36 - Debbie

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La journée a vraiment été difficile. Les heures de cours, un véritable calvaire. Plus d'une fois, je me suis retenue pour ne pas me laisser submerger par mon chagrin. Les profs n'ont pas besoin de voir combien je me sens mal, leur pitié me suffit amplement. J'aurais même préféré m'en passer.

La dernière sonnerie vient de retentir. Tant mieux. Je vais, enfin, rentrer chez moi. C'est trop difficile de rester ici alors que les souvenirs de la veille n'arrêtent pas de remonter à la surface. Se rendre au journal, non merci. Pourquoi faire d'abord ? Entendre les autres me parler de l'enlèvement ou voir dans leurs yeux à quel point ils sont désolés ? Très peu pour moi. Kim m'a bien proposé de passer chez elle, histoire de me changer les idées, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Tôt ou tard, on aborderait ce sujet bien trop sensible qui finirait par nous faire pleurer toutes les deux. Alors, je vais rentrer, me planquer sous ma couette, prendre mon ancienne peluche dans mes bras, et regarder des séries sur Netflix pour ne plus penser à rien.

J'ai tellement peur pour elle.

Si les génies existaient , je leur demanderais de remonter le temps, pour aller la retrouver aux toilettes. Nous irions ensuite rejoindre les autres, bras dessus-dessous, en riant. On serait encore heureux, souriants tous à la vie comme n'importe quel ado de notre âge.

Mon cœur se serre chaque fois que je pense à elle et tout ça à cause de ce connard de Robinson, qui n'a pas supporté de voir mon frangin et Lucy heureux. A croire que lui aussi est amoureux d'elle. À moins que ce ne soit de lui ? Beurk ! Franchement, je n'imagine pas du tout Logan avec ce type. Non pas que je sois homophobe, mais bon quand même quoi !

En tout cas, j'aurais mieux fait de lui péter les dents en début d'année, je ne sais pas si ça aurait changé grand-chose, mais au moins, je l'aurais remis à sa place. Maintenant, je sais pour quelles raisons elle a refusé que je fasse quoi que ce soit pour les refoutre, lui et mon frangin, à leur place. Au fond d'elle, elle gardait espoir qu'il redevienne celui avec qui elle a tissé des liens si forts depuis sa naissance. Elle n'arrivait pas à se convaincre qu'il ait pu autant changer. Elle continuait à rêver les yeux ouverts.

Bordel, dire que je croyais qu'elle avait tourné la page sur eux dès qu'il a commencé à l'humilier, je me suis vraiment gourée. Elle aurait dû m'en parler l'année dernière, plutôt que me laisser deviner au fil des mois. Pourquoi faisait-elle semblant de n'être intéressée par aucun mec, alors qu'elle était en crush sur mon frère ? Quoique, lui n'est pas mieux, il a tout gardé pour lui. Jamais, il ne m'a jamais avoué que s'il faisait autant de mal à Lucy, c'est parce qu'il souffrait lui-même. J'ai juste cru qu'il s'était laissé monter la tête par ses potes. Et un en particulier. Je ne l'ai jamais aimé celui-là, de toute façon. Quel connard !

En tout cas, je suis certaine que si Logan avait connu son foutu secret bien avant, nous aurions pu éviter beaucoup de drames. Elle se serait bien plus confiée à lui qu'à moi et lui n'aurait rien laissé passer, contrairement à moi. Il aurait tout balancé à notre père dès le début. Putain, qu'est-ce que je m'en veux !

— Ça va ? me questionne Kate, assise à la place passager de ma voiture.

Elle a tenu à venir à la maison pour voir Logan. Je lui ai dit pourtant que je n'étais pas certaine qu'il en ait bien envie. Dans quel état allons-nous le trouver quand on va rentrer ? Totalement mort ou bien en train de tout fracasser ? Les deux me font autant de mal l'un que l'autre. Je ne supporte pas de voir cette fragilité chez lui. En même temps, à sa place, je ne sais pas comment je réagirais. Certainement aussi mal que lui, voire pire. J'adore Lucy, c'est ma meilleure amie, ma soeur, mais mes sentiments pour elle n'atteignent pas la puissance de ceux de mon frère. Ils sont tout l'un pour l'autre et tellement mignons ensemble. Je n'ai jamais vu un couple aussi beau.

