41 - Debbie

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Voilà une semaine jour pour jour que Lucy a disparu. Sept jours que la vie n'a plus le même goût. Cent soixante-huit heures que ma famille prend l'eau. Que mes parents s'engueulent de plus en plus fréquemment. Que mon frangin déconne de plus en plus méchamment. Que plus personne ne me calcule, comme si j'étais devenue invisible pour tous. Pourtant, moi aussi, je souffre de cette disparition. Moi aussi je me ronge les sangs sans savoir si un jour on la reverra en vie ou non. Pourquoi personne ne voit que je vais mal également ? Ce n'est pas parce que je ne disparais pas toutes les nuits, comme lui, que je vais bien. J'essaie juste de ne pas être la goutte d'eau en trop, celle qui fera déborder le vase déjà bien trop rempli de mes vieux.

— J'y vais, à ce soir, lancé-je à ma mère.

Je n'aurais rien dit, le résultat aurait été identique. Elle n'a même pas pris la peine de relever les yeux de sa tasse de thé. Invisible, c'est bien ce que je dis. Encore heureux qu'il me reste le lycée. Sans, je ne suis pas certaine que je pourrais supporter tout ça. Parfois, je meurs d'envie de secouer mes parents, de leur dire que leur fille a besoin d'eux, mais surtout de les réveiller pour qu'ils agissent comme des adultes responsables, afin de venir en aide à Logan. Mon père n'aurait jamais dû laisser passer les coups qu'il lui a donnés lundi soir. Il aurait dû lui interdire de sortir, le forcer à regagner sa chambre. Le contraindre à regarder la réalité en face, même si elle est cruelle et extrêmement douloureuse. J'en pleure toutes les nuits, lorsque je me retrouve seule dans le noir, au fond de mon lit. Mes sourires se font de plus en plus rares. Seul Killian parvient à m'en décrocher quelques-uns.

Lui et moi passons de plus en plus de temps ensemble, même quand il bosse au garage pas très loin du bahut. De toute façon, je peux traîner un peu, personne ne le remarquera chez moi. Ils sont bien trop pris par leurs prises de becs. Une fois rentrée, je passe encore du temps à discuter avec lui soit par sms, soit sur instagram. Une chose est sûre, Lucy avait raison, derrière ses airs de gros dur, il cache un cœur en or. Puis, j'admets qu'il est vraiment beau gosse.

À peine suis-je arrivée au bahut que je remarque une agitation anormale parmi les autres élèves. Qu'est-ce qu'il se passe encore ? Mon cœur bondit alors que j'espère qu'une bonne nouvelle vient de tomber. Peut-être ont-ils retrouvé Lucy ? Non, mais je suis conne ou quoi ? Si c'était vraiment le cas, mon père m'en aurait informée avant même de contacter notre proviseur.

Je me frappe le front, avant de quitter ma caisse. Je lance un coup d'œil parmi la foule à la recherche du grand blond qui arrive encore à me donner goût à la vie. Dès que mes yeux tombent sur lui, je me rue dans sa direction. Sans surprise de sa part, je me jette à son cou et colle une bise sur sa joue.

Wouah, il sent trop bon !

— Tu sais ce qu'il se passe ? le questionné-je en gardant mes bras enroulés autour de son cou pour m'enivrer de son'parfum.

D'un baiser sur le sommet de ma tête, il me salue, avant de me répondre :

— Aucune idée. Je viens juste d'arriver. Peut-être que Kate ou Reed en sauront plus.

— Ouais, on devrait essayer de les trouver.

Je m'accroche à son bras tandis que nous partons à la recherche de nos potes. Les cheerleaders que nous croisons nous regardent d'une drôle de manière. Je n'arrive pas bien à décrypter si elles sont jalouses que je sois avec l'un des plus beaux mecs du bahut ou bien si c'est de la pitié qu'elles m'adressent. D'autres élèves chuchotent sur notre passage. Leur attitude des plus étranges me fout une boule à l'estomac. Quand je suis revenue vendredi dernier, ils agissaient exactement de la même manière. Qu'est-ce qu'il leur prend ? Est-ce à cause de Logan ? Lui est-il arrivé quelque chose ? Mais, pourquoi eux seraient-ils au courant avant moi ? C'est vrai que je ne l'ai pas entendu rentrer cette nuit, ni même ce matin, mais… Non, ça ne peut pas être lui ! Ma mère m'en aurait parlé au lieu de m'ignorer, n'est-ce pas ? Mais pourquoi continuent-ils à me scruter comme ça ? Pourquoi Mandy semble pleurer dans les bras d'une de ses copines ? Ma respiration se fait de plus en plus rapide, effrayée à l'idée que mon frère soit à l'hôpital, voire pire. Non, non, non ! Je me raccroche au bras de Killian pour ne pas sombrer devant mes sales pensées. Alerté, il s'arrête aussitôt pour venir se placer devant moi.

