58 - Lucy

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Lucy

Voilà un peu plus d'une semaine que j'ai fait ce cauchemar. J'ai compris cet après-midi là qu'il y avait quelque chose entre mes deux meilleurs amis lorsque Deb m'a fusillé du regard. Elle a fini par m'avouer qu'elle sortait avec lui, mais que son frangin ne devait pas l'apprendre. Pourquoi ? Aucune idée, mais je tiens ma langue. Si Logan le découvre, ça ne sera pas de ma bouche. J'ai également tenu à lui rappeler que j'avais toujours vu en lui le frère que je n'ai jamais eu, que lorsqu'elle me poussait dans ses bras, j'ai toujours refusé. Mon cœur n'a toujours appartenu qu'à mon fiancé, même quand il me détestait. Je ne veux pas qu'elle soit jalouse de notre relation, parce qu'entre lui et moi, ce sera toujours un amour platonique. Rien de plus. En tout cas, je suis super heureuse qu'ils soient en couple.

À la fin de la semaine, nous serons en vacances. Le break de printemps va nous faire un bien fou à tous les quatre. Nous allons partir je-ne-sais où, Logan n'arrête pas de me dire que c'est une surprise, mais que ça devrait me plaire. Je lui fais confiance, il fait tout pour que je puisse avancer malgré les idées sombres qui me traversent parfois quand je repense à cette scène. Au fond de moi, j'ai conscience que j'ai dû vivre des choses bien pires, néanmoins je fais tout pour le refouler. Si au début, je voulais que ma mémoire me revienne, désormais je prie pour que ce ne soit jamais le cas.

Comme tous les matins, je regarde Logan se préparer. Nu devant moi, il prend tout son temps pour sortir ses fringues. À croire que ça lui plaît que je mate ses fesses. D'ailleurs, au sourire qu'il me lance par-dessus son épaule, j'en suis convaincue. Mais n'a-t-on pas idée d'avoir un tel cul aussi ?

— Le spectacle te plaît ?

En guise de réponse, je m'essuie le bord des lèvres du bout du pouce. Je fais genre celle qui est en train de saliver devant le plus beau mec de l'univers. Je n'ai pas le temps de le voir se retourner qu'il est déjà sur le lit et m'embrasse à en perdre haleine. Est-ce qu'un jour mon cœur cessera de s'emballer dès qu'il m'embrasse ? Je n'y crois pas une seule seconde, j'aime tellement ça. Tout comme les papillons qui s'envolent dans mon estomac quand il glisse ses doigts sous mon pull ou ce feu ardent qui me brûle entre les cuisses quand il pince mon téton comme à cet instant.

— Tu me rends dingue, bébé ! grogne-t-il d'une voix rauque tout contre ma bouche.

Lui aussi, mais ces mots me ramènent à la réalité. Et même si je préférerais rester dans notre lit toute la journée, je dois bûcher à fond, sans plus rater une seule heure de cours, si je veux rentrer à Columbia.

— On aurait pas cours aujourd'hui, monsieur Baldwin ?

Sans attendre sa réponse, je le repousse et me glisse hors du lit. Les yeux fixés au plafond, il râle un instant tandis que je me dirige vers la porte. J'ai à peine le temps de l'ouvrir qu'il est déjà sur moi, une main collée dessus pour m'empêcher de sortir. Je crois que c'est devenu un jeu entre nous. Tous les matins, je lui rappelle qu'on a cours alors que lui me montre à quel point il a envie de moi. D'habitude, il colle sa bouche sur la mienne et sous son baiser, je fonds littéralement, au point d'en oublier mes bonnes résolutions. Parfois, souvent même, on arrive après la première heure de la matinée. Notre excuse, je suis encore fatiguée, il me faut beaucoup de sommeil. Pourtant, ce matin semble différent des autres. Il ne se penche pas au-dessus de moi comme il le fait en règle générale. Il se contente de planter un regard espiègle dans le mien. D'un doigt, il caresse ma joue. De délicats frissons longent ma nuque.

