La chaise roulante

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Depuis peu, je parvenais à me redresser et à tenir durablement en position assise. Malgré ces avancées, participer à la célébration me paraissait illusoire. Par bonheur, d’autres y pensaient pour moi. Tamara me rendit visite pour annoncer l’arrivée imminente de deux cadeaux. Je me redressai.

— En quel honneur ?

— Peut-être te permettre de participer à la fête, cette fois. Attends, ça vient.

Un intendant apparut, qui poussait une sorte de fauteuil encadré de deux grandes roues. Inexorablement attirés, mes doigts se collèrent à mes lèvres, mes yeux s’agrandirent et la première image qui me vint à l’esprit fut :

— Un mini-carrosse ?

Tamara ménageait ses effets en m’observant d’un air amusé.

— C’est ça l’idée. Tu vas pouvoir voyager maintenant.

Nul besoin de me faire un dessin. J’entrevoyais déjà en quoi ce "mobilier roulant" allait changer ma vie. Elle m’aida à m’installer, plus pour me protéger que me conseiller. Cela fait, elle prit tout son temps. Elle se plaça à l’arrière et demanda : « Tu es prête ? » Bien sûr que j’étais prête. Un grand sourire fendait le visage de l’intendant. D’une poussée de Tamara, l’appareil se mut silencieusement le long du lit. Nous atteignîmes le balcon en un temps outrageusement court, eut égard aux difficultés que cela représentait auparavant.

— Incroyable…

— Tu es bien ? Tu n’as pas mal ?

— Non. Est-ce que je peux me déplacer toute seule ?

— Oui, mais ce n’est pas conseillé dans ton état.

L’intendant ouvrit la porte et nous nous retrouvâmes à l’air libre. Un courant d’air frais nous enveloppa, me faisant parvenir une sensation de bien-être que j’avais oubliée.

— Tu n’imagines pas ce que je ressens. Je vais pouvoir profiter de la vue à volonté.

— Plus que tu ne crois !

Devant mon air interrogateur, elle ajouta :

— À l’intérieur du bras droit de la chaise, il y a un espace de rangement.

S’agirait-il du second cadeau ? Le premier se révèle déjà miraculeux. Je tâtonnai et parvins à ouvrir une sorte de clapet. À l’intérieur, un écrin.

— Il y a… une sorte de… » Un objet composite se trouvait dans le récipient stylisé.

— Prends-le. Voilà. Tu remarques au toucher que deux sections coulissent l’une sur l’autre et qu’il y a une minuscule lentille en verre au bout. Il te faut regarder au travers de cette lentille et viser un objet. La charrette que voilà, par exemple.

Je m’appliquais. Ce n’était pas évident.

— C’est un peu flou.

— Oui, c’est normal. Fait coulisser les deux parties pour adapter l’appareil à ta vue.

Je réalisai différents réglages au jugé et, subitement :

— Incroyable ! J’aperçois l’ensemble des détails.

Tamara me laissa admirer la vue. Si je connaissais le paysan qui conduisait la charrette, je l’aurais reconnu. Je cessai mon observation et contemplai les lentilles.

— Comment s’appelle cet instrument ?

— Krys appelle ça une longue-vue.

— C’est lui qui l’a fabriquée ?

— Oui. Ainsi que la chaise roulante.

— Il fait tout ça tout seul ?

— Non. Généralement, il dessine les plans et crée les éléments les plus complexes. Dans le désert, la section fabrication était composée de la plupart d’entre nous. Aujourd’hui, il faut de plus en plus de monde. On recrute !

J’avais beau ne plus le rencontrer, il se débrouillait pour se rappeler à moi. Et de quelle manière ! Des objets d’une valeur inestimable. Une chaise roulante ? J’imaginais le bonheur que cela pourrait représenter pour beaucoup. Une longue-vue ? Nobles et officiers se jetteront à ses pieds pour quémander leur modèle.

— Vous disposez tous de ce genre d’équipement ? » Je montrai l’instrument que je tenais dans les mains.

— Non. Pour le moment, il n’existe que deux modèles.

— À part Krys, je suis la première à posséder ce bijou ?

— Tu en as besoin. Tu pourras t’occuper. Krys dit qu’il te faut prendre le soleil pour fortifier tes os.

— Le soleil ? Pour mes os ? répétai-je, signifiant un rapport peu évident.

— Oui. » Elle haussa les épaules. « Ne me demande pas pourquoi.

Je me tournai vers l’intendant. Il nous écoutait avec attention. À son sourire, je devinais qu’il était ravi pour moi.

— Puisqu’il me faut prendre le soleil, je lirai sur la terrasse. Et je pourrais participer au plein-air lors de la fête.

— Il va falloir former tes servantes à la conduite accompagnée ! » Devant mon air intrigué, elle ajouta : « Je plaisante, c’est immédiat. Il suffit de pousser. Il leur faudra juste rester attentive à ta jambe.

Je me retrouvai seule sur le balcon, avec mes nouveaux "jouets". Avec l’un, je me déplaçai. Avec l’autre, je m’émerveillais. Je visais tout objet distant afin d’en repérer le moindre détail. Les éléments les plus communs devenaient des merveilles d’originalité. Je suivais les badauds dans leurs déplacements. Jamais je n’aurais imaginé qu’un tel instrument puisse exister. Et dire que le monde entier se presse chez nous demain ! Les princes seront sous le choc en découvrant ces merveilles. Comment Krys peut-il inventer de telles choses ?

Alors que mes doigts jouaient sur l’accoudoir, je me rendis compte que le bras gauche possédait son propre espace de rangement. Je déclenchai le mécanisme. Il contenait un étui en cuir rempli d’outils tranchants de toutes sortes. Je saisis celui que je jugeais le plus étrange. Cerclé de cuir, deux charnières permettaient de le déplier. Je l’imaginais sanglé à une ceinture. Un moyen de sortir secrètement armée ?

Je tentai de me déplacer en poussant les roues comme Tamara me l’avait montré. Je compris rapidement pourquoi elle m’avait formellement interdit d’en abuser. Néanmoins, j’étais capable de revenir à ma chambre seule.

J’ignorais si Krys complotait contre mon père mais, quoi qu’il en soit, il était… incroyable !

Et il pensait à moi…

J’anticipai la réaction de Clément. Ayant échoué à atteindre le roi en première tentative, Krys couvre de présents sa fille pour tenter d’entrer dans ses bonnes grâces. Et, parmi eux, un instrument capable de séduire l’ensemble des nobles et généraux de la Terre des Hommes.

Toutes ces manœuvres ne seraient-elles qu’un moyen d’approcher les arcanes du pouvoir ? Ou le roi lui-même ?

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