Enjeu - 2° partie

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Bruce Andleton ne comprenait toujours pas. Le compte-rendu de ses hommes n’avait aucun sens. Envoyés sur place en pleine nuit, ceux-ci avaient décrit une scène de massacre rocambolesque. Lui-même était resté au palais en prévision de la présence du prince. Il soupçonnait l’incapacité de ses gardes de lui interdire tout déplacement. Par bonheur, le fils du roi avait, semble-t-il, quitté les lieux, et il avait pu se rendre sur place.

Depuis qu’il arpentait les alentours, il devait bien l’admettre : ses subalternes n’avaient en rien exagéré. La plupart des corps se trouvaient à l’intérieur de la demeure. Certains, transpercés de flèches ou de lames, gisaient au milieu de débris innombrables. Deux boucliers traînaient au milieu des corps. Une véritable scène de guerre inscrite dans un espace ridiculement restreint.

De mémoire, la princesse avait parlé d’une vingtaine de brigands. Sans cette information, il aurait conclu à l’affrontement de deux bandes armées, sans moyen de discerner qui s’opposait à qui. Mais dans le cas où ceux-ci constituaient un seul groupe, qui les avait éliminés ?

Quant au prisonnier… Du lieu indiqué, près du mur, une traînée de sang se dirigeait vers la porte d’entrée. S’en était-il sorti seul ? Des complices seraient-ils venus le secourir ? Eu égard à la quantité de fluide répandu, il aurait de la chance de s’en sortir.

Et tous ces meubles déplacés ? Un siège ! Cet endroit avait été le centre d’un véritable siège ! Ces portes d’armoires avec lanières ? Avaient-elles servi de boucliers ? Et ces débris ? Des projectiles ? Cela expliquerait les nombreuses entailles qu’arboraient membres et visages. Neuf jeunes femmes auraient-elles défendues becs et ongles cette demeure ? Pour en sortir victorieuses ? Il fallait qu’il en ait le cœur net.

.oOo.

De retour au château, il se dirigea vers les cuisines, afin de grapiller quelques restes. La fureur des vents emplissait encore ses oreilles d’un son lointain. Le fumet qui nargua ses narines lui fit oublier les intempéries.

— Alors cette tempête ? l’interpella Nadine.

Une gentille fille, cette Nadine. Visage agréable et souriant, toujours prête à rendre service. Que répondre ?

— Je pensais qu’ici, je pourrais l’oublier.

La petite table était libre. Il savait qu’elle le servirait. Elle lui amena un pot au feu bien chaud. Cette chaleur lui ferait du bien.

— Alors, raconte ! » Elle se plaça face à lui, le fixant d’un regard avide.

— Sale affaire.

— Raconte…

— Des corps partout.

— Une vingtaine ?

— Oui. Comment…

— C’était donc vrai… le coupa-t-elle.

Elle se tourna vers ses collègues.

— Les prostituées exagèrent souvent, assura Martha. Parfois elles disent vrai. » La dame d’âge mûr, singulièrement enrobée, s’essuya les mains. Nadine se concentra à nouveau sur le chef des gardes.

— Et le survivant ?

— Pas de traces. Il s’est enfui.

— Blessé comme il était ?

— Pour sûr, la traînée de sang qui traversait la demeure en témoigne.

Il but une gorgée du vin qu’on venait de lui servir.

— Comment a-t-il fait ? Elles l’avaient castré !

Un air de dégoût apparut sur son visage.

— D’où avez-vous appris cela ? Il semble bien que tout le monde soit au courant ici, sauf moi.

— Tu étais occupé à courir après les morts, se moqua Nadine.

— Les soignantes, répondit Martha sans abandonner sa tâche. À peine arrivées, médecins et soignantes voulaient tout savoir. On se demande s’ils n’en oubliaient pas leurs patientes !

— Tout le château connait déjà la nouvelle, lança Nadine. Avant midi, la capitale entière ne parlera plus que de ça.

Le chef de la garde hocha la tête. Il ne pouvait imaginer se retrouver le dernier à comprendre.

— Alors, que disent-elles, ces femmes ? Comment les choses se seraient passées ?

— Attends, temporisa Nadine. Avant, tu dois nous dire une chose.

Il se contenta de boire une nouvelle gorgée.

— Est-il vrai que la princesse est arrivée nue au conseil ?

