8 - Lucy

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Debout devant la fenêtre de ma chambre, je regarde la pluie tombée. Cette journée est aussi maussade que mon humeur. Une larme roule sur ma joue en pensant à quel point la vie est injuste depuis que Charlie a épousé ma mère. Certes, avec elle, ça n'a pas toujours été la grande entente, mais elle me laissait, au moins, libre de mes mouvements. Pas comme maintenant où je me sens prisonnière, enfermée dans ce domicile, qui, au final, n'est pas vraiment chez moi.

Aujourd'hui, j'aurais aimé aller faire les boutiques avec Debbie, pour préparer les fêtes de Noël. Enfin surtout pour aller déambuler dans le centre commercial décoré avec soin en cette période particulière. Comme avant. Sauf que le mari de ma mère a encore mis son veto, me rappelant à quel point il déteste me voir trainer. Selon lui, je risquerais de gros problème si un petit con se mettait à me tourner autour.

Dois-je craindre la réaction de cet homme ou bien croit-il que je ne serais pas capable de me défendre devant un mec ?

S'il pense à la dernière option, il n'a peut-être pas tout à fait tort. Depuis un an, je ne suis plus vraiment moi-même. Avant, je ne laissais personne me marcher sur les pieds. Quand un gars me charriait un peu trop lourdement, je le renvoyais promener, sans me départir du sourire qui ne me lâchait jamais. Avec Logan à mes côtés, je n'avais de toute façon rien à craindre.

Un triste sourire se dessine sur mes lèvres en me rappelant à quel point il était protecteur. Je me souviens de ce jour-là où nous venions à peine de rentrer au lycée et où il a pris ma défense devant un élève de dernière année sans se dégonfler.

La sonnerie vient de retentir, annonçant la pause déjeuner. J'ai passé toute la matinée seule. Aucun de mes amis ne partagent les mêmes heures que moi aujourd'hui. J'ai vraiment hâte de les retrouver.

Je range rapidement mes affaires dans mon sac, puis me précipite à l’extérieur. À peine la porte franchie, je me heurte à un mur de muscle. Quand je relève la tête vers ce géant, ses prunelles me foudroient. Je ne suis pas du genre à me laisser démonter, mais là, pour le coup, je suis terrifiée, incapable de bouger.

—Par…Pardon, m'excusé-je en bégayant.

Moi bégayer ? On aura tout vu.

Je ne vais pas me dégonfler devant un type comme lui, même s'il fait deux têtes de plus que moi et doit peser une bonne centaine de kilos.

—J’aimerai passer, me repris-je plus assurée.

—Pas mal, la gamine ! lui lance un de ses amis.

Sale porc ! N'essaie même pas de poser tes mains sur moi ou je te jure que tu vas vite te souvenir de mon nom.

—Ouais, c'est pas mon genre, réplique la montagne de muscle. Par contre, j'ai horreur qu'on me rentre dedans. Alors j'attends des excuses.

Non, mais il se prend pour qui ! Je lui ai déjà présenté mes excuses, je ne vais quand même pas me répéter !

—Mais j'ai déjà dit pardon !

—T’as pas compris, me sort une fille derrière lui. Si tu veux qu'il t'excuse, il va falloir te mettre à genoux et implorer son pardon. Un conseil fait le, sinon il risque de ne pas te foutre la paix.

J’éclate de rire. Moi, à genoux devant lui ? Non, mais quoi de plus.

—C’est soit tu le fais, soit j'te promets de te gâcher toute ton année.

—Il y a aussi la possibilité que tu lui foutes la paix.

Entourés de toute notre bande, Logan se tient à proximité, les poings serrés, la mâchoire crispée, prêt à en découdre.

—Oh, regardez moi ça comme c'est mignon. Le preux chevalier prêt à se battre pour défendre sa belle. J't'ai à l'œil, morveux.

Quand j'ai appris quelques jours plus tard que Logan s’était fait frappé par ces deux cons, je m'en suis beaucoup voulu. J'aurais dû ravaler ma fierté au lieu de le laisser prendre ma défense. Toutefois l'histoire s'est arrêtée là. Quand ces deux gars ont appris qui était son père, ils ont préféré se faire tout petit pour ne pas avoir à se frotter à la justice.

