Scène 14 (1/3)

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Scène 14 (1/3)

Peu avant que l’eau ne fripe la paume de ses mains, la jeune elfe abandonna le confort du bain et se vêtit du chainse et du surcot offerts par Jolianne. Une fois habillée, Caevanne traversa le couloir, la cuisine étrangement déserte et arriva dans la grande salle.
Elle fut surprise d’y trouver si peu de monde pour fêter l’évènement. Ils étaient sept en comptant la petite famille et Lynell. Ils s’étaient réunis autour d’une des tables au centre de la pièce. La servante se trouvait aux côtés d’Ogan, de Thilas ainsi que de trois autres personnes que Caevanne ne connaissait pas.
L’homme assit à la droite d’Ogan, les cheveux et la barbe grisonnantes, arborait un regard dur et sévère sur la nouvelle venue. Surmontés d'épais sourcils broussailleux, ses pupilles d’un noir de jais l'observait avec une telle intensité qu'elle redouta qu'il puisse lire en elle ses pensées les plus intimes. Une large cicatrice serpentait sa joue gauche, comme pour témoigner d'un vécu que la jeune elfe ne préférait pas connaitre. Probablement celui d'un soldat, pensa-t-elle. Il portait une veste courte et matelassée en cuir dont le col se resserrait autour de son cou. Elle était épinglée d’une broche en argent de forme triangulaire. Trois branches métalliques partaient de chacune des extrémités de l’objet finement ouvragé et lui donnait l'apparence d'une fleur, en se rejoignant en son centre, sertie d’une pierre de jade d’un vert éclatant.
Même s’il devait s’agir de la personne la plus âgée à la table, peut-être la cinquantaine, sa carrure et l’aura qu’il dégageait montraient qu’il avait conservé la vitalité et la condition physique d’un jeune homme.

À la gauche du propriétaire de l’auberge se trouvait une personne très différente. Vêtu d’habits de soies teintés de couleurs vives, principalement de rouge et de jaune, l’homme était également coiffé d’un chapeau à plumes qui rebiquaient vers l’arrière. Il avait un air bouffi, des yeux porcins et n’arrêtait pas de tripoter une des nombreuses bagues serties de pierres précieuses que comptaient ses doigts potelés.
Face à eux se tenait un troisième invité. Il s’était retourné à l’entrée de Caevanne. Sa peau claire, ses cheveux ébènes, et ses longues oreilles trahissaient sa nature d’elfe. Néanmoins, il ne paraissait pas avoir souffert de la défiance des gens de la ville envers les étrangers. Caevanne constata que l’elfe était, lui aussi, richement vêtu. Un manteau teint en rouge recouvrait ses épaules sous lequel on pouvait deviner une chemise en étamine. Des lanières retenaient ses manches d’une couleur bleue. Caevanne reconnut là l’utilisation de la guède pour la teinture, une fleur que son maître lui avait apprit à identifier. Accroché à la ceinture de l’elfe, elle remarqua une bourse en cuir. Un peu plus de la trentaine, portant une barbe et une moustache, il ressemblait étrangement à son père. Elle sentie la tristesse percer sa poitrine et détourna rapidement le regard en direction de Jolianne.
Celle-ci rayonnait en la regardant, manifestement satisfaite de l’apparence de sa protégée, ainsi habillée.

— Tu es très jolie ! souffla-t-elle en s’approchant. Ne soit pas timide et viens t’assoir avec nous, je suis persuadée que tu ne connais pas les noix de bleu-terre.

Amusée par son embarras, l’humaine lui prit la main et l’entraina vers la table. Tout en lui indiquant sa place, Jolianne présenta la jeune elfe à leurs invités dans la langue locale. Caevanne s’était assise entre Thilas et l’elfe. Devant chacun d’eux se trouvait une des noix dont Jolianne parlait. Le fruit avait la peau marron, une forme ovale et faisait approximativement la taille d’un poing.
Face à elle, les deux humains chuchotèrent quelque chose à l’intention d’Ogan. Ils souriaient en observant la jeune elfe avec curiosité. Elle n’était pas à l’aise avec la façon qu’ils avaient de la dévisager.
Une fois tout le monde installé, l’elfe à sa droite se leva et s’approcha d’Ogan. Caevanne remarqua qu’il portait un coffret d’un bois sombre. Face à lui, l’homme à la cicatrice se redressa également. Jolianne lui avait expliqué que, pour la fête du solstice, les invités amenaient traditionnellement un présent pour leur hôte. L’écrin était celui qu’ils offraient en commun au propriétaire de l'auberge. Cette scène évoquait à Caevanne le rassemblement sur la petite place que faisaient les habitants de son village pour la nouvelle lune, où chacun souhaitaient le meilleur à ses proches et à ses voisins. C'était généralement l'occasion pour les âmes sœurs de s'unir, sous l’œil protecteur de Falnera, la déesse qu'ils vénéraient.

