qu'une pure mise en forme : sa candidature était pré-sélectionnée et il ne manquait plus que sa signature.

Alors qu'elle s'engageait dans la deuxième rue, un homme d'une cinquantaine d'année environs, les cheveux courts rejetés en arrière, portant un élégant costume gris, la salua.

  • Bonjour !

Elle répondit d'un bref hochement de tête alors qu'elle le dépassait déjà et accéléra le pas. L'homme fit demi-tour et la rattrapa. En sentant son approche, Iryn ne put s'empêcher de serrer un peu plus son sac et son visage s'empourpra légèrement, tandis qu'à l'intérieur, le stress augmentait. À la limite de l'agoraphobie, la jeune femme se faisait souvent violence avec certaines personnes pour maintenir le dialogue. Les langues de bois et autres bavardages ne l'intéressait pas et elle n'arrivait jamais à parler d'elle. Souvent les discussions avec des étrangers se terminaient soit en monologue, soit elle ne relevait pas les phrases et répondait par des sentences courtes, ce qui finissait de décourager ses interlocuteurs les plus téméraires.

  • Bonjour mademoiselle !

Décidément, il ne lâchait pas l'affaire ! Elle répondit néanmoins gentiment, avec un beau sourire, tout en continuant sa route. Son ton resta poli, mais son intonation ne laissait aucun doute sur son agacement croissant. Il finirait bien par comprendre...

  • Je vois que vous êtes pressée..., dit-il, un demi-sourire aux lèvres.

Sa voix était agréable et il maintenait une certaine distance pour ne pas envahir la jeune femme de sa présence, ce qui était rare. Il poursuivit, comme si elle lui avait parlé :

  • Loin de moi l'idée de vous déranger, bien au contraire ! C'est juste que vous m'avez... troublé. Oui c'est cela, troublé.

Iryn se força à ne pas lever les yeux au ciel : si la tournure était charmante, cet accostage ne lui disait rien de bon. Elle n'avait aucune envie de continuer ce jeu, qui pour elle était plus une torture. Déjà, le bâtiment de l'entreprise se dessinait au bout de la rue, elle regarda son portable : elle était en retard de trois minutes. L'homme ne paraissait nullement dérangé par le pas soutenu de la jeune femme et continua son discours. Va pour un monologue, pensa-t-elle.

  • J'ai un ami - un photographe - qui est à la recherche d'une modèle, même débutante, pour son exposition. Il est, ah ah, un peu au bout du rouleau de ne pas avoir trouvé "la bonne personne".

Iryn ne releva pas et se contenta d'acquiescer rapidement, bien que la dernière phrase ait légèrement attirée son attention.

  • Vous savez comment sont les artistes : tant que ce n'est pas ce qu'il ont en tête, ça ne leur convient pas. Et Dieu c'est ce qu'ils ont en tête !

Légèrement embarrassé maintenant, que la jeune femme ne lui réponde que par onomatopées, surtout que son regard restait rivé droit devant elle, il continua un peu moins sûr de lui :

  • Hum... Je vois bien que je vous embête, et croyez moi ou non, c'est la dernière des choses dont j'ai envie. Toujours est-il que je suis certain que vous êtes la personne qui lui faut, pour son exposition bien entendu.

Cette fois, Iryn ne put réprimer un rire de franche surprise, ce qui encouragea l'homme à poursuivre.

  • Oui, je suis convaincu que votre charme et votre grâce naturelle conviendrait !

Il la dépassa légèrement et lui fit face, obligeant la jeune fille à se stopper. Gardant toujours une certaine distance, il la regarda droit dans les yeux pour capter son attention. Iryn lui rendit son regard et vit les joues de l'homme s'empourprer légèrement.

  • Mademoiselle, permettez-moi d'insister encore un peu. Vous avez sûrement une vie bien chargée et êtes visiblement pressée, mais promettez-moi de le rencontrer. Mon ami saura mieux défendre son art. Et quelque chose me dit que de toute façon - sans présomption aucune de ma part - l'endroit où vous aller ne vous plaît guère.

À ces mots, Iryn baissa le regard, trahissant indubitablement la véracité des dires de l'homme. Changeant habilement de sujet pour dissiper la gêne, l'homme élégant se nomma :

  • Je ne me suis même pas présenté : Thomas Chastan. Je repère les talents et principalement les modèles pour la mode, de façon générale. Et mon ami photographe s'appelle Lee Wichian.

Se disant, il lui tendit une carte d'artiste, avec l'adresse et le numéro de téléphone du photographe.

  • Iryn Auguria. Et, oui, je suis pressée car j'ai un entretien (elle regardant son portable qui affichait 9h15), ou plutôt j'avais un entretien...
  • Oh, vous m'en voyez navré. Mais peut-être est-ce un signe ?

La phrase avait bien évidement été lancée comme une dernière carte, pourtant la jeune femme ne put s'empêcher de repenser à sa demande qu'elle avait faite alors qu'elle traversait la grande avenue. Devait-elle prendre se tournant maintenant ? Était-ce réellement le signe qu'elle attendait pour sortir de cette vie qui ne lui ressemblait pas ? La photographie l'avait toujours intéressée mais elle n'avait jamais osée se présenter à un concours de mannequina, par manque de confiance. Qu'avait-elle à perdre de toute façon ? Elle n'allait pas vivre toute sa vie à reculons, s'interdisant tout ce qu'elle aurait aimé vivre !

Elle prit une grande inspiration alors qu'elle jetait un regard vers son entretien : il n'était pas encore trop tard. L'immense building se dressait devant eux, imposant, avec toutes ses fenêtres et ses bureaux : une routine ennuyeuse. Ce n'était pas elle, ça ne l'avait jamais été et cinq ans de plus ou dix n'y changeraient rien. Elle prononça les mots, comme si cela avait été ceux d'une autre :

  • J'accepte de le rencontrer. Ce n'est pas comme si j'avais quelque chose de mieux à faire, maintenant...

Se rappelant son entretien annulé, elle rajouta :

  • Mais il me doit un café !
  • Ah ah, c'est noté, répondit Thomas, ravît.

Ils tournèrent les talons et sans plus attendre, se dirigèrent vers le nautilus qu'Iryn avait quitté quelques minutes plus tôt.

L'air chaud de la matinée plongeait la ville, maintenant bien réveillée, dans une effervescence agréable. Ou peut-être était-ce la jeune femme qui la voyait autrement...

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