De toute façon, à quoi bon ressasser le passé ? Désormais, Logan est celui qui m'humilie, me blesse, arrache mon cœur morceau par morceau, avec le plus grand plaisir, aussi souvent qu'il le peut. D'ailleurs pas plus tard que lundi dernier, il m'a fait passer un mot durant le cours de biologie. Comme une conne, j'ai cru ce qui était noté dessus, soi-disant qu'il voulait me parler, afin de s'excuser, que je lui manquais. Si mon traître de cœur avait bien voulu se taire, je ne me serais pas retrouvée une nouvelle fois humiliée. Le pire c'est que Killian m'a prévenue. Il a senti le coup venir à des kilomètres à la ronde. Mais, moi trop naïve, je me suis quand même rendue sur le lieu de rendez-vous à la pause déjeuner. J'ai attendu de longues minutes, puis ne le voyant pas venir, je suis partie à la cafétéria rejoindre mes amis. J'ai fini par comprendre que Chris et lui s’étaient bien foutus de moi quand le premier a éclaté de rire en me demandant si je n'avais pas trop attendu son pote. Logan lui n'a rien dit. Seul son regard a parlé à sa place, néanmoins j'ai été incapable de déchiffrer les sentiments qui le tiraillaient. Ses prunelles se sont fixées sur moi durant plusieurs secondes, avant qu'il ne glisse sa main sur la nuque et tourne la tête.

Mon cœur se serre douloureusement à l’évocation de ce souvenir.

Le grincement de la porte de ma chambre me fait sortir de mes pensées. La peur au ventre, je me retourne. Charlie se tient sur le seuil, un sourire mauvais sur les lèvres. Tétanisée, je n'ose plus bouger, ni même respirer. Une boule d'angoisse m'obstrue la trachée. Je baisse les yeux vers le sol, afin de ne pas croiser la lueur perverse dans son regard.

Il jette un billet vert dans ma direction avant de m'ordonner de le ramasser. Craignant le moindre geste devant lui, j’hésite.

— À moins que tu préfères…

Quelques soient ses pensées, je ne préfère pas. Avec lui, je ne peux que m'attendre au pire. Dans un mouvement des plus rapides, je m'accroupis, m'empare de ces vingt dollars, avant de me redresser.

—Pour ta sortie, m'annonce-t-il.

Je ne comprends pas. Ce matin encore, alors que ma mère en discutait avec lui, son non a été catégorique. Je ne sais pas ce qui a pu lui faire changer d'avis.

—Tu pourrais au moins me remercier.

Sa voix mielleuse me fait frissonner de dégoût. Toutefois ce n'est rien face à l'horreur que je ressens au moment où il vient se coller à moi. Cet homme me répugne au point d'avoir l'estomac au bord des lèvres.

—Me…Merci, bégayé-je.

J'ai parlé si bas que je ne suis pas certaine qu'il m'ait entendue.

—Je suis sûr que tu peux faire mieux que ça, gronde-t-il en glissant une main baladeuse dans mon dos.

Pour éviter qu'il poursuive ces attouchements, je me hisse sur la pointe des pieds et pose le bout de mes lèvres sur sa joue.

—N’oublie pas que tu m'appartiens Lucy, me lance-t-il avant de quitter ma chambre.

Ces mots me percutent comme chaque fois qu'il les prononce. Je ferme les yeux pour les encaisser à nouveau, avant de sortir.

Une fois la porte d’entrée franchie, je n'ai plus qu'une hâte retrouver ma meilleure amie. Et même si ce qui vient de se passer me tord encore le ventre, la joie de sortir avec Debbie prend le pas sur tout le reste.

Je me rends à l’arrêt de bus, un léger sourire sur les lèvres, heureuse et soulagée. Enfin, j'ai pu quitter ma prison, même si ce n'est que le temps d'une après-midi.

Après une demi-heure de trajet, j'arrive dans le quartier résidentiel où vit la famille Baldwin. J'aime beaucoup ce secteur dans lequel j'ai habité petite. Avant le départ de mon père, nous vivions pas très loin d'ici, dans une de ces maisons typiques du Nouveau-Mexique. Nous y sommes encore restées quelques années jusqu'au jour où des gens sont venus nous chasser. Je n'avais même pas huit ans, mais je m'en souviens comme si c'était hier. Ma mère hurlait de ne toucher à rien. J'étais apeurée devant toutes ces personnes. Une femme est venue me voir et m'a expliqué que nous ne pouvions pas rester ici. Elle m'a proposé de m'aider à faire ma valise. Puis, maman et moi sommes parties vivre dans un hôtel quelques temps. C'est à partir de cette époque que ma mère a vraiment déraillé. Penser à cette vie d'avant, où je n'étais encore qu'insouciance, me fait très mal. Je me mords la lèvre pour ne pas sombrer sous ses souvenirs. Je dois me raccrocher au moment présent. Rien ne doit entacher ma joie de passer l'après-midi avec ma meilleure copine.

Lorsque j'arrive devant la maison de Debbie, je réalise que la voiture de Logan est garée dans l’allée. Je prie pour qu'il ne soit pas là, sa présence gâcherait tout. J'en suis certaine.