Peut-être que la présence de sa meilleure amie lui fera du bien ? Peut-être a-t-il plus besoin d'elle que de moi ? Je suis tellement paumée face à tout ça.

Je finis par répondre à sa question d'un haussement d'épaules.

— Je suis désolée, je n'aurais jamais dû vous tourner le dos, s'excuse-t-elle. Je ne sais pas ce qui m'a pris de suivre Logan dans ses conneries. J'aurais dû l'aider à canaliser sa jalousie au lieu de m'amuser…

— Garde tes excuses pour Lucy, la coupé-je.

Je n'ai pas envie de l'entendre geindre. Puis, Lucy en aura plus besoin que moi. Je ne veux pas admettre qu'on ne la reverra peut-être jamais.

Elle m'observe un instant, avant de reporter ses yeux droit devant. Un lourd silence s'abat dans l'habitacle.

Un silence qui me rappelle que ma meilleure amie se trouve entre les mains de psychopathes, que mon frère se tient plus bas que terre et que seul un miracle pourrait nous sortir de cet enfer. Une boule se forme dans ma trachée, ce n'est pourtant pas le moment de perdre les pédales. Je suis en train de conduire et un accident serait le plus malvenu. D'un battement de cil, je fais rapidement le vide en moi, afin de pouvoir me concentrer sur la route.

—Tu crois qu'il va s'en remettre ?

Sa tristesse transparaît clairement dans le timbre de sa voix.

— J'en sais rien. Il allait vraiment mal.

Ce matin, j'ai laissé un gars dans sa chambre qui n'avait plus rien à voir avec mon aîné. Lui, si dynamique en règle générale, ressemblait à un zombie. C'est comme si la disparition de Lucy lui avait retiré une partie de son âme.

J'aurais dû balancer à mon père tout ce qu'elle m'avait dit. Putain, pourquoi je n'ai rien fait ? Pourquoi je l'ai écoutée ? J'en fais toujours qu'à ma tête, mais là j'ai préféré fermer ma grande gueule. Mais quelle conne, je suis !

A présent, personne ne sait où elle est et ça me fiche les boules. Je ne sais pas de quoi est capable ce malade, mais rien que d'y songer, ça me fait froid dans le dos.

Mon père a plutôt intérêt à nous apporter des bonnes nouvelles ce soir. Je ne suis pas prête à revivre la même nuit que la précédente. Je veux que Lucy revienne. Je veux la serrer dans mes bras et voir mon frère l'embrasser jusqu'à ce que je toussote dans leur dos, dérangée par leur échange de salive un peu trop intense.

— Je ne pensais pas que Chris était capable d'aller jusque-là.

— Mouais, soufflé-je

Que puis-je lui répondre de plus ? C'était son ami, pas le mien.

Lorsqu'on rentre chez moi, la première chose sur laquelle mes yeux se posent, c'est Logan endormi sur le canapé. Ses traits sont tirés comme si son sommeil était agité. Sa main repose sur la bouteille de whisky que mes parents ont achetée la semaine dernière. Triste tableau.

Kate et moi échangeons un sourire sans joie. Ni elle, ni moi ne savons quoi dire.

—Tu devrais rentrer chez toi, lui conseillé-je après un court moment de silence. Je pense qu'il a besoin de dormir.

Elle hoche juste la tête, avant de se diriger vers la sortie. Mon père franchit la porte à cet instant, son portable vissé à l'oreille.Il salue Kate d'un vague mouvement de la tête, tout en continuant à bavarder avec son interlocuteur.

—Dès que tu en auras trouvé un, dis-lui de prendre contact avec moi. Je lui fournirai tous les éléments de l'enquête.

Il laisse passer un blanc, durant lequel il porte un regard triste sur mon frère.

—Plus vite ça sera fait et mieux ce sera. Avec John, on a franchement l'impression d'avoir des flics de pacotille dans ce commissariat.

Pendant que la personne à l'autre bout de la ligne lui parle, les yeux de mon père vont et viennent entre mon frère et moi. Aucune expression ne me permet de savoir ce qu'il ressent, jusqu'à ce qu'il capte la bouteille. Un voile de tristesse recouvre son regard un instant, avant qu'il ne se reprenne.

—Debbie ne va pas trop mal, j'ai l'impression.

Non, papa, je vais très mal ! Ce n'est pas parce que je ne suis pas dans le même état que Logan que je ne souffre pas !