— Tu sais que tu commences à m'énerver à jouer comme ça avec moi. Tu mérites vraiment une petite correction.

Sa voix est mielleuse, pourtant ses mots réveillent un séisme sous mon crâne. Une brèche vient de s'ouvrir et mes souvenirs s'y infiltrent sans que je ne puisse rien faire. Mon pouls pulse à une allure vertigineuse. Je perds la tête sous les images qui me paralysent.

Un sourire béat accroché aux lèvres, je me rends dans les toilettes. Ce mec va me rendre folle. Folle d'amour surtout. Enfin ça, je crois que c'est déjà fait. Depuis longtemps même. Je pars m'enfermer dans une cabine, la tête dans les étoiles. Quand j'en ressors, je jette un coup d'œil sur mon reflet, me lave les mains, puis replace une mèche derrière mon oreille. Je me trouve jolie pour une fois. Je crois que c'est l'effet qu'il a sur moi, il me rend belle.

Au moment où je quitte les toilettes, un mauvais pressentiment me tord les tripes. Gabson, ce gars qui me fout la trouille depuis la fois où il est venu me coincer, se tient juste en face de moi, adossé contre les casiers.. Je tente de faire comme s'il n'était pas là, mais je jette tout de même un coup d'oeil dans toutes les directions. S'il y avait du monde, je me sentirais mieux. Merde ! Je suis seule dans ce couloir. Balisée, j'accélère le pas. Avant même d'avoir parcouru la moitié de la distance qui me sépare du self, il me saisit par la taille d'une main et plaque l'autre sur ma bouche pour que je ne puisse pas hurler. Je le mords, il m'assène une claque. Je tente de me débattre, le griffe. Rien n'y fait. Ce type est une brute. Dès que je lui inflige un coup, il m'en balance un plus fort. Je ne peux rien faire contre lui. Il me tire, me traîne et comme par hasard, il n'y aucun lycéen. Et les flics, ils sont où ?

Quand je réalise qu'il m'emmène vers une camionnette, je me mets à hurler. J'aperçois Logan courir vers moi. Mon cœur bat très vite, il ne pourra jamais arriver jusqu'à moi. J'essaie de gagner du temps, mais l'autre est trop fort. Au moment où il me pousse dans le véhicule, je sais que tout est perdu. Pourtant, ce n'est rien en comparaison à ce que je ressens lorsque j'entends la voix de mon pire cauchemar s'élever dans mon dos.

— Tu mérites une petite correction, Lucy !

Terrorisée par cette voix glaciale, je me roule en boule sur le sol dur et froid de la fourgonnette.

— Bébé !

J'entends la voix de Logan, mais elle me paraît lointaine. Très lointaine. Allongée en position fœtale, mes larmes coulent à flots. Je me souviens de mon enlèvement, de leurs visages démoniaques, de leurs coups et… Oh, mon Dieu ! À ce nouveau souvenir, mon estomac se soulève. Je me relève comme je peux et me dirige en me tenant au mur jusqu'aux toilettes. Les pas de Logan retentissent dans mon dos, mais je refuse qu'il me touche.

Devant la cuvette, je rends tout le contenu de mon estomac. Je me rappelle tout ce qu'ils m'ont fait subir. Leurs coups jusqu'à ce que je me taise. Leurs corps qui pénètrent le mien avec violence. Je vomis encore et encore, incapable de retenir le flot d'image qui se bouscule sous mon crâne. Vidée, je me laisse tomber sur le sol. Logan s'asseoit aussitôt à côté de moi, tente de me prendre dans ses bras, je le repousse avec le peu de force qu'il me reste.

— Lu, bébé, s'il te plaît, laisse-moi être avec toi.