Je donne quelques coups contre la porte d’entrée et attends, avec la plus grande impatience que quelqu’un vienne m'ouvrir. Je suis si pressée de passer du temps avec Deb que mes doigts papotent nerveusement sur ma cuisse. Au moment où la porte s'ouvre, mes yeux se posent sur un torse sculpté dans du granit.

—Ouais ? entends-je Logan me questionner.

Subjuguée par ce spectacle, je reste à contempler ses abdos, encore mieux dessinés que la dernière fois où je les ai vus.

—Lucy ?

Je détache péniblement mes yeux de son torse pour les remonter vers son visage. Ses cheveux mouillés en bataille le rendent terriblement sexy. Quand il plonge son regard dans le mien, mon cœur manque un battement. Comment croit-il que je vais pouvoir lui répondre s'il continue à me déstabiliser ainsi ? Le pire c'est que si je ne me reprends pas et que je continue à baver devant lui, lundi, je serais bonne pour une nouvelle humiliation.

—Debbie est là ?

—Non, elle est partie voir ma mère. Mais tu peux entrer si tu veux. Surtout que ça pèle.

J’hésite.

—Promis, je ne vais pas te bouffer si tu franchis le seuil de cette porte, rajoute-t-il avec un sourire en coin.

Il sait exactement comment me faire craquer et moi je plonge direct dans le panneau.

Il se décale juste assez pour me laisser entrer à l’intérieur, avant de refermer la porte derrière moi. Le salon dans lequel je débarque n'a pas changé. Le magnifique canapé d'angle en croûte de cuir n'a pas bougé de place, toujours situé en plein milieu de la pièce, face à un écran géant. Sur le mur, juste devant moi, un nouveau tableau représentant un navire flottant sur les eaux retient mon attention. L’océan, mon rêve. C'est une des raison pour laquelle, je pense poursuivre mes études à New-York, près de l'Atlantique. Je pourrais m'y fondre dans la masse et recommencer une nouvelle vie, loin de tout cet enfer. Je rencontrerai peut-être quelqu'un qui appréciera mon corps parce qu'il éprouve des sentiments pour moi et non pas juste parce qu'il a envie de me foutre dans son lit. Deb me suivra là-bas, j'en suis convaincue. Ensemble, on sortira au cinéma ou en boite. On s’éclatera comme deux petites filles, comme avant l’arrivée de ce monstre dans ma vie.

—Allo la lune, ici la terre… Logan appelle Lucy.

Perdue dans mes pensées, je ne l'ai pas entendu me parler. Surprise, je me tourne vers lui, lentement.

—Tu m'avais l'air bien loin, me sourit-il.

—Tu me disais ?

—Je voulais savoir si tu voulais boire quelque chose avant que j'envoie un message à ma sœur… Histoire de la prévenir de ta présence.

Je hausse les épaules, peu à l'aise près de lui.

— Va t'assoir. Je vais voir ce qu'il nous reste.

Installée sur le bord du canapé, je triture mes doigts, nerveuse. Sa gentillesse soudaine me trouble et les différents sourires qu'il me lance me perturbe. Est-ce un nouveau jeu pour lui, me faire craquer pour mieux m'humilier ?

— On n'a plus de jus de pomme. Tu veux un Sprite ?

Le jus de pomme est ma boisson favorite. Il ne l'a visiblement pas oublié.

Je me tourne dans sa direction pour lui répondre. Mes yeux s'accrochent à son dos, aussi musclé que ses abdos, avant de remonter vers son visage. La tête par-dessus son épaule, il m'observe de ses magnifiques prunelles.

—Je devrais peut-être monter mettre un t-shirt avant que tu ne salisses le canapé, me taquine-t-il, un sourire espiègle sur les lèvres.

Ouais et comme ça tu pourras aller répéter à Chris comment je bave sur le plus beau mec du bahut.

—Le Sprite me va très bien, finis-je par répondre, en déviant mon regard loin de lui.

À peine une minute plus tard, il se tient devant moi, la canette tendue dans ma direction. Quand ma main frôle la sienne, en attrapant la boisson, mon cœur s'affole dans ma poitrine. Il retire la sienne aussi vite que possible, comme si ce simple contact le brûlait. Il glisse ses doigts dans ses cheveux, visiblement troublé par ce qu’il vient de se passer.

Je n'arrive plus à le cerner. Que se passe-t-il dans sa tête ? À quoi joue-t-il ? Avant, je n'avais pas besoin de me poser autant de questions. Il me suffisait de le regarder pour connaître la plupart de ses pensées. Ce lien me manque terriblement

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