Je lui décroche un sourire triste pour lui faire comprendre que c'est faux. Quand il réalise le message que je lui adresse, il vient me serrer dans ses bras et me déposer un baiser sur le sommet de ma tête. Blottie contre lui, je me sens légèrement mieux, comme lorsque j'étais enfant et qu'il venait me consoler après une mauvaise chute.

Je l'écoute parler à l'autre bout de la ligne de mon frère. Il n'a jamais vu son fils ainsi et je peux entendre toute la peine qu'il éprouve pour lui.

Notre vie est vraiment partie en lambeau depuis hier. Nous avions tout pour être heureux, mon frère encore plus que moi. L'avenir lui souriait et il a fallu qu'un psychopathe vienne tout détruire.

—Je te tiens au courant, conclut mon père avant de raccrocher.

Il m'offre un dernier câlin, avant d'aller récupérer la bouteille pour aller la ranger dans le bar. D'un tour de clé, il le referme et la garde sur lui, afin d'éviter à Logan de se soûler au point de s'en rendre malade. Il a bien compris que son fils a l'intention de noyer son lourd chagrin dans l'alcool. Pour lui, tout homme qui se respecte doit savoir affronter ses problèmes, même les pires. Je ne suis pas certaine, que là, mon aîné ait la même vision des choses. Et encore moins qu'il en ait la force.

Je suis mon père dans la cuisine, afin d'obtenir quelques précisions sur l'enquête. Même si après ce que j'ai entendu, j'ai une vague idée de ce qu'il en est. Je voudrais qu'il démente ce que j'ai cru comprendre, qu'il me donne un infime espoir auquel me raccrocher. Qu'il me dise qu'ils ne l'ont pas encore retrouvée, mais qu'avant demain matin, elle sera là en train de rire avec nous, lovée dans les bras de son mec.

—Papa ! l'interpellé-je alors qu'il se prépare un café.

Il se retourne, à moitié surpris de ma présence.

—Est-ce...est-ce que la police...

Mon père s'approche de moi avant de poser sa main sur mon épaule. Quand il secoue la tête, tous les espoirs auxquels je tentais de me raccrocher s'envolent en fumée. J'ai envie de hurler de rage, tellement ça me révolte. Si ses flics réputés partout au-delà des frontières de la ville ne sont pas foutus de faire avancer l'enquête, alors qui le pourra ?

—Ils ont seulement retrouvé la camionnette. Il pense qu'ils ont changé de véhicule à l'entrée de la ville. Je suis désolé Debbie. Je te promets qu'ils font tout pour la sortir des griffes de cet homme. Ils y travaillent sans relâche depuis hier.

Ces mots me compriment un peu plus le cœur, comme si ce n'était pas assez suffisant. Je me réfugie dans ses bras et fond en larmes. Je me déteste tellement. Pourquoi n'ai-je rien dit ? Pourquoi l'ai-je laissé entre les mains de ce salopard ? Je détenais toutes les clés pour la protéger et je n'ai rien fait.

—On la retrouvera, me souffle-t-il. Peter va engager un détective privé, ça nous permettra d'accroître nos chances.

Je relève la tête pour venir ancrer mes yeux aux siens.

—Tout est de ma faute. Si...si seulement, je t'en avais parlé plus tôt…

Il secoue la tête, comprenant où je veux en venir.

—Ta mère n'aimait pas cet homme, m'interrompt-il. Elle l'avait croisé une fois avec la mère de Lucy au supermarché et elle m'avait demandé de vérifier ses antécédents. Je n'ai rien trouvé de concluant. Tant que Lucy ne voulait pas parler et sans son agression, on ne pouvait rien faire. Tu n'es absolument pas fautive, ma puce.

Malgré tout, je n'arrive pas à m'en convaincre. C'est plus fort que moi. On aura beau me dire l'inverse, ça ne changera rien du tout.

Je reste blottie contre lui, laissant mes pleurs rouler sur mes joues, jusqu'à l'arrivée de ma mère. Logan semble profondément endormi, puisque, ni nos voix, ni le claquement de la porte d'entrée ne viennent le perturber.

Nous sommes en train de discuter depuis un bon bout de temps sur la manière dont on va pouvoir aider mon aîné à le sortir de ce gouffre quand mon téléphone vibre. Le nom de Killian s'affiche sur mon écran. Étonnée, je me demande un instant ce qu'il veut, puis je décide de monter dans ma chambre pour le rappeler.

