La Nuit de l’innocence

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(Accompagnement musical : Valravn - Sven i Rosengaar : https://youtu.be/YaByV6JG2b4)




Maman m'a rasé les cheveux.

Mes beaux cheveux.

Pourquoi ?

Elle m'a conduite à l'écart du village. M’a vêtue des affaires de mon frère. Des larmes couraient sur son visage.

Pourquoi ?

Les envahisseurs sont apparus. Ils ont lancé un raid sur la tribu. J'ai tout vu.

Pourquoi ?

Ils ont tué les hommes puis monté les femmes comme ils montent leurs bêtes, avant de leur couper la tête.

Pourquoi ?!

Ils ont repéré ma mère, l’ont abattue d’une flèche au cœur, et répandu ses viscères.

Pourquoi…?

Ils me traînaient derrière leurs montures, dans la file des captifs. La file des enfants plaintifs et des jolies filles sidérées, convaincues de cauchemarder. Les cendres de notre tribu spoliée, de notre monde tout entier, disparaissaient derrière les crêts, perdues à tout jamais.

Pourquoi...

Méritons-nous ces monstres moins humains que les bêtes qu’ils chevauchent ? Méritons-nous l’étendue de leur débauche ? Ma tribu a-t-elle fâché les dieux, ou sommes-nous seulement malchanceux ?

Pourquoi ?

Ils nous ont laissé nous arrêter pour uriner. Quand les jeunes filles s’accroupissaient, ils s’engouffraient en elles, étouffaient leurs cris de leurs poignes cruelles. Mais les garçons, ils les laissaient en paix. Alors debout, en tremblant, j’ai fait mine de tenir un organe inexistant et dirigé mon eau le long de mon doigt.

Pourquoi…

Je sentais leurs regards sur moi. Je les voyais me voir les épier. Mon cœur s’est figé. Avec empressement, nerveusement, j’ai remonté les braies de mon frère. Forcément, le tissu s’est auréolé. Misère.

Pourquoi ?

J’ai fermé mon cœur, mais pas mes oreilles ni mes yeux. L’un d’eux ne me lâchait pas d’un cheveu. J’ai pressé le pas, mais jamais son regard avide ne me délaissait.

… Pourquoi… ?

« Tu l’aimes bien, ce gamin ? » qu’un autre lui a demandé. Il a levé les mains, il a nié. « T’inquiète pas, je juge pas. Il a de si beaux yeux… » Il avait un ton belliqueux. « Ce serait dommage qu’on les lui brûle. » J’ai eu un mouvement de recul. « Dis pas n’importe quoi. Il peut pas travailler s’il ne voit pas ». L’incendiaire a ri à pleine voix. « C’est pas à ça qu’il te servira, n’est-ce pas ? »

Pourquoi…

Mon auréole s’est élargie. Ma crainte et ma honte aussi. Pas même ce déguisement me protégeait un peu. Du dernier présent de ma mère, on faisait un pieu.

Pourquoi…

Au coucher, assoiffée, je n’ai pas même somnolé. Les liens me taillaient le cou et les poignets. Une ombre s’est avancée en silence. A assourdi mes cris d’une main sans innocence. Lequel est-ce ? Lequel des deux ? Le prédateur ou le bourreau ? Un couteau m’arrache les yeux, et je sais. Et je hurle à travers des larmes de feu.

Pour…

Pff.

Perdre la vue, ce n'est pas l'obscurité. C'est une absence, une impossibilité. Quand j'oublie les malheurs et essaie de voir à travers la douleur, c’est comme s’efforcer de voir avec le dos. Point de noir. Point de nuit. Point de repos.

On a beau me tirer, je me laisse distancer. On coupe mes liens, comme pour me rendre ma liberté. Abandonnée à l’indifférence du désert, j’attends la fin salutaire. Mais avant, des bruits de pas se rapprochent, mon répit s’effiloche. Et le prédateur me vole de dernières faveurs.

Et pourquoi pas.

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