47 - Lucy

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Je ne me souviens plus depuis quand je suis enfermée dans cette cabane en bois, perdue au milieu de nulle part. Je n'entends jamais aucun bruit, hormis quand ils viennent. Chaque jour se répète inlassablement, identique au précédent. Ils sont là, nus devant moi et je dois exécuter leurs ordres, sans quoi ils me frappent jusqu'à ce que j'en perde connaissance. Ce qui est de moins en fréquent, car vidée de toute force, je suis devenue aussi docile qu'un agneau. Ils peuvent faire de moi tout ce qu'ils veulent. Je ne suis plus qu'un corps sans âme. Juste une poupée gonflable vivante, soumise à leur moindre désir.

Je suis si fatiguée.

Des yeux aussi bleus que l'océan me hantent à chaque instant, mais les traits de son visage se font de plus en plus flous. Chaque fois que je pense à Logan, des perles salées roulent sur mes joues et je me tords de douleur. Parfois, je me demande s'il va bien, s'il arrive à sourire malgré que je sois loin de lui. Je l'imagine dans les bras d'une autre fille et, même si j'ai horriblement mal, je suis heureuse pour lui. Il mérite vraiment de connaître le bonheur.

Tellement fatiguée.

À l'approche d'un véhicule, je ne peux m'empêcher de sursauter et de me recroqueviller dans le coin le plus sombre de la pièce. Pourtant, ça ne sert à rien, je l'ai compris depuis longtemps. Dès qu'ils entrent, ils allument la lumière qui m'aveugle, puis, de leurs pas lourds, ils s'approchent, m'obligent à me relever en me saisissant par le bras avec violence, avant de faire ce qu'ils veulent de moi. Mon estomac n'a même plus la volonté de se soulever. J'ai déjà bien trop vomi. C'est à peine si je peux encore avaler quelque chose.

Tremblante, j'attends qu'ils entrent et prie pour que ce soit la dernière fois.

Je n'ai plus la force de lutter.

Ma respiration se bloque en même temps que le moteur s'éteint. Je ferme les yeux et compte les secondes qui me séparent de l'enfer. Cet enfer qui m'a totalement détruite. Anéantie. Terrassée. Je ne parviens même plus à savoir ce qu'il reste de moi. Depuis bien longtemps, j'ai perdu le goût de vivre. Plus d'une fois, j'ai prié pour mourir. Je veux juste en finir pour pouvoir leur échapper. L'espoir de pouvoir à nouveau voir la lune et les étoiles m'a désertée depuis belle lurette. J'ai vite compris que, jamais, je ne pourrais quitter cet endroit en vie.

Combien de temps me reste-t-il à brûler au milieu des flammes avant de pouvoir atteindre les portes du paradis ?

La délivrance, c'est tout ce que je demande. Si un Dieu m'entend, alors qu'il écoute mes prières et abrège mes souffrances.

Les murs de la cabane sont si fins que je peux entendre les pas crisser sur les cailloux. Alors qu'ils se rapprochent de plus en plus, mon pouls s'emballe.

Je n'entends pas le cliquetis habituel de la serrure. Quelqu'un tente d'entrer en appuyant seulement sur la poignée. Ça ne peut pas être eux. Un micro-espoir s'insinue en moi. Peut-être qu'au final, une entité supérieure existe et vient m'apporter ce que je lui ai demandé.

Croyant dur comme fer que ça puisse être ça, je tente de pousser un petit cri pour alerter cet étranger, mais il meurt avant même de franchir mes lèvres. Ma gorge est si sèche.

Un coup de feu retentit. Effrayée comme jamais, je me bouche les oreilles et tente de me faire toute petite. Une nouvelle détonation résonne, avant que la porte s'ouvre avec fracas et vienne percuter le mur adjacent.

La clarté de la lune me permet de distinguer les contours de la silhouette qui pénètre à l'intérieur. J'aperçois un homme au crâne rasé franchir le seuil. Il tâtonne le mur à la recherche d'un interrupteur ou je-ne-sais quoi. Mes yeux habitués à l'obscurité sont vite éblouis lorsqu'il allume la lumière beaucoup trop vive. Afin de m'en protéger, je ferme mes paupières et pose mon bras dessus.

— Eh ! Je sais que t'es là. J'te veux aucun mal, gamine.

Légèrement rassurée par le ton doux qu'il emploie, j'ouvre mes prunelles afin de le regarder. Sa tête me rappelle instantanément celui qui fait de moi sa chose tous les jours. Cependant, je sais que ce n'est pas lui, car il se serait déjà jeté sur moi pour me tirer loin de ma cachette. Toujours la même.

—J'suis juste là pour t'aider.

