5 - Lucy

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Dès que la sonnerie retentit, je me précipite à l’extérieur de la salle. Il m'est impossible de rester une minute de plus dans le même lieu qu'eux. Pourquoi Logan est-il devenu si cruel avec moi ? Le pire c'est qu'il a gardé mon livre, un des seuls objets qu’il me reste, et je sais qu'il ne me le rendra jamais.

J'aimerais lui dire ma façon de penser, mais je ne m'en sens pas la force. De toute façon, si je le faisais, je deviendrais, encore une fois, la risée de tous et si jamais je tentais de le frapper pour tout le mal qu'il me fait, il ne faudrait pas longtemps pour qu’on m’éloigne de lui. Dans ce bahut, on ne touche pas à leurs sportifs, encore moins à Logan Alexander Baldwin, leur Quarterback.

Tout ça me donne envie de vomir, tant je suis écœurée.

Je pourrais en parler à sa sœur, mais l’écouterait-il ensuite ? Je n'y crois pas une seule seconde.

Si seulement, je pouvais autant le haïr qu'il me déteste, tout serait bien plus simple. Je suis même sûre que toutes ces humiliations me passeraient par-dessus la tête. Malgré tous mes efforts, je n'y parviens pas. Je tiens toujours à lui et crois encore, comme la pauvre naïve que je suis, qu'il finira par revenir vers moi. Je m'accroche à des chimères qui n’existent plus depuis longtemps.

Dans ma fuite, je bouscule quelques élèves qui s’éloignent très vite de moi, comme si j’étais porteuse d'une maladie grave contagieuse.

Personne ne me voit comme quelqu'un de bien, hormis mes deux seules amies. Pour tous les autres, je suis une pestiférée, celle qui se tape tous les mecs de la ville.

En milieu d’année dernière, j'ai appris que Logan a interdit à ceux de ce bahut de m'adresser la parole. Le premier qui essaie de s'approcher de moi aura à faire à lui. Alors même dans les salles de cours, aucun ose venir me voir. Je suis toujours seule, éloignée de tous et malheureusement, mes deux amies, ne partagent pas les mêmes matières que moi. Je vais devoir encore me débrouiller seule à chaque heure.

Alors que je me glisse derrière une table, près du bureau du professeur, je prie pour que ni Logan, ni un de ses potes n’entrent dans cette salle. Il m'est impossible de revivre la même heure que la précédente. Ils m'ont tellement blessée que je n'ai même pas réussi à recopier correctement ce qui était noté au tableau. J'ai dû me mordre la joue à plusieurs reprises pour ne pas éclater en larmes, tandis qu'ils continuaient à se marrer comme des cons au fond de la classe. Quand Mr Wacker les a interpellé, je n'ai même pas osé me retourner de peur de devoir affronter, une nouvelle fois, leurs regards, sauf quand il a parlé de sa sœur. Comment a-t-il pu balancer une telle grossièreté ? Deb ne l’aurait pas réveillé si elle avait eu la frousse qu'un mec s'en prenne à elle, elle aurait été voir son père tout simplement, bien plus apte à réagir que son frangin dans une telle situation.

— Je peux ? me demande une voix masculine.

Surprise, je porte un regard interrogateur sur celui qui vient de me parler. Ce type doit être nouveau, sinon il n'aurait même pas tenté de m'approcher. Il aurait fui comme tous les autres, par crainte des représailles de Logan et ses amis. Puis, j’avoue ne jamais l'avoir remarqué avant aujourd'hui, il est si différent de ceux que je côtoie chaque jour dans ce bahut. Je comprends mieux à présent ce qu’a voulu me dire Kim avant le début des cours, concernant les nouveaux. Ce gars a dû lui taper dans l'œil, même si elle semble accro à son Eduardo. En même temps, pas très étonnant, vu le charisme de ce grand blond. Ses cheveux légèrement ondulés, portés bas sur son regard, ses yeux aussi sombres qu'un soir d'orage et les nombreux tatouages qui ornent ses bras lui donnent un côté bad-boy. Sans savoir pourquoi l'ange sur son avant-bras droit me marque plus que les autres.

Presque honteuse qu'il m’adresse la parole, je baisse les yeux. Si Logan le voit me parler, il n’hésitera pas à lui mettre une raclée dont il risque de se souvenir longtemps. Je n'ai pas envie d’être la cause de nouveaux ennuis.

— Je peux ? me demande-t-il une nouvelle fois.

— Pourquoi tu m’adresses la parole ?

Il hausse les épaules avec nonchalance.

— Pourquoi je ne le ferais pas ? La place semble être libre à côté de toi, donc je me demandais si je pouvais m'asseoir.

Je jette un coup d'œil au reste de mes camarades, qui semblent ne pas perdre une miette de ce qui se déroule entre moi et ce mec. Je suis certaine que plus d'un d'entre eux est prêt à aller dénoncer cette scène au frère de ma meilleure amie.

— Si tu t’assois là, tu risques d'avoir des problèmes, l'informé-je.

— Ton mec ?

— Je n'ai pas de mec !

— Vraiment ?

J'acquiesce d'un simple mouvement de tête.

— Dans ce cas, je ne vois pas où est le problème.