Feignant la surprise, Ogan ouvrit le boitier et se confondit en remerciements. L’intérieur était recouvert d’un velours pourpre sur lequel reposait un poignard. Sa lame était d’une étonnante blancheur et contrastait avec le manche, recouvert d’un cuir teint en noir. La garde, également de couleur sombre, prenait la forme des ailes d’un corbeau, courbée vers le tranchant de l’arme. En pleine contemplation, Caevanne remarqua notamment la pierre d’un rouge intense, sertie dans le pommeau.
Sous le regard de l’assistance, l’elfe d’une trentaine d’année saisit la poignée et prononça quelque syllabe en vieil elfique. « Flamme d’argent », comprit Caevanne. Le métal de la dague se tinta progressivement de rouge. Une intense aura serpentait le fil de la lame.
Jolianne laissa échapper une exclamation de surprise.

— C’est une dague très rare, souffla Thilas à la jeune elfe, tout aussi fasciné. La pierre que tu vois là est imprégnée de la magie du créateur de l’arme.
Très résistante et légère, commenta l’humain aux sourcils broussailleux.
Alliage de fer et de titane, décrivit le deuxième.

Quand au troisième homme avec le chapeau à plume, il présenta à Ogan un vêtement en soie d’un blanc d’albâtre, finement cousu. L’habit du dessus était teint de rouge garance, les manches en bleu de guède et le bas en vert.
Le propriétaire de l’auberge accueilli son présent avec d’avantage de reconnaissance encore que pour les deux autre.
Caevanne remarqua sa protectrice échanger un regard avec son compagnon. L’enthousiasme et la joie du couple touchèrent la jeune elfe.
Alors qu’Ogan entamait un nouveau sujet de conversation, Jolianne lui fit signe, à elle et Thilas, de s’approcher.

— Vous deux, soyez gentils et venez nous aider, moi et Lynell. Il faut que l’on apporte tout ce que l’on a préparé hier soir. Je pense qu’ils en ont encore pour un moment avec cette histoire d’accord.

Ils se levèrent sans hésitation et Caevanne emboîta le pas du jeune elfe.

— Tu as vu la tunique ? s’exclama Thilas, une fois arrivé dans la cuisine. Elle représente les devises d’Albar ! Le rouge du torse pour la force, le bleu des manches pour la tempérance et le vert des chausses, base qui soutient l’ensemble, pour la loyauté envers le pouvoir de la ville. C’est la plus importante des trois devises.
— La loyauté envers l’assemblée de la citadelle ! précisa Jolianne, juste derrière eux. Ce n’est pas pour rien que la dame de la Tour-de-fer est aussi détestée. Elle n’a respectée aucun des trois engagements en abandonnant le pouvoir de l’île pour celui de la ville basse.

Jolianne s’approcha de l’établi et pressa nerveusement la servante de sortir les préparations du four. Une douce odeur sucrée se répandit dans la cuisine. Dans chacune des assiettes se trouvait une des pâtisseries de forme triangulaire préparées la veille. Elles étaient faites de pâte feuilletée, garnies de fromage et de choux. Le soir, tandis que Caevanne s’était chargée d’abaisser encore et encore la pâte à l’aide d’un rouleau, sa protectrice lui avait raconté que les talmouses étaient une préparation qu’ils faisaient chaque année pour la fête de l’astre.

— Je suis persuadé qu’elle a ses raisons, rétorqua Thilas avec une pointe d’aigreur. Tu peux demande à Erzhale, comme il est là. Il la connaît bien lui, et il pourra te le confirmer. C’est l’elfe, ajouta-t-il à l’intention Caevanne. Il est mêlé aux affaires de la ville.
Bodse est là ? s’étonna la servante. Puis-je aller le voir ? demanda-t-elle à Jolianne. Je vais sûrement devoir repartir avec lui tout à l’heure.

Caevanne constata avec satisfaction qu’elle comprenait chaque jour un peu mieux la langue locale.

Va et ne traine pas, lança l’humaine. On a encore besoin de toi ici avant le départ.

Heureuse d’obtenir la permission de la maîtresse de maison, Lynell déposa sur la table deux bouteilles de vin et s’éclipsa. Une fois la servante partie, Caevanne écouta avec intérêt Thilas faire l’article de cette boisson, particulièrement sucrée. C’était de l’hypocras, un vin à base de poire.

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