Tremblement de terre - 1° partie

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Définitivement, la météo a peu de rapports avec les préoccupations des hommes. Je prenais le soleil sur la terrasse au moment où un événement de la force d’un tremblement de terre se préparait à tout balayer. Allie, essoufflée et visiblement effrayée, se rua vers moi, m’inondant d’un phrasé incompréhensible. Saisie par le ton employé, je fis mine d’avancer. En poussant ma chaise, elle précisa que le roi avait ordonné à ses troupes d’arrêter Krys et de le mettre au fer.

Un silence absolu régnait dans la pièce jouxtant le grand bureau. Le visage fermé, les personnes présentes tentaient d’imaginer les événements aux sons qu’ils percevaient. Mon frère, l’oreille collé à la porte, cherchait à capter la moindre action. Ma tante, l’intendant principal, les serviteurs, aucun ne bougeait.

Un calme plat régnait de l’autre côté.

— Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ? chuchotai-je.

L’intendant principal me prit à part. D’une voix tremblante, il murmura :

— Dans le bureau se trouvent le roi, une partie de sa garde personnelle et le citoyen Krys. Celui-ci a menacé votre père qui a alors fait appel à la garde. Le roi a exigé qu’on l’enferme, mais il a refusé.

Krys ? Menacé le roi ? Serait-il devenu fou ?

— Comment ça refusé ? Il est armé ? Il a réussi à rejoindre cet étage armé ?

— Non. Il ne semble pas.

— Alors, pourquoi la garde n’obéit-elle pas ?

— Parce qu’il menace de tuer le roi !

— Mais…

Serviteur zélé et mesuré, Antoine Weiser se révélait un atout précieux dans les situations de crise. Sur le moment, son attitude me surprit. Son discours m’apparaissait incohérent.

— Je ne comprends pas.

— À vrai dire, nous non plus, princesse. Mais je crains que ça se termine mal pour l’un des deux partis.

Je ne parvenais pas à croire que Krys menaçait le roi. Incrédule, je fixai l’intendant principal, espérant qu’il apporte des réponses à mes doutes. Son visage figé faisait écho à la tension qui régnait dans la salle.

— Abattez-le ! hurla mon père.

Sa voix assurée et autoritaire traversa le battant de la porte, faisant reculer mon frère.

À l’intérieur, le chef de la garde eut une réaction inattendue. Plutôt que d’obéir, il demanda :

— Peut-il le faire ? Peut-il vous tuer, mon roi ?

— Il n’est pas armé ! Il a quinze épées et dix pointes de flèches dirigées contre lui, vous êtes entre lui et moi, cette grande table l’empêche de passer, comment voulez-vous qu’il me tue ?

— Il dit qu’il n’a pas besoin de nous abattre pour vous atteindre. Mon roi, est-ce qu’il peut le faire ?

— Non !

Ce non, suivi d’un silence assourdissant, avait tonné dans mes oreilles. Il ajouta :

— Il ne peut pas ! Abattez-le sur le champ !

Je connaissais cette pièce. Il s’agissait d’une salle de réunion de taille moyenne. Une grande table permettait d'accueillir une vingtaine de personnes. Le roi se trouvait juste de l’autre côté de la cloison par rapport à nous. J’imaginai Krys à l’autre bout et les soldats, massés tout autour de la table, barrant l’accès. Ils ne lui laissaient aucune chance d’atteindre sa cible. Pourtant, tous le croyaient. Dans la voix de mon père, je percevais le doute qui l’étreignait, lui aussi.

Écartelé entre l’injonction de son maître et le désir de lui sauver la vie ainsi que la sienne, le chef de la garde restait figé. Que se passerait-il si la garde tirait ? Ou si elle ne tirait pas ? Si elle choisissait d’obéir, qu’arriverait-il à Krys ? Comment pouvait-il tenir tête à autant d’hommes armés jusqu’aux dents ? Sans arme et sans doute sans armure… Tout cela me dépassait.

Soudain, une porte s’ouvrit et nous entendîmes : « Ils ont refusé. » Lorsqu’elle se referma peu après, Clément se redressa, se déplaça dans le couloir et appela. Delabre, un sous-officier d’âge moyen, nous rejoignit. Ce qu’il nous raconta m’effraya au plus haut point.

