C'est décidé, j'entame un régime !

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Sur le devant de l’enveloppe est écrit : « A la famille d’Ermina ». L’arrière, lui, contient le nom de l’expéditeur et rédacteur des nombreux papiers blancs qui se trouvent à l’intérieur présentant une écriture à la main d’encre noire sous un style de dessin des lettres qui transpire la vitesse et la précipitation du poignet. Poignet qui semble de même avoir dansé de manière frénétique sur les feuilles. L’auteur de cette lettre est une personne bien connue de la famille, c’est l’ami avec lequel Ermina venait d’emménager à Paris quelques mois avant son accident et son hospitalisation. Une personne qui était apparu dès les premières paroles aux parents d’Ermina lorsqu’elle l’avait présenté il y a 5 ans comme un homme de bon esprit, sûr de lui et inspirant de bonne volonté comme autant homme à bons projets.

Pourtant ce même jeune homme a disparu de la circulation connue de la famille d’Ermina après que cette dernière ait été retrouvée inconsciente, entièrement nue et mutilée dans la forêt de Fontainebleau, le 23 avril dernier. Il ne s’est pas montré non plus depuis que les visites sont autorisées à la chambre d’hôpital où se repose la femme, ni pour prendre connaissance de son état de santé physique, certes non alarmant, ni pour apprendre que son état mental oblige une observation supplémentaire des médecins, voir à un enfermement dans un lieu spécialisé pour les cas de troubles de la réalité.

Aussi l’enquête policière qui a suivi en parallèle des soins d’Ermina s’est tournée vers son ami intime. Mais personne n’a trouvé trace de lui. Un soulagement suivit d’inquiétudes nouvelles ont agités la famille d’Ermina quand un inconnu s’est présenté aux policiers comme étant l’agresseur, car même ce rebondissement, relayé par les médias locaux, n’a pas fait reparaitre le jeune homme.


Un flot d’émotion contraires, chaotiques et pourtant complémentaires se bousculent en l’esprit et dans tous le corps du père d’Ermina quand, entre deux lettres de facture et trois magasines colorés de publicités il lit ce matin le nom si vif en son esprit : « de la part d’Adrien Chevalier ».



 « J’ignore sous quel sentiment vous lirez ces lignes, si c’est la haine qui vous guide, la colère, tout à fait naturelle, ou bien l’amitié comme jamais je n’ai cessé de mon côté d’avoir pour vous, alors veuillez dès ce début accepter mes plus sincères excuses si par le ton que j’emploi dans cette lettre vous vous sentez offusqué, ou pire, par mes mots ou par les actions maladroitement transcrites ou sous-entendues pour la plupart qui vont suivre.


 Ces mots me manquent cependant pour décrire ma frustration présente d’avoir été incapable de faire face assez vite à ce qui se passait. Aussi, permettez-moi d’exposer à la lumière de vos yeux et vos esprits raisonnés ce qu’il s’est passé.

Il m’est difficile de trouver un « début » aux choses qui vont suivre, pourtant il en faut un. J’ose à peine penser que tout commence par une simple phrase, une exclamation soudaine, franche et claire : « C’est décidé, j’entame un régime ». Puis dans l’instant Ermina se lève du fauteuil dans lequel nous étions assis pour regarder la télévision et se dirige vers le frigo. Devant lui et sa porte maintenant ouverte elle reste immobile une éternité. Une éternité qui se finie par de nouvelles paroles « Alors je vais faire du sport ». Puis en me regardant elle m’invite à faire du jogging avec elle et de programmer nos réveils une heure plus tôt que d’habitude chaque matin pour que l’on fasse du « sport » entre une demi-heure et trois quarts d’heure dans les rues de Paris, entre les voitures, les chiens et les sans-abris…

C’est certes soudain, mais je n’y vois aucun inconvénient. Alors nous entreprenons de faire du sport chaque matin. Enfin, doucement au début 2 à 3 matins par semaine, puis petit à petit chaque matin de chaque semaine. Jusque-là rien d’étrange, Ermina est une personne passionnée, un peu impulsive et d’un enthousiasme qui m’a tant inspiré. C’est seulement après coup que je remarque la fantaisie de notre footing. On court dans les rues de Paris. On court à même allure, à même hauteur quand cela est possible. Tout va bien quand la route est droite et que notre itinéraire ne nous fait pas prendre une autre voie. Rien ne va plus quand il s’agit de changer de cap, quand notre route nous fait faire demi-tour ou prendre une rue parallèle dans le sens inverse pour boucler notre course jusqu’à rentrer chez nous. Ermina des fois semble être autre part, pas présente. Elle, elle continue tout droit et la plupart du temps il faut que je la rattrape, que je la prenne par le bras et que je la fasse revenir sur le bon chemin, d’autre fois il suffit que je l’appelle assez fort pour qu’elle revienne en me disant que son esprit était ailleurs et qu’elle ne voyait plus où elle allait. Le plus surprenant n’est pas là. Le plus bizarre est à ces moments où l’on doit s’arrêter sur le bord du trottoir en attendant de pouvoir traverser la rue tandis que le petit bonhomme passe du rouge au vert. Avec le naturel de mon comportement protecteur j’agis sans réfléchir, maintenant que j’y réfléchis et y repense, il est d’autant plus curieux le nombre de fois que j’ai dû arrêter Ermina avant qu’elle ne traverse sans regarder, qu’elle ne me reproche mon protectionnisme comme elle sait si bien le critiquer.

