Chasse à courre - 1° partie

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Fatigué par le voyage, tout ce petit monde ne pouvait nous quitter sans reprendre des forces. Les festivités, prévues pour six jours, permettraient aux monarques de palabrer, aux princes et princesses de lier connaissance et aux marchands de prospérer ou d’estimer la demande. Visites, jeux et divertissements de toutes sortes, ordonnés sans contraintes, permettraient à chacun de gérer son temps comme il le souhaitait.

J’organisais moi-même des moments entre princesses d’une part et amies d’autre part, voire les deux groupes réunis. Entre commérages, impressions et bribes de conversations se brossait un tableau général des événements en cours. Clément adorait feindre d’avoir à me parler afin de se mêler à toutes ces jeunes filles à peu de frais. Pour se rendre particulièrement indispensable, il nous rapportait les paroles de la gente masculine. Des propos appréciés.

Une chasse à courre fut organisée à laquelle tout homme bien né se devait de participer. Mon frère y vit une obligation, mais il fut encouragé dans sa décision en apprenant la participation de trois jeunes femmes.

Il tremblait légèrement lorsqu’il revint me voir en fin d’après-midi, accompagné de Robb, Robert, Jerry et Antoine auxquels il s’était lié d’amitié.

La matinée avait commencé avec le pisteur. Celui-ci avait énuméré les ingrédients du menu : deux loups dont ses chiens avaient perçu la trace, impatients de la retrouver.

En l’absence de souverains – ces derniers avaient décliné l’invitation eu égard à la difficulté du parcours – Hugo prit rapidement les commandes en entérinant le premier les objectifs du jour. La longueur de leurs pas suggérait des loups en forme, la chasse promettait de durer.

Si Clément craignait ces bêtes de sang, il fut rassuré au regard de la meute qui les guiderait : trente chiens pressés d’en découdre. Il devait malgré tout se fier entièrement à son cheval, éviter de se faire distancer pour se retrouver seul face au danger.

La pause de midi permit de faire le point. Le maître des chiens rappela la capacité des loups à franchir de grandes distances sans faiblir. Hugo donna une tape à la croupe de son cheval en claironnant qu’il y avait ici plus solide encore et que tous rentreraient avec deux tueurs d’hommes à leur actif.

Peu après, les loups hurlèrent au vent, entraînant d’autres meutes à leur répondre. Plusieurs se levèrent, comme pour mieux s’inspirer du moment.

Si mon frère appréciait la randonnée à cheval, il craignait les forêts sombres, les ravins encaissés et les collines encombrées. Par-dessus tout, ces hurlements lui glaçaient le sang. Entre princes qui traînaient les pieds, Clément, Robb, Robert, Antoine et Jerry se serraient les coudes, se rassénérant mutuellement. D’autant que les dames s’étaient désistées…

Lors de la pause suivante, le pisteur expliqua que, contrairement aux humains, les bêtes pourchassées ne tentaient que rarement de s’éloigner le plus possible. Lorsqu’elles ne percevaient plus la présence de leurs poursuivants, elles s’arrêtaient, tous sens en éveil. En cas d’abandon du chasseur, elles n’allaient pas plus loin.

Le groupe de Clément l’écoutant avec attention, il se rapprocha d’eux et précisa sur le ton de la confidence :

— Regardez les oiseaux. Le moindre mouvement les fait fuir. Ils se posent sur une branche et, immédiatement après, se retournent et vous regardent. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, ils se demandent si vous êtes dangereux ou non. Si vous continuez votre chemin comme si de rien n’était, ils estiment qu’ils ne risquaient rien. Si vous vous arrêtez en les observant, ils comprennent que vous êtes là pour eux, pour les manger. Avec le temps, ils adaptent leur comportement en fonction du danger que représente telle ou telle espèce, dont vous, ou du profit que procure votre voisinage.

C’est bien ainsi que Clément voyait le monde. Il fallait se protéger des autres, trouver des alliés et profiter de toutes opportunités. En désaccord avec sa sœur sur ce point, il citerait cet exemple au prochain thème abordé, avec l’espoir de la convaincre. Si, contrairement à lui, elle savait se battre, elle demeurait dans la plus grande naïveté en ce qui concernait le comportement à adopter dans la vie.

Le pisteur reprit à destination de tous :

— En conséquence, la peur disparaît rapidement chez les animaux. S’ils sont parvenus à maintenir la distance, ils ne paniquent pas. Il ne faut donc pas considérer nos arrêts comme une perte de temps. Tout simplement, proies comme chasseurs reprennent des forces. Le fait que la proie n’ait pas l’habitude d’être chassée n’y change rien.