— Qu'est-ce qui ne va pas ? me questionne-t-il en happant mon regard dans le sien.

— Tu crois que ça peut-être à cause de Logan ? Je les trouve bizarres, réponds-je en désignant les autres d'un vague signe de la main.

Il me lance un sourire qui me réchauffe instantanément.

– Je n'ai pas fait gaffe à la manière dont les autres te matent, mais je suis sûr que ça n'a rien à voir avec lui.

J'essaie de me raccrocher à ses certitudes autant que possible jusqu'à ce qu'on croise les coéquipiers de mon frangin. Là le doute n'est plus permis. À leurs tronches décomposées, il est arrivé quelque chose de grave à l'un d'entre eux. Et le seul qui me vient à l'esprit, le seul qui déconne grave depuis plusieurs jours, c'est Logan. Merde, où est-il ? Qu'a-t-il fait ? Comment va-t-il ?

Oh mon Dieu !

C'est sûrement à cause de ça que ma mère n'a même pas daigné me regarder. Mais, pourquoi elle ne m'a rien dit ? Pourquoi est-elle restée figée sans même m'annoncer cette mauvaise nouvelle ? Je devrais être auprès de mon frère, auprès de mes parents. Pas ici, à attendre je-ne-sais quoi.

Killian doit sentir combien je suis angoissée, puisqu'il passe son bras autour de ma taille et m'attire à lui.

— Je suis sûr que ton frangin va bien, me murmure-t-il.

Les lèvres pincées, je relève les yeux vers les siens afin d'y puiser la force dont j'ai besoin à cet instant.

— Eh, Reed ! l'interpelle-t-il.

L'intéressé passe la tête par-dessus son épaule. Dès qu'il réalise que c'est nous, il vient nous rejoindre dans une démarche lourde, la tête enfoncée dans ses épaules.

— C'est quoi le problème ce matin ? le questionne Killian.

Morte de peur que ça puisse concerner Logan, je me blottis un peu plus contre lui.

— C'est Chris, commence Reed en me fixant.

Il a certainement dû sentir que j'étais en train de perdre pied.

— Comment ça, Chris ? demandé-je, à la fois surprise et soulagée.

— Il s'est suicidé. Coach l'a retrouvé hier soir pendu à la douche.

Je suis si abasourdie que ma mâchoire s'en décroche. Comment est-ce possible ? Pourquoi a-t-il fait ça ? Pourtant, quand je l'ai vu hier, il ne semblait pas si déprimé que ça. D'accord, il a fait du mal à son meilleur pote, mais de là à se foutre en l'air, il y a de la marge. C'est impossible ! Je n'arrive pas à capter qu'il puisse avoir commis un tel geste. Sonnée, je lève les yeux vers Killian, qui semble aussi étonné que moi.

— Tiens, me lance Reed en me tendant une enveloppe. C'est pour Logan. Les gars et moi, on n'a pas eu le cœur à la lire. Comme ce n'est pas trop le moment de la remettre à ton frangin, avec ce qu'il traverse, je pense que tu devrais la lire pour lui.

L'alarme, porteuse de malheur, résonne à cet instant de la même manière que vendredi dernier. Ce son me fait grincer des dents, il me rappelle à quel point notre monde s'est écroulé sept jours auparavant. D'une main dans le creux de mes reins, Killian me fait avancer. Sa chaleur me donne la force de le faire. Sans lui, je ne suis pas certaine que j'aurais pu trouver le courage de me retrouver enfermée à nouveau dans ce lieu à la connotation trop douloureuse.

Assis en haut des gradins, nous écoutons le proviseur nous parler de Chris Robinson, ce joueur talentueux, à l'avenir prometteur. Certaines cheerleaders pleurent dans les bras de leurs copines tandis que ses coéquipiers baissent la tête. Malgré ce qu'il a fait à leur capitaine, je sens combien sa mort leur coûte. Logan ne cessait pas de nous dire à quel point il était parvenu à créer un esprit de cohésion dans son équipe. À cet instant, je ne peux que le constater. Ils viennent de perdre un ami, un frère. Même si je ne le tenais pas dans mon cœur, ça me touche également.