Assise sur mon lit, on échange quelques banalités, avant qu'il n'en vienne au sujet de son appel.

—Comment va ton frère ?

— Très mal, je crois. Il a vidé la moitié d'une bouteille de whisky.

Quelques secondes de silence s'éternisent, avant qu'il ne reprenne la parole. A croire qu'il est en train d'encaisser le fait que son pote soit très loin de son assiette. Ou bien peut-être que ça lui rappelle de lourds souvenirs. Je l'entends expirer, comme s'il relâchait tout l'air contenu dans ses poumons, avant qu'il ne me pose une nouvelle question.

—Est-ce que la police a trouvé quelque chose ?

—Non, murmuré-je, comme si prononcer ce mot aller m'écorcher un peu plus.

Nouveau silence. Cette triste nouvelle doit lui faire aussi mal qu'à moi. Il y tient tellement à Lucy.

—Je passerai voir Logan quand je reviendrai à Albuquerque, finit-il par me dire.

Quoi ? Comment ça ? Où est-ce qu'il va ? Je panique à l'idée qu'il puisse me laisser seule affronter tout ça. Je ne veux pas qu'il parte.

— Tu t'en vas ?

Tandis que j'attends sa réponse, je joue avec l'une de mes mèches.

—Je prends un vol demain pour Boston, m'explique-t-il. J'ai un truc à faire là-bas. Je serai de retour lundi. Si jamais la police retrouve Lucy entre-temps, appelle-moi... Ou même si t'as juste besoin de parler... Tu pourras me joindre à n'importe quelle heure, même la nuit si t'en as besoin.

— D'accord, accepté-je, même si je crève d'envie de lui dire de rester là.

— On se voit lundi, ok ?

Ai-je vraiment le choix ?

— Ok. À lundi, alors.

— À lundi, Debbie.

Quand je retourne au salon, Logan est en train de se réveiller. Une main posée sur son front, il m'observe, les yeux dans le vague, descendre les escaliers. Je déteste le voir comme ça.

—Lucy ? m'interroge-t-il d'une voix tout juste audible.

J'aimerais tellement pouvoir lui dire que tout va bien, qu'elle est en sécurité, entre de bonnes mains. Je ferme un instant les yeux pour trouver le courage de lui répondre.

— Je suis désolée, Logan.

Il n'a pas besoin de plus pour comprendre, je le vois à son visage qui se décompose. Sa douleur me transperce de toute part. Je me sens tellement impuissante face à sa détresse.

Dès qu'il se rend compte que la bouteille a disparu, il me lance un regard rempli d'éclairs. Une colère immense brûle ses rétines, il semble haïr la terre entière et moi encore plus que les autres.

Comme si j'étais la putain de fautive dans cette histoire !

—Où tu as foutu cette putain de bouteille ? tonne-t-il.

—Papa l'a rangée.

Il se lève, titubant, encore sous l'emprise de ce qu'il a ingéré. Parvenu devant le bar, il se rend vite compte que la porte est fermée et qu'il ne pourra pas l'ouvrir. Il y abat son poing avec une telle violence que j'en sursaute.

— Ouvrez-moi cette putain de porte ! hurle-t-il

Alertés par le vacarme, mes parents déboulent en courant.

—Ouvre-moi ce putain de bar ! ordonne-t-il à notre père en posant un regard terrifiant sur lui.

Jamais, je ne l'ai vu aussi haineux à l'encontre de nos vieux. Là, il me donne l'impression de vouloir carrément le tuer.

—Tu as descendu la moitié de la bouteille, je ne te laisserai pas en boire une goutte de plus, réplique notre père, sur un ton autoritaire.

Logan serre si fortement les mâchoires que je crains qu'il en vienne aux poings d'un instant à l'autre. Je lâche un léger soupir quand il se contente de cogner une nouvelle fois dans la porte. Comme celle-ci ne cède pas pour autant, il monte dans sa chambre. Il en redescend peu de temps après, en ayant enfilé sa veste. J'aimerais le retenir, mais je sais qu'il ne m'écoutera pas, alors je me contente de rester figée à le regarder se diriger vers l'entrée.

— Tu restes ici ! tente de le retenir notre père.

Pour toute réponse, Logan lui adresse deux doigts d'honneur par-dessus ses épaules, avant de claquer la porte. Je ferme les yeux, terrorisée à l'idée qu'il aille faire une connerie.

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