Puis, vous le savez, on en avait parlé un week-end, on commence à faire nos séances de fin de semaine dans la forêt de Fontainebleau. Cela nous permet d’être plus libre de nos faits et gestes, de respirer un bon air et de parcourir de bien plus grandes distances sans faire d’inlassables boucles à voir les mêmes bâtiments, le même trottoir, etc. Cela me permet aussi de constater sur le fait que quelque chose ne va pas si bien avec Ermina, sans, au départ, savoir de quoi il en retourne. Je ne cache pas que l’esprit tête-en-l’air d’Ermina est bien vrai, mais de là à parcourir des distances, au petit trot certes, sans se rendre compte que l’on s’enfonce à des endroits que l’on n’a pas repérés préalablement, c’est assez insensé, même pour elle. Et puis ne pas se rendre compte que l’on court depuis une heure et demie alors qu’on s’était dit qu’à partir de la 45ème minutes on faisait demi-tour, c’est très fort. Mais cela tient de ma faute aussi, de mon côté je suis bêtement Ermina, sans lui poser les questions, ou trop tard. Où est-ce que l’on va, où est-ce que l’on est ? Ma prise de parole semble presque à chaque fois la faire sortir d’un état que je décrierai par un adjectif : de « torpeur ». Pourtant je ne sais pas du tout de quoi il est question. Aujourd’hui j’en ai une vague idée, sur le coup j’ignore tout.


 J’ignore tout, jusqu’à un jour. Le mardi 19 avril matin, après être rentré de notre sport matinal et après que l’on soit tous les deux lavés, Ermina m’avoue quelque chose qu’elle définit elle-même de « spéciale ». Et c’est une longue histoire qu’elle commence à me raconter durant notre petit-déjeuner et le trajet en voiture jusqu’à l’école où elle travaille. Malheureusement je suis incapable de tout retranscrire comme elle m’a raconté elle. Je suis incapable parce que sur le coup le choc, j’imagine, m’a empêché de retenir une partie des paroles d’Ermina. C’est aussi parce qu’elle m’a rapporté beaucoup de chose et à moins d’avoir une très grande mémoire il est impossible de tout retenir, puis j’ai à mon tour vécu des choses similaires alors… alors je présume que j’ai retenu les actions similaires qui me sont arrivées sur celles qui sont arrivées à Ermina.

Bref, voici ce qu’elle m’a dit : Depuis le début de notre sport, le fait de courir un footing la transporte dans une espèce de monde parallèle en somme assez similaire au notre, hormis que dans celui-ci l’espèce animale dominante c’est la Fée. La fée comme on croit la connaître depuis bien longtemps. Un petit corps humanoïde de 25 centimètres maximum qui vole à l’aide de deux petites ailes papillonesques. Un petit être vivant qui a l’air fragile ainsi mais qui en fait en plus d’être une boule de nerfs et d’énergie sait être piquant et tranchant. Ermina en a fait l’expérience…

Oui, bien sûr, j’imagine qu’Ermina dans son lit d’hôpital en parle, ou tente d’en parler. Et je présume que l’on vous dit qu’elle délire, qu’elle est folle, et que tout est dû au choc de son agression. J’aimerai vous rassurer, malheureusement je ne vais pas pouvoir car il est fort probable que tout ce que raconte Ermina dans sa prétendue folie soit vrai.

J’en reviens à mon récit : Ermina passe en ce monde parallèle tant qu’elle court et qu’elle ne pense à rien de terrestre, j’entends là des affaires de notre monde à nous. Ce qui explique qu’elle est ailleurs quand elle court. En ce monde nouveau Ermina fait la rencontre d’un petit groupe de fées plutôt coquettes avec qui elle s’entend bien. Je vous passe les relations Hommes-Fées de ce monde comme me l’a décrit Ermina, c’est particulier. En ce monde les fées sont malheureusement soumises à une « image » qui les restreignent assez drastiquement à avoir un corps dit « parfait »… grosso modo comme si l’on prenait un de nos top-modèle mannequin et que l’on disait que tous les humains doivent avoir la même silhouette… c’est ce qui se passe chez les fées, et ce depuis longtemps. Seulement le groupe de fées qu’Ermina a rencontré est un groupe de marginaux. De marginaux qui ne veulent, ou ne peuvent, avoir ce corps modèle. Et ces marginaux, il faut le savoir pour la suite, sont traqués et chassés par une « police » des fées assez sévère.