Pourquoi notre lycée est-il frappé par autant d'horreurs depuis la semaine dernière ? Qu'avons-nous fait pour mériter de vivre de tels drames coup sur coup ? Quel sera le prochain ?

Une larme roule sur ma joue. Je la chasse aussitôt dans un geste rageur, avant de quitter cet endroit maudit au pas de course. Je ne peux pas rester ici, c'est impossible !

— Debbie ! Deb, attends ! m'ordonne Killian.

Je me retourne vers lui et me jette dans ses bras. Toutes les soupapes de sécurité que j'ai mise en place pour ne pas couler se font la malle et mes pleurs s'échappent sans que je puisse les retenir. Je me raccroche à son t-shirt comme à une bouée de sauvetage. D'un bras autour de ma taille, il me rapproche de lui. Dans un mouvement lent et doux, il caresse mes cheveux. Il me parle, me rassure, me console. Il me promet qu'un jour le soleil brillera à nouveau dans nos vies. Que le vent chasse toujours les nuages, aussi épais soient-ils.

Peu à peu, apaisée par les battements de son cœur, ma respiration se calme et mes larmes se tarissent. Je lève les yeux vers les siens. Mon pouls s'emballe en voyant une lueur intense dans son regard. Il fixe mes lèvres, qui s'entrouvrent comme pour l'appeler à venir les goûter.

Un brouhaha assourdissant, dans son dos, brise cet instant. Je me reprends alors qu'il s'éloigne de moi. Il glisse une main dans ses cheveux, tout en faisant les cent pas. J'ai l'impression qu'il regrette ce qu'il aurait pu se passer si nous n'avions pas été interrompus. Un flot de lycéens passent entre nous, le camouflant à ma vue. Je décide d'aller l'attendre un peu plus loin, en espérant qu'il vienne me rejoindre rapidement.

Alors que je me dirige vers l'enceinte du lycée, j'aperçois Kate, assise sur un des murets qui bordent les marches menant aux portes. Ses mains recouvrent son visage, elle semble ne pas aller bien. Je suis presque sûre qu'elle ne s'est même pas rendue au gymnase.

— Eh, Kate ! l'interpellé-je.

Elle secoue la tête sans relever les yeux. Je m'asseois près d'elle et l'attire contre moi. À mon avis, c'est ce dont elle a besoin.

— C'est de ma faute, me dit-elle d'une voix tremblante.

Je me redresse un peu, étonnée par ce qu'elle me sort.

— Comment ça ?

Elle redresse la tête et sèche ses larmes, avant de venir plonger ses yeux dans les miens.

— Hier, Chris est venu me voir. Il m'a dit qu'il voulait me parler, pas longtemps. Juste deux minutes. C'est le laps de temps qu'il désirait.

Elle laisse passer un blanc tandis qu'elle scrute mes réactions.

— Et ? entends-je Killian lui demander.

Dès que je me tourne vers lui, ses lèvres impriment un petit sourire.

— Je lui ai dit que je n'avais pas envie de lui parler. Que le mal qu'il avait fait à Logan était impardonnable. Que jamais je ne pourrais l'excuser et je l'ai laissé en plan… Si je l'avais écouté, je suis sûre qu'il n'aurait jamais fait ça. On était amis et je lui ai tourné le dos, alors qu'il avait besoin de moi !

— Je suis sûr que tu n'as rien à voir là dedans, tente de la réconforter Killian.

D'un hochement du chef, je confirme ses propos.

— On devrait lire la lettre, au moins on comprendrait pourquoi il a fait ça, me suggère-t-il en plantant son beau regard ténébreux dans le mien.

Je hausse une épaule, peu sûre de moi. Logan risque de m'en vouloir si je le fais, non ? Puis, son contenu est peut-être un peu trop personnel pour avoir le droit de la lire.

— Quelle lettre ? demande Kate dont les yeux passent de Killian à moi à plusieurs reprises.

— Chris a laissé une lettre à mon frère avant de mourir, lui expliqué-je tout en sortant l'enveloppe de mon sac.

Kate la regarde avec insistance, comme si elle cherchait à en déchiffrer le contenu.

— Je sais que c'est pour Logan, mais j'aimerais la lire… tu sais, juste histoire de comprendre pour quelles raisons, il en est arrivé à cet extrême.

Devant son regard suppliant, je finis par sortir la feuille quadrillée de son emballage.