— Qui… ? » Le neveu du roi, bien sûr… pensa-t-il. « Elle n’était pas nue. Elle nous est apparue avec ce que les ravisseurs lui avaient mis sur le dos.

— Un haut et un bas affriolants.

— C’est ça.

— Autre question. Est-ce que les meubles étaient bien regroupés contre les portes intérieures ?

Il la fixa dans les yeux. Il s’agissait-là d’un autre mystère. La porte principale grande ouverte et les intérieures condamnées. Avait-elle la réponse ?

— Oui, soupira-t-il.

— Je le savais ! » Elle tapa du point sur la table. « Elles n’ont pas menti.

— Mais pourquoi bloquer les portes intérieures alors qu’il s’agissait manifestement d’un assaut extérieur ?

Et Nadine lui expliqua. Les exercices de combat, la princesse isolée, les cris, la lutte contre José, la ruse pour sauver la princesse, les boucliers de bois, les pièges, les assauts, les chevaux, la poursuite. Tout. Entretemps, d’autres châtelains les avaient rejoints et tout ce petit monde parlait en même temps. Bruce ne savait qui croire. Son mal de tête lui fit quitter les lieux.

.oOo.

Le chef des gardes montait les escaliers. Il avait empêché quiconque de déranger la princesse avant 11 heures. Il désirait la rencontrer avant que le repas ne soit servi.

Après avoir fait tinter la cloche, il recula. Devant lui, la double-porte en imposait. Pourtant, elle n’avait opposé aucune résistance aux ravisseurs.

Allie ouvrit. D’apparence gaie et reposée, elle n’attendit pas qu’il présente sa requête.

— La princesse est dans sa chambre. Elle vous attend.

La servante se dirigea vers les appartements du roi, le laissant seul. Il connaissait le chemin. Plus loin, sur la droite, une chambre était grande ouverte. Il passa le pas de la porte et s’arrêta. La princesse riait, appuyée contre le dossier du lit. Face à elle, il reconnut une servante et deux inconnues. Celles-ci mimaient une action. Elles s’arrêtèrent en l’apercevant. Toutes avaient le sourire aux lèvres.

— Bonjour Bruce, vous pouvez approcher si vous le désirez.

L’hilarité entrecoupait encore la voix de la princesse. Il jeta un dernier coup d’œil aux jeunes femmes et s’approcha. Tout ici l’intriguait.

— Quelles sont les nouvelles ? Avez-vous retrouvé mon frère ?

— Non. Il a disparu. Je reviens juste de la chaumière.

— Le prisonnier ?

— Il s’est enfuit.

La stupeur se lut sur son visage. Devant elle, les demoiselles s’étaient tues.

— Au moins deux personnes sont venues le chercher, précisa-t-il.

— Quel indice vous conduit à penser cela ?

— Les traînées de sang sur le sol. Les marques indiquaient qu’il avait été traîné par deux personnes.

— J’en étais sûre, nous aurions dû l’occire ! jeta une des jeunes femmes.

La princesse hocha la tête.

— Ce n’est pas si grave. Diminué comme il l’est, son périmètre d’action s’en trouve réduit d’autant. Je suis surprise que ses amis ne l’aient abandonné.

— Ou tué pour éviter qu’il ne parle, supputa une autre jeune femme.

Après un court silence, à la posture du chef des gardes, Alina, qui remplaçait Emma, soupçonna qu’il n’osait présenter sa requête.

— Peut-être devrions-nous laisser la princesse seule avec le capitaine.

Lucette fut la première à réagir.

— Nous prenons congé de vous, majesté, s’amusa-t-elle, d’une courbette bien appuyée.

— Si vous voulez-bien nous excuser, votre magnificence, ajouta Julia, qui préféra la génuflexion.

Sara leur rendit leur sourire.

— Merci, mais c’est inutile, si toutefois, Bruce, vous acceptez de partager notre repas ce soir.

— Oh, je…

— Dites oui. Vincent Moréa s’est fait inviter et, nous avons accepté la demande d’une équipe de ménestrels.

— Ils sont déjà au courant ?

— Étonnant non ? Ils se trouvaient en ville, manifestement. La tempête, sans doute.

— Je viendrai. J’ai mille questions et ne voudrais rater cela pour rien au monde.

— Vous êtes le bienvenu.

Il prit congé en s’inclinant respectueusement. En arpentant le couloir, il entendit : « Il a copié sur moi pour la courbette ! » Un franc sourire illumina son visage.

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