Ses yeux scrutent la pièce jusqu'à ce qu'ils tombent sur moi. L'expression de son regard est indéchiffrable, mélange d'horreur et de colère à la fois. Pourtant,je suis certaine qu'il en a déjà vu beaucoup. Les cicatrices sur son visage me le prouvent.

Quand il fait un pas dans ma direction, l'effroi me saisit. Je panique à l'idée qu'il soit lui aussi là pour faire de moi son esclave. Il aurait très bien pu me mentir pour me mettre en confiance et me mener en bateau.

Des images d'eux viennent me fracasser alors que j'imagine cet homme désirer la même chose. Nu. En érection. Leurs membres enfoncés jusqu'au fond de ma gorge, me donnant la nausée à chaque butée violente contre ma glotte. Ou encore eux en train de me posséder avec brutalité, comme des bêtes sauvages.

—Si tu ne veux pas bouger, j'me casse !

Je lutte de toutes mes forces pour ne pas me laisser envahir par ces images traumatisantes. Humiliantes. Destructrices.

Je tourne la tête dans sa direction et pose mes yeux sur lui.

Il m'observe, attentif, mais comme aucune réaction de ma part ne vient, il se retourne pour se diriger vers la sortie. Je réalise alors qu'il est peut-être vraiment là pour me venir en aide. Dieu ou je-ne-sais qui me l'a peut-être envoyé. En réalisant que c'est peut-être bel et bien le cas, je suis maintenant apeurée à l'idée qu'il m'abandonne. J'essaie de prononcer un mot, aussi simple que « restez », mais seul un gémissement quitte mes lèvres. Une larme dévale le long de ma joue, frustrée de ne pas y parvenir.

S'il vous plaît, ne partez pas.

Je tente encore de l'appeler, en vain. Rageuse contre mon incapacité à pouvoir le retenir, je frappe le sol de mon poing. Le bruit qui en ressort est faible, néanmoins, il est suffisant pour arrêter l'inconnu. Il fait aussitôt volte-face pour venir poser ses yeux sur moi.

A l'aide du mur derrière moi, je tente de me relever. À chaque douleur qui me terrasse, je serre les dents pour ne pas m'effondrer. Je ne veux pas qu'il parte. Une larme, puis une autre et encore une descendent le long de mes joues tandis que je lutte pour avancer, pas après pas, dans sa direction.

— S..s… plaît, le supplié-je.

Il frotte sa main sur son crâne rasé tout en me regardant venir vers lui.

Au moment où je me sens sur le point de vaciller, deux bras puissants s'enroulent autour de ma taille pour me soutenir. Mon corps se raidit lorsqu'il entre en contact avec le sien, écœuré par cette proximité. D'une main, je tente mollement de le repousser. Il n'y prête pas gaffe, puisqu'il continue à me maintenir fermement pour me guider jusqu'au seul meuble de la pièce. Un lit sans aucun drap.

Quand son regard s'attarde sur mon corps nu, une boule d'angoisse bloque ma respiration. Terrorisée, une part de moi aimerait lui hurler de foutre le camp, de ne pas me toucher tandis qu'une autre, celle qui garde espoir qu'il soit vraiment là pour me sortir de ce gouffre, voudrait le supplier de m'amener loin, très loin même, de cette maison de l'horreur.

Il me scrute encore, avant de secouer la tête. Puis sans un mot, ses yeux toujours posés sur moi, il se relève et commence à se déshabiller. J'avais tort de garder la foi. Il n'est là que pour la même chose que les autres.

Totalement effrayée, je recule pour tenter de lui échapper. Les jambes contre ma poitrine et mes bras autour, je me balance rapidement d'avant en arrière tandis que ma respiration se saccade. Les larmes roulent rapidement sur mes joues. Amères. Tranchantes. Fracassantes.

Je ne veux pas revivre ça ! Pas encore une fois ! Je ne le supporterai pas.

Non, pitié, non !

— Tiens, couvre toi, me dit-il en jetant ses fringues sur moi.

Déstabilisée par son geste, je reste figée, les yeux posés sur son t-shirt qui a atterri sur mes genoux.

— Si tu veux rester à poil, pas mon problème, j'en ai vu d'autres. Mais dehors, ça pèle encore plus que là, c'est à toi de voir. J'suis juste là pour t'aider à te casser, pas pour te baiser, peu importe ce que tu penses.

Légèrement rassurée, je passe rapidement la tête, puis les bras dans son t-shirt, puis j'enfile tout aussi vite son blouson, sans le quitter une seule fois des yeux. La chaleur de ses vêtements m'apportent un peu de répit.

— J'aurais aimé te trouver avant, mais ça a pris du temps de trouver ce p'tit con. Tu m'étonnes que les flics n'ont jamais réussi à foutre la main sur toi. Cet endroit n'est même pas répertorié sur une carte. Putain, mais qu'est-ce qui lui a pris ?