— Hey, mec, commencé-je à lire à voix haute. Tu vas me prendre pour un con, mais comme je n'arrive pas à te joindre, ma mère m'a dit de t'écrire. À un moment ou à un autre, tu finiras bien par tomber dessus. Je vais la foutre dans ton casier pour être sûr que tu la voies. Je voulais te dire que tu me manques, mec. Je sais que j'ai fait la plus grosse connerie de ma vie en allant balancer à Gabson que Calaan était seule. Je n'aurais pas dû, je sais. Je croyais bien faire, vieux. Je croyais qu'elle jouait avec toi et je voulais juste te protéger. Surtout que je n'ai rien capté. Du jour au lendemain, tu es passé du "je la hais" à "je l'aime à en crever". Et j'étais trop con pour penser qu'entre toi et elle, c'était vraiment du sérieux.

Reed m'a dit que tu dérailles totalement depuis. J'espère pour toi qu'il m'a menti, parce que je te jure, que même si tu ne veux plus me voir, je finirais par te trouver pour te foutre un coup de pied au cul. Putain mec, tu vas signer avec la Crimson Tide, t'as pas le droit de déconner !

Puis, il y a ta frangine ! Sérieux, comment tu peux la laisser traîner avec le chien de garde de Calaan...

À ces mots, je quitte un instant la feuille des yeux pour jeter un coup d'œil sur Killian. Un léger rictus étire ses lèvres. Si ce surnom m'emmerde, ce n'est visiblement pas son cas. Peut-être que Logan lui en avait déjà parlé.

Kate m'encourage d'un signe de la main à reprendre.

— Et puis, je vais te dire un truc, j'ai croisé ta frangine à plus d'une reprise et elle n'a vraiment pas l'air bien. Le kidnapping de sa pote doit lui faire sacrément mal. Et t'es où toi, hein ? Putain, dire, que tu ne supportes pas de la voir triste, que tu es prêt à dégommer le premier qui la rend malheureuse !

Je m'arrête un instant, trop émue par ce que je viens de lire. Chris a totalement raison, où est passé mon grand frère ? Il n'est plus que l'ombre de lui-même.

Lorsqu'il se rend compte que je n'y arrive plus, Killian s'assoit à côté de moi, passe son bras autour de mes épaules et poursuis la lecture :

— Alors, cesse tes conneries, mec ! Si tu ne veux pas le faire pour moi, fais-le pour elle. Puis, tu crois que ta copine apprécierait de te voir dans cet état, sérieux ?

Il reste pas mal de mots écrits, pourtant Killian cesse brusquement sa lecture. Il me fixe longuement, comme si en lisant sur mes traits il pouvait trouver réponse aux questions muettes qu'il semble se poser.

— Quoi ? lui demande Kate.

D'un bond, il se remet sur ses pieds. Nous le regardons, toutes deux, arpenter le sol devant nous, en silence. Quelque chose le perturbe. Ou du moins, ça en a tout l'air.

— Qu'est-ce qu'il y a ? finis-je par lui demander.

Il s'arrête net, fait volte-face et me dévisage encore une fois.

— Ma sœur m'a laissé une lettre d'adieu et je mettrai ma main à couper que Chris n'a jamais voulu crever.

Estomaquée, j'en perds un instant mon latin et ne parviens pas à lui sortir une phrase correcte. Les mots qui sortent de ma bouche ressemblent à du vrai charabia.

— Tu veux dire que quelqu'un aurait pu le tuer ? réussis-je enfin à prononcer.

— Ouais, souffle-t-il.

Je plaque mes mains sur ma bouche, pétrifiée par ce que je viens d'entendre. Bordel, qui a pu commettre un tel acte ? Ne me dites pas que… Oh, mon dieu, non !

— Tu crois que Logan aurait pu le tuer ? demande Kate qui a eu la même pensée que moi.

Pourtant, je n'y crois pas. Puis, ça ne coïncide pas. Je suis certaine que Logan dormait quand c'est arrivé. Oui, oui, c'est ça, il devait être dans son lit. Il n'aurait jamais pu commettre une telle horreur. Mon frère n'est pas un criminel ! Totalement paniquée face à cette idée, je me triture,les doigts.

— Non, celui qui a fait ça savait ce qu'il faisait. Il ne voulait laisser aucune trace en faisant passer son crime pour un suicide. Ton frangin, Deb, l'aurait tué avec ses poings, pas de cette manière. Je ne le connais peut-être pas beaucoup, mais j'en suis convaincu.

Alors que je tente de me rassurer avec ce qu'il vient de dire, le coach Tundermann s'arrête devant nous.

— Mademoiselle Baldwin, puis-je vous parler ?

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