Je fais non de la tête et tente de le maintenir loin de moi en posant ma main sur son torse. Je ne veux pas qu'il me touche, je ne suis qu'une pute qui a assouvi tous leurs désirs. Lorsqu'il le réalisera, il me haïra à nouveau. Il ne pourra plus jamais me regarder de la même manière, comment le pourrait-il alors que je me sens si sale ?

— Va t'en.

— Je ne partirai pas, bébé. Dis-moi juste ce qui t'arrive.

Je refuse. Je ne veux qu'il me regarde avec dégoût, je ne le supporterai pas.

— Je t'en supplie, Lucy. Parle-moi. Je suis là pour toi.

Sa voix tremblante me fait mal, mais ces mots sont un véritable électrochoc. C'est mon combat, pas le sien. Mon enfer, pas le sien. Il ne peut pas être présent en permanence pour moi. Ce n'est qu'un gars de dix-huit ans, avec un avenir brillant devant lui, pas Superman. Je refuse qu'il tente de me sauver à chaque fois.

— Sors, le supplié-je.

— Je reste ici, je te l'ai dit.

Tout dans son visage me prouve qu'il souffre de me voir dans cet état. Tout ça par ma faute. Il aurait dû continuer à me haïr, ça aurait été bien plus simple pour lui. J'ai mal. Horriblement mal d'apercevoir cette douleur dans son regard. Je veux qu'il continue à sourire, mais avec moi, ce n'est plus possible. Pas avec ce que je viens de découvrir. A présent, c'est moi sans lui et lui sans moi. Je veux qu'il soit heureux, c'est mon seul souhait. Je dois rester à l'écart, il finira par m'oublier.

Pour bien lui faire comprendre que je ne plaisante pas, je me relève. Ma tête tourne et je suis obligée de me raccrocher des deux mains au lavabo pour ne pas m'effondrer. Il a dû se rendre compte de mon état, puisqu'il pose ses doigts sur mes hanches. D'un simple regard dans le miroir, j'essaie de lui faire passer le message de ne pas me toucher. Il secoue la tête tandis que ses yeux s'accrochent aux miens. Mon cœur s'affole en interprétant tous les non-dits qu'il me lance à travers ses prunelles. Son amour pour moi, son immense chagrin de me voir le repousser. Je l'aime d'un amour surpuissant, mais je ne peux pas le faire traverser mon désert. Tandis qu'il continue à me fixer, je retire la bague de mon doigt. Puis, je me retourne, j'attrape sa main et la dépose sur sa paume.

— À quoi tu joues là, bébé ? Je veux que tu la remettes tout de suite !

Les larmes sur les joues, je secoue la tête.

— Remets-la ! gronde-t-il.

— Je t'ai dit de me laisser seule, Logan Alexander Baldwin !

Il secoue la tête, tente de se raccrocher encore à ce que nous avions, mais devant ma résignation, il finit par abdiquer. La tête entre les épaules, il quitte les toilettes alors que je m'effondre, terrassée par la douleur. Lui et moi, c'est vraiment terminé cette fois. Plus de retour en arrière possible. Un jour, il comprendra que je viens de le libérer d'un énorme boulet qui s'était accroché à sa cheville sans qu'il s'en rende compte.

Il est à peine parti que je l'entends discuter avec sa soeur. Pour ne plus souffrir au son de sa voix, je réfugie ma tête entre mes épaules. J'aimerais tellement pouvoir quitter ce monde qui ne m'a apporté que désolation. Néanmoins, avant de disparaître à jamais, je voudrais le voir heureux, même si je ne suis plus aux premières loges pour y assister.

— Pourquoi t'as fait ça, Lucy ?

La voix de ma meilleure amie tonne comme jamais. Je relève mon regard humide sur elle. Elle se tient droite, les bras croisés sur sa poitrine dans une attitude peu avenante. Elle me hait ou alors elle attend de comprendre ce qui m'a pris avant de me juger. Je ne sais pas trop, en fait.