La raison pour laquelle le roi n’écrasait pas ses protecteurs d’insultes, de menaces et de désaveux provenait sans doute de manœuvres engagées en coulisse. Sous prétexte que le groupe de Krys hébergeait un ou plusieurs saliens, la garde avait exigé d’inspecter les lieux. Les meneurs prirent peur, car deux cents gardes attendaient au dehors. Afin de gagner du temps, ils demandèrent à voir Krys. Plantés devant la porte, les officiers du roi remarquèrent l'agitation : des armes circulaient de main en mains dans une discrétion toute relative. Les meneurs refusèrent, la question devait être posée à leur chef, et non à eux.

Une réponse oh combien dangereuse ! pensai-je. Cependant, s’ils avaient répondu favorablement, les gardes auraient investi les lieux et toute défense devenait impossible. Qui plus est, ils auraient servi d’otages contre Krys.

Face à ce refus, Delabre fut envoyé en informer le roi de leur refus. Au lieu de répondre de vive-voix, le monarque avait ouvert trois fois sa main devant lui, signe que l’attaque devait avoir lieu dans la demi-heure. Clément libéra le sous-officier.

Nous nous dévisageâmes. En agissant ainsi, mon père affichait son autorité face à des gardes désobéissants. Une manœuvre censée déstabiliser Krys.

Clément envoya immédiatement des observateurs rejoindre le balcon en surplomb des anciennes écuries dans le but de rendre compte.

Alors que nous les suivions du regard, l’intendant principal fut le premier à s’étonner du refus des sudistes.

— Depuis la victoire de mon père à Bladel, répondit Clément, ces anciens esclaves imaginent qu’elle est due à leur seule présence dans le fort. Sans doute s’estiment-ils capable de rééditer leur exploit.

— Ce n’est pas ce qui se déroule en dehors du palais qui me fait peur, ajouta tante Hélène, c’est ce qui se passe ici. Comment la garde peut-elle désobéir au roi à ce point ?

Plusieurs hochèrent la tête.

— D’autant que l’agresseur est seul et sans arme, surenchérit Clément.

— Ils ont peur ! répondit l’intendant dans un murmure. » Le ton caverneux qu’il avait employé me donna la chair de poule. « Ils ont peur de lui ! Ils ont peur qu’il soit capable de faire ce qu’il dit.

— Mais comment… commença ma tante.

— Chut ! la coupa Clément.

Dans le bureau, une voix se fit entendre. Clément, qui écoutait à nouveau, dut penser qu’elle était trop faible pour nous parvenir car il répéta à mi-voix les paroles perçues.

— Commandant, si vous le permettez, vous savez que j’ai bien des amis dans l’armée. D’après ce que j’ai entendu, il le peut.

— Il peut quoi, soldat ? Précisez !

— Il peut tous nous tuer. S’il le veut. Instantanément !

— Ridicule ! Je ne connais pas votre nom, soldat, tonna mon père, mais vous voilà démis de vos fonctions !

— Je vous demande pardon, mon roi, j’ai cru que nous devions vous protéger. Quant à moi, j’ai une famille à nourrir. » Un temps passa. « Il a tué un Morcan ! Le chef Morcan ! D’un seul coup ! Avec un marteau morcan ! Il a frappé une seule fois ! Et le lendemain, il a abattu un autre de ces géants ! Nous ne sommes pas assez nombreux dans cette salle, ni suffisamment équipés, pour tuer un seul d’entre eux, alors comment il a fait, lui ?

Comment un simple soldat de la garde pouvait oser clamer j’ai une famille à nourrir devant son souverain ? La tension devait être telle en ce lieu que certains ne la supportaient plus. Ou sans doute se sentaient-ils si redevables à Krys qu’ils ne pouvaient imaginer lui nuire, quitte à hypothéquer leur avenir.

— Légende ! rugit mon père. Légende ! C’est l’armée qui a été victorieuse.

— C’est vrai, sire, mais, j’ai visité le fort. La façade sud n’est plus que débris. Comment le millier de défenseurs qui restait aurait-il pu résister à une armée sept fois plus nombreuse ? Est-ce pour cela que nous-mêmes sommes allés nous réfugier chez le roi Henry avec le reste de l’armée ? Parce que nous savions que nous allions gagner ?

Le chef de garde ordonna à son subalterne de se taire d’une voix ferme. J’admirais ce garde. Son responsable l’avait malgré tout laissé parler jusqu’au bout. J’imaginais la tête de mon père, les mâchoires serrées, se demandant que répondre sans perdre la face. Après un long silence, il se ressaisit :

— Oui, exactement. Pour préparer la prochaine guerre. Tous les monarques que vous avez aperçus il y a quelques jours m’ont promis leur assistance. Les Galiens reviendront. Notre armée ne suffira pas, cette fois.

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