Le maître des chiens tenta d’évaluer l’avance des fuyards et estima qu’ils ne se trouvaient plus très loin. Il réprimanda ses bêtes les plus bruyantes, leur signifiant par geste qu’il ne s’agissait que d’exercer leur flair pour le moment.

Robb pris en main son arc et s’adressa à ses nouveaux amis.

— Je n’ai pas l’habitude de ce genre d’arc, ils sont bien trop petits.

— Avec les autres, on ne pourrait pas tirer à cheval, répondit Robert. Au moins, avec ceux-ci, on peut.

— Mais ça ne doit pas tirer bien loin, ajouta Clément. Il faudrait se trouver proche du loup pour espérer le toucher.

Une inquiétude de plus pour mon frère.

— Détrompe-toi, expliqua Robert, ceux des Sudistes tirent loin, j’en ai été témoin, et ils ne sont pas plus grands.

— Ça n’a rien à voir, le contredit Robb. Nos arcs ne valent rien à côté des leurs !

— Comm…

— Vite, ils partent, les coupa Jerry. Ne perdons pas de temps.

La chasse reprit. Peu après, l’excitation des chiens devint palpable. La poursuite ayant lieu par monts et par vaux, les bêtes n’avaient pas encore été repérées, cependant le flair des canidés ne trompait pas. Pressentant leur proximité, Hugo se rapprocha du maître-chien. Au beau milieu d’un espace dégagé, il se retourna pour estimer l’étalement de la troupe.

Jerry comprit immédiatement.

— Ça va commencer, rapprochons-nous, proposa Jerry.

Ils gravirent une colline pour la redescendre par le versant opposé en pente douce. La tension grandissait parmi les poursuivants, chacun tenait les rênes plus solidement. Le maître-chien n’empêchait plus la meute d’aboyer. Soudain, une exclamation.

— Là !

Un des sbires de Hugo avait crié. Clément chercha les bêtes au fond de l’étroite vallée que divisait un cours d’eau. Devant lui, plusieurs chiens bifurquèrent pour dévaler la pente plus rapidement. En les suivant du regard, deux loups blancs lui apparurent. Le cours de la rivière dessinait un angle sur la berge de laquelle ils s’arrêtèrent. Les aboiements gagnaient en intensité. Les bêtes pourchassées décidèrent de traverser malgré la force du courant. Sans crainte, les chiens les suivirent.

Le pelage épais des loups sembla les retarder. Bons nageurs, plusieurs chiens au poil ras sortirent de l’eau avant eux. Les cavaliers longeaient la rive de l’autre côté. C’est entouré de bêtes criardes que les fuyards émergèrent de l’onde mugissante.

Quand Clément arriva, la plupart contemplaient la scène un arc à la main. Les loups étaient cernés. D’un côté, leurs cousins apprivoisés, de l’autre, des cavaliers plus inquiétants encore.

— De belles bêtes, reconnut Owen.

— Un peu grands pour des loups, s’étonna William. Les chiens les craignent.

Effectivement, dès que les loups attaquaient, les chiens reculaient, pour ensuite reformer les rangs pendant que d’autres faisaient mine de charger.

Les princes discutèrent entre eux sur la meilleure manière de procéder. Il y a peu de gloire à les tuer de si près, avait lâché Hugo. Mais quelques-uns, dont Clément faisait partie, préféraient en finir. Le sort décida pour eux. Harcelés de tous côtés, les grands prédateurs tentèrent le tout pour le tout, attaquant droit devant eux. Jappements et aboiements emplirent les bois d’une belle cacophonie. La trouée effectuée, ils s’enfuirent, emmenant la meute dans leur sillage.

— Cette fois, chacun pour soi, annonça Hugo. La gloire reviendra à celui ou ceux qui les auront abattus. En avant !

Les cavaliers se précipitèrent, Hugo et le maître-chien en tête. Au grand gallot, les plus rapides rattrapèrent les bêtes exténuées. Attiré par le sang, habile écuyer, Jerry poussait sa monture pour ne rien perdre de la mise à mort. Hugo en tête, Duncan à sa droite, deux gardes à sa gauche, une des bêtes au moins se voyait promise au prince de Cassandre. Un des loups se trouvait à sa portée, à quinze pas tout au plus, et il le rattrapait. L’arc levé, la flèche inclinée, la tension sur la corde augmentée, maintenant ! se dit Jerry.

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