— T’es nouveau, non ?

— Ouais, je viens de Boston, répond-il en tirant la chaise à mes côtés, sans attendre que j’accède à sa demande,

— Écoute…euh.

— Killian, me sourit-il.

— Ecoute, Killian, alors. Si tu veux te faire des amis dans ce bahut, il vaut mieux te tenir loin de moi.

Son étonnement se lit sur son visage.

— Et pourquoi ?

— Je suis mal vu ici.

En pensant à celui qui en est à l'origine, mon cœur se broie, compressé par un énorme étau.

— Pourtant, t'as l'air sympa.

— Je suis une paria si tu préfères.

À ces mots, une étrange lueur traverse son regard. Quelque chose semble le chagriner profondément. Puis il fait abstraction de ce que je viens de dire et commence à me parler de tout et de rien, comme si on se connaissait depuis des lustres. C'est la première fois en un an que je me sens aussi détendue en étant dans une salle de cours. Il arrive même à me faire sourire, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps, sauf, bien sûr, avec Kim et Debbie.

— Tes parents ont été mutés ?

— Non, je vis chez ma tante. Mes parents ont préféré m’éloigner de mes mauvaises fréquentations.

Un triste sourire s’étire sur ses lèvres, alors que son regard semble se porter vers un lieu où je n'ai plus aucune existence. Il reste plongé plusieurs secondes dans ses pensées, avant de secouer la tête, comme s'il tentait de chasser, par ce simple geste, ses préoccupations.

Discuter avec ce type m'aide à oublier les humiliations subies l’heure précédente, jusqu'au moment où Chris, comme à son habitude fait une entrée fracassante. D'instinct, je me raidis, sous le regard surpris de mon interlocuteur. Aussitôt, il se tourne vers la porte, afin de comprendre ma réaction.

— Un problème avec ce type ? me questionne-t-il, en me faisant face à nouveau.

Je secoue la tête, mais à l'expression apeurée que j'aborde, il semble comprendre que je crains le mec qui vient de rentrer dans la salle. Il tourne alors la tête une nouvelle fois vers Chris, avant de poser son bras autour de mes épaules.

— Fais-moi confiance, me murmure mon voisin.

Du coin de l'œil, je scrute la réaction du meilleur ami de Logan, en priant pour que le geste de Killian suffise à ce qu'il me laisse tranquille. Il nous observe quelques secondes, semblant étonné de ne pas me voir seule, puis il se dirige vers nous, un rictus mauvais sur les lèvres.

— Elle doit être bien bonne au pieu, pour qu’un type comme toi s’intéresse à elle, lance-t-il, sarcastique. Je ne sais pas depuis quand tu la connais, mais si j'ai un conseil à te donner, tu ferais mieux de la larguer. Cette fille s'est tapée tous les mecs de ce bahut. Une vraie pute, mon gars !

Une nouvelle lame se plante dans mon âme, comme si toutes celles qu'ils y avaient enfoncées quelques minutes plus tôt n’étaient pas suffisantes. Je le hais de toutes mes forces. J'aimerais lui cracher au visage, pourtant à cet instant, je tremble juste, encore une fois vulnérable face à ces attaques gratuites.

— Oh, vraiment ? Tu veux mon avis ? Je pense qu’elle a dû t'oublier dans le lot. Sinon, tu ne serais pas là, mec, à me sortir tes conneries. Allez, dégage, avant que je m’énerve !

Un silence de mort tombe sur la classe, tous les élèves sont aux aguets, attendant la réaction de Chris. Au vu de la teinte rouge dont se colore son visage et de son poing serré, la réponse de Killian ne semble pas du tout lui plaire. Ici, personne n'est en droit de contredire les joueurs de l’équipe de football, surtout si ce sont des proches de leur capitaine.

— Si tu veux te battre, il n'y a pas de souci. C'est quand tu veux mon gars, mais je ne suis pas certain que tu en ressortes entier, le menace Killian.

Puis il se tourne vers la classe et ajoute :

— À compter de maintenant, le premier qui s'en prend à elle aura des comptes à me rendre. Et croyez-moi, il vaut mieux pas me chercher !

Les discussions s'animent à nouveau, comme si tous craignaient de s'en prendre une par le type assis à mes côtés.

— Je ne sais pas qui tu es, mec, mais je te jure qu'avec mon pote, on ne laissera pas passer, le menace à son tour Chris.

— Je tremble, ironise Killian.

L’arrivée de Madame Harrisson met un terme à cette scène. Chris, toujours fulminant, rejoint sa place au fond de la salle.

— Personne n’est en droit d'humilier quelqu'un, grinche mon voisin entre ses dents.

Je ne sais pas d’où sort ce type, mais, pour le coup, il est mon sauveur. Je remercie le ciel de m'avoir envoyé à cet instant un nouveau rayon de soleil.

— Si jamais lui ou un de ses potes t’ennuie encore, vient me trouver, je les rappellerais à l'ordre sans problème. S'ils pensent me faire peur, ils se gourent carrément.

Un poids énorme se retire de ma poitrine. D'un simple sourire, je remercie mon voisin, avant de me plonger, apaisée, dans le cours de littérature américaine.

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