Ainsi, chaque fois qu’Ermina va en ce monde elle retrouve ces amies les fées et durant le temps de son errance terrestre elle parle et discute avec. Tout va bien au départ, la discussion avec ces êtres particuliers même de leur société est, à ce que m’a rapporté Ermina, enrichissante et permet de faire un parallèle avec ce qu’on vit nous, les humains. Mais là où on diffère de ces fées c’est que chez nous quelqu’un qui ne respecte pas les directives modélistes du corps n’est pas enfermé en prison. Pire même pour Ermina qui, là fois où elle a fait son jogging quotidien sans moi, triste occupé d’autres affaires humaines, s’est retrouvée au sein de la cellule de ses amis sans pouvoir faire quoique ce soit. Et ce qu’elle a endurée par la suite n’est certainement pas humain mais… féérique.


 Ce qui va suivre ce sont ces fées, rescapées des violences de leurs dirigeants, qui me l’on raconté. Car à mon tour je suis allé en ce monde méta-jogging. J’ai rencontré ces fées et elles m’ont rapportées tout ce qu’elles savaient.

En fait à mon tour j’ai fait du jogging comme un dératé dans la forêt de Fontainebleau. Ermina m’avait dit que c’est ainsi qu’elle se transporte, je voulais faire comme elle. J’ai couru et encore couru des distances sur ces chemins et ces sentiers. J’ai esquivé les zones où la police fouillait parcimonieusement, surement à ma recherche. Et, en me concentrant vraiment, en imaginant, à partir de la description que m’a faite Ermina, les fées devant moi, un jour j’ai réussi à me transporter en leur monde. La suite de mes événements personnels n’a, pour l’heure, pas besoin d’être écrite ici. Je préfère et j’ai l’espoir de décrire plus tard la rage de ma recherche des acteurs de la violence contre mon Amie et ce de manière plus sereine, voir avec un ton léger, autour de votre table en compagnie d’Ermina en pleine santé.

Cela me fait arriver à la seconde chose qui m’a dérangé ces derniers jours. J’ai repensé par la suite à Ermina et moi en me disant que nous devons apparaitre et disparaitre de ce monde féérique de manière assez bizarre pour les gens qui nous voient apparaitre et disparaitre. Le plus obscure réside cependant au lieu de notre apparition en ce second monde. Est-ce qu’il dépend de notre position dans le premier, le nôtre ? Si oui, pourquoi Ermina est-elle apparue dans la prison la dernière fois et pas les précédentes ? A moins que la prison se soit construite autour de son prétendu lieu d’apparition ? Ce qui serait insensé, ou bien significatif de la perversion des « grands » de ce monde-là. Ou alors apparait-on là où on désire être, c’est-à-dire qu’Ermina est apparue proche de ses amis à chaque fois et cette fatidique dernière fois en prison. Mais où apparait-on la toute première fois ? Est-ce là où on rêve d’apparaitre ? oserai-je penser que ce second monde est né d’un rêve vivace et persistant d’Ermina ? où… au fond, elle apparaissait là où elle voulait apparaitre ?... Je n’ai pas eu ce genre de réflexion sur le coup, alors je n’ai pas interrogé les féés que j’ai rencontré, malheureusement.


 Voilà une partie de mes réflexions, et voici une grande partie de mon désarroi car j’en viens à la conclusion que c’est Ermina elle-même qui s’est infligée tout ce qui lui est arrivée. J’aurai dû le voir plus tôt. Oui, j’aurai dû prendre vraiment au sérieux la drôle d’histoire qu’Ermina m’a raconté sur ces fées la première fois. J’aurai dû la prendre pour une rêveuse comme je l’ai prise mais en plus dramatique. Car oui, c’est sûr, elle s’est inventée un monde dans lequel elle s’est réfugiée les fois où elle sacrifiait son corps pour le rendre plus beau au regard de notre société. Et comme dans tous les rêves, nous exagérons les traits importants soit que nous aimons soit qui nous dérange, ou les deux. Exagérations jusqu’à ce qu’ils deviennent vrais, par notre volonté ou non.



 Je crois avoir dit tout ce que je sais.



 Aujourd’hui, à l’heure où vous recevez cette lettre et que vous lisez ces lignes, je me rends au poste de police avec la volonté de raconter la même histoire au responsable de l’enquête policière autour d’Ermina. Je compte raconter le récit avec la même volonté et sincérité que cette lettre et j’ai le fol espoir de vous convaincre tous. Si la police ne me croit pas je me porterai coupable de l’agression d’Ermina à la place de cet inconnu peut être coupable, mais coupable d’autre chose. Il serait par contre malheureux pour moi de convaincre la police et les responsables hospitaliers mais pas vous.

J’espère qu’Ermina va mieux. Je l’aime »

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