D'une main, il masse sa nuque en fixant le mur face à lui. Quand il se retourne, il m'observe une nouvelle fois. Son regard dur me donne envie de me ratatiner et de disparaître de la surface de la Terre.

— À la base, j'étais juste venu te filer un petit coup de main pour que tu puisses t'casser, mais vu ton état, va falloir que j'te porte jusqu'à ma caisse. Je crois pas que tu puisses marcher. Y a une route en contrebas, j'vais t'amener là-bas. T'auras qu'à attendre que les flics rappliquent, j'les ai prévenus. Je pourrais pas rester, mais j'serai pas loin jusqu'à ce que tu sois entre de bonnes mains. Bon, on y va, ok ?

Même si je ne comprends pas vraiment tout ce qu'il me raconte, je hoche la tête.

Un léger sourire s'affiche sur ses lèvres, avant qu'il ne vienne glisser un bras sous mes jambes et l'autre sous mes bras. Bien que prévenue de ses intentions, je ne peux m'empêcher de me raidir au moment où il me soulève contre lui.

—Je ne te veux aucun mal. J'te jure que Jax ne t'en fera plus jamais.

Même si son contact me répugne, je me laisse porter, sans rien dire, jusqu'à sa voiture. Il me dépose sur le siège arrière avec délicatesse, puis il file derrière son volant et démarre sur les chapeaux de roue.

Le chemin cahoteux qu'il emprunte me rappelle à chaque instant mes innombrables blessures. Lorsque nous arrivons sur la route, des sirènes hurlantes m'informent que les secours se dirigent vers nous. Ce son qui perce le silence de la nuit me redonne un léger goût d'espoir.

—Je n'ai pas le temps de traîner. Les flics sont sur le point de débarquer. Tu crois que tu peux sortir seule de ma caisse ?

Si je comprends bien une chose, c'est qu'il n'a aucune envie de se faire choper. Alors, même si je ne suis pas certaine d'en être capable, j'acquiesce d'un signe de tête. J'ouvre la portière, puis tente de m'extraire de l'habitacle, mais chacun de mes mouvements me rappellent à l'ordre. Tout mon corps n'est que supplice.

—Et merde ! grince le gars en voyant que je suis bien trop lente.

Il ouvre sa portière à son tour, avant de se ruer vers l'arrière de sa voiture. Cette fois, sans aucun ménagement, il me tire et me traîne jusqu'au bas-côté, avant de filer aussi rapidement que l'éclair.

Seule au milieu de nulle part, je tremble de peur et de froid.

Faites qu'ils arrivent vite ! S'ils remettent la main sur moi, ils me tueront cette fois.

Quand la lueur des gyrophares se fait de plus en plus proche, je pleure de soulagement. Je vais m'en sortir. Poussée par ce nouvel espoir, j'essaie de me redresser, mais je suis bien trop faible pour me relever. Alors, je reste assise agitant mollement la main.

Au moment où un premier véhicule s'arrête, je pousse un long soupir. Un homme en costard en sort et, sans avoir refermé sa portière, il accourt dans ma direction.

Sauvée ! Je suis enfin sauvée. Mon cœur, épuisé, essaie de battre à nouveau normalement

D'autres véhicules s'arrêtent pour laisser des hommes en uniforme en sortir. Des ordres crachés brisent le silence alentour.

Je ne suis plus seule. Ils sont là pour moi.

— Lucy !

Je pose mes yeux sur ce visage qui m'est familier. Une ride d'inquiétude lui barre le front. Quand il s'approche un peu trop près de moi, j'ai un mouvement de recul jusqu'à ce que je reconnaisse ses yeux qui m'ont aidé à me maintenir en vie. Ce n'est pas mon amour, mais son regard est si semblable au sien que je m'y accroche de toutes mes forces.

—Lucy, est-ce que tu m'entends ?

Je hoche imperceptiblement la tête, mais ça semble suffisant pour qu'un léger sourire étire ses lèvres.

—On va te conduire à l'hôpital, d'accord ?

Encore une fois, j'émets un léger mouvement du chef.

Des ambulanciers viennent jusqu'à moi pour me prodiguer les premiers soins. Quand ils veulent me toucher, je pousse un léger grognement et tente de les repousser. Cependant, je suis si faible qu'ils ne semblent même pas le remarquer. Affolée, mes yeux partent dans tous les sens.

—Ils ne te feront aucun mal, me promet le père de Logan, en posant une main sur la mienne.

Une aiguille s'enfonce dans mon bras. Mes paupières deviennent lourdes. Peu à peu, je glisse vers le néant en me répétant que je suis à présent hors de leur portée. Plus jamais, ils ne me toucheront. Plus jamais ils ne poseront leurs sales pattes sur moi.

Sauvée !

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