— Parce que… Je…

Comment lui dire que je n'ai plus rien à apporter à son aîné ? Qu'en me souillant, ils m'ont tout pris.

— Putain, Lucy, il est dingue de toi. Alors, explique, parce que j'ai besoin de comprendre !

— Je ne suis qu'une pute !

Ses mots sont sortis spontanément, je n'ai pas pu les retenir. Un claquement résonne dans les toilettes et ma tête part sur le côté. Deb vient de me gifler avec une force que je ne lui connaissais pas.

— Ça, c'est pour avoir sorti des conneries plus grosses que toi !

Elle vient ensuite s'asseoir à côté de moi et me prend dans ses bras.

— Maintenant, explique-moi pourquoi tu as rompu vos fiançailles. Il pense que ta mémoire est revenue et vue ce que tu viens de dire, ça ne fait aucun doute.

Je hoche la tête pour confirmer la deuxième partie.

— Je veux qu'il soit heureux, c'est tout ce qui compte pour moi.

— Même si vous avez vécu un drame, qu'on l'a tous vécu, il est heureux avec toi. Tu n'as pas à en douter.

Je secoue ma caboche, je ne peux pas croire qu'il le sera encore quand il réalisera ce que j'ai subi. Combien ses salopards ont pris plaisir en se servant de mon corps. Un nouveau haut-le-cœur me saisit et je suis obligée de me retourner vers la cuvette. Deb retient mes cheveux alors que la bile remonte le long de ma gorge. Quand plus rien ne sort, je me laisse à nouveau retomber sur le sol. Je pleure encore dans les bras de ma meilleure amie qui ne semble pas vouloir me laisser seule. Je voudrais qu'elle aussi parte, mais je n'ai plus la force de me battre.

— Tu dois parler avec mon frère. Vous deux, ça ne peut pas se terminer comme ça. Il a besoin de toi, comme j'ai besoin de Killian depuis...

— Quand il saura ce que…

— Il sait tout.

Non, c'est impossible ! Comment peut-il le savoir ?

Sous mon regard effaré, Deb m'explique que ce que son frère a vécu alors que j'étais tenu en captivité. Choquée, je pose mes mains sur ma bouche. Gabson l'a brisé et pourtant depuis le début, Logan est là, présent pour moi. Il ne m'a jamais tourné le dos. Il a continué à m'aimer, à me faire l'amour comme si mon corps n'avait jamais été souillé. Cette vérité m'étouffe, je me sens totalement perdue. J'ai besoin d'air.

Je me redresse et sans un mot pour Deb, je dévale les escaliers. Même si elle hurle mon nom, je ne me retourne pas. Je dois à tout prix sortir d'ici. Fuir le plus loin possible. Trop de choses tournent à présent sous mon crâne. Je ne sais plus si j'ai bien fait de rompre avec lui. Je me sens tellement larguée. Pourquoi Deb m'a-t-elle révélé tout ça ? Sans, j'aurais été certaine de ma décision.

Je courre à en perdre haleine. Quand j'arrive dans la rue, je suis très vite interceptée par le policier chargé de ma protection. Il n'a pas l'intention de me laisser partir seule, il me retient par le bras et m'ordonne de monter dans sa voiture de fonction.

— Vous ne pouvez pas vous éloigner du domicile seule. Vous en êtes consciente ?

Je secoue la tête. Je n'ai plus conscience de rien, j'ai l'impression de me noyer, de ne plus être foutu de relever la tête.

— Je ne sais pas ce qui se passe, mais je ne peux pas vous laisser dans cet état. Y a-t-il un endroit où vous aimeriez aller ?

— Nanny.

C'est le premier et seul endroit qui me passe par la tête. Le seul où je souhaite être. La seule personne que je veux voir alors que tout mon monde vient de s'écrouler.

— Donnez-moi l'adresse et je vous y emmène.

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