Mise en scène - 2° partie

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J’ouvris les yeux au milieu de la nuit. De mémoire, Allie était de veille. J’ai toujours favorisé l’esprit volontaire à l’obéissance absolue. Mes servantes connaissaient leurs charges et avaient, comme moi, leurs propres zones de confort. Surtout, je préférais être aimée que crainte. J’estimais qu’on recevait et donnait plus de cette façon.

Toutefois, pour moi, cela induisait un certain degré d’incertitude. J’appelai. Sans tarder, Allie ouvrit la porte.

— Ah, bonjour Allie, tu ne dormais pas ?

— Vous êtes blessée, princesse.

— C’est gentil. T’es-tu rendue à la fête ?

— Oui ! répondit-elle. » Elle avait répondu mécaniquement en allumant quelques bougies, puis elle se retourna pour ajouter avec emphase : « C’était fantastique.

— Dans la grande salle qui donne sur la cour ?

— Oui, elle était bondée. La troupe de ménestrels qui est parvenue à reproduire le mieux les conditions de la bataille a été sélectionnée. Ils ont joué avec humour. Nous avons beaucoup ri.

— Peux-tu m’aider à me redresser ? Toute seule, ça fait terriblement mal.

La position semi-inclinée me permettrait de bouger un peu. Dire que tout cela ne faisait que commencer…

Après avoir placé une chaise à mes côtés, Allie décrivit l’élément phare de la fête : la prestation des troubadours. Elle me paraissait réaliste. À un moment donné, elle baissa les yeux et dit : « Vous y étiez… J’ai pensé à vous. »

Brusquement, la réalité de la fête s’estompa, remplacée par le fracas des combats. Les scènes les plus horribles prenaient corps devant mes yeux. Aux tous premiers jours de la guerre, je ne subissais pas, j’étais confiante. Puis, l’attente et les bombardements incessants minèrent petit à petit ma détermination.

— Il y avait une grande angoisse, dis-je, doucement, en reportant mon attention sur un coin sombre de la chambre. Nous ne savions pas si nous allions nous en sortir.

Elle me regarda, affectée. Je tentai de revenir sur la prestation des artistes.

— Qui a joué le chef Morcan ?

— L’acteur le plus grand et le plus gros ! Ils l’ont rendu encore plus épais avec des chiffons, surtout au niveau du ventre. Il dodelinait en avançant et faisait moult grimaces. Là encore, la salle a beaucoup ri.

— Ils ont eu le temps de fabriquer un grand marteau ?

— Immense ! Le monstre a tué tout le monde avec, sauf vous. Vous avez tenu longtemps. Les acteurs ont dû temporiser, tellement vous étiez applaudie. Et toute la salle a été pétrifiée lorsqu’il a levé son arme contre vous. Ensuite, celui qu’on appelle Krys est arrivé.

— Il m’a sauvée en abattant le Morcan. Je me voyais morte.

— Cela s’est-il passé ainsi ? C’était vrai ?

— Les acteurs en rajoutent souvent mais, cette fois, ils n’en ont pas eu besoin. Ça s’est vraiment passé comme cela. Est-ce qu’ils ont montré qui m’a soignée ?

— Oui ! Après avoir tué le géant, Krys a défendu la brèche avec sa terrifiante épée qui tuait tout le monde. Quatre Galiens tombaient à chacun de ses coups ! (j’étouffai un rire). Ensuite il s’est occupé de vous. Et à la fin, il vous a portée jusque dans votre chambre. Tout le monde sifflait et le cherchait dans la salle. Puis il vous a soignée.

— Tu l’as repéré ?

— À ce moment-là, je ne savais pas où il était.

— Il n’y avait pas que Krys quand même ?

— Non, nous avons cherché aussi les immortels.

— C’est le terme immortel qui a été utilisé ?

— C’est celui qui a été utilisé par les ménestrels en tout cas. À la fin, nous avons acclamé les acteurs, les immortels, le général et tous les soldats. Les applaudissements ont duré longtemps. Ceux qui étaient applaudis ont été appelés à monter sur scène.

— Tous ?

— Les nobles ont envoyé quelques-uns des leurs. Les soldats, leurs officiers. La troupe de Krys aussi.

— Il y avait des femmes ?

— Oui. Cela m’a fait plaisir. » Elle regarda ses pieds. « Mais j’ai entendu des gens qui critiquaient leur présence.

— Alors ils m’ont critiquée aussi.

— Cela, je ne l’ai pas entendu.

— Il y a eu un discours ?

— Oui, le général d’abord. Il a beaucoup insisté sur la persévérance des soldats et sur l’efficacité des renforts. Il a invité ensuite quelqu’un de l’équipe de Krys à parler.

— Qui s’est présenté ?

— Au début, ils se sont regardés et Krys a proposé à Hector de prendre la parole. Il a dit quelque chose comme : « Lorsque nous sommes arrivés sur la colline, face au fort, nous étions les spectateurs d’une bataille qui n’était pas la nôtre et qui semblait perdue d’avance. Mais Krys, ici présent, croyait qu’il était encore possible de vous venir en aide. Nous avons eu le plus grand mal à le suivre. Nous venions juste de quitter le territoire galien, ce n’était pas pour nous faire massacrer à peine franchie la frontière ! Et puis, soudain, Krys est parti. Il a dévalé la pente au galop. Nous nous sommes regardés et finalement, nous avons suivi. »

Allie temporisa. J’eus juste le temps d’assimiler le fait que, si Krys avait passé plus de temps à persuader les siens, je serais morte. Cette idée me glaça le sang.

— Là, Hector a fait une pause, nous a regardé et s’est mis à se frotter les mains comme pour tenter d’ajouter quelque chose de difficile à exprimer : « Et je dois dire que maintenant… », et il a continué à jouer avec ses mains, il avait du mal à parler, « …je ne le regrette pas… ». Il s’est essuyé un œil, « …et j’en suis même reconnaissant à Krys… ». Il s’est tourné vers lui, « …sans cela, aujourd’hui, je ne pourrais plus me regarder en face… et cela sans doute… pour le restant de mes jours…. En ce moment… si vous voulez savoir ce que je ressens… une grande joie habite mon cœur… et j’aurais sans peine accepté de donner ma vie… afin de réussir à sauver et protéger… les habitants… de ce royaume… »

Allie s’essuya les yeux.

— Puis il a reculé. Krys lui a donné une tape sur l’épaule et les autres aussi. Moi j’ai pleuré et j’ai vu que d’autres aussi.

— Moi aussi, fis-je en m’essuyant le coin des yeux. Moi aussi. Tu racontes bien.

— Mais le pire, c’est quand ils se sont congratulés sur la scène comme pour se soutenir, se remercier et se dire : ce furent des moments difficiles. Les applaudissements ont repris.

Elle fit une pause. Pour ma part, je n’ajoutai rien, j’avais déjà du mal à retenir mes larmes.

— Puis Krys s’est avancé et a dit : « Hector vient de nous faire part de ses sentiments, et je dois dire qu’ils sont partagés. Vos ménestrels ont magnifiquement joué les faits marquants et c’est avec raison que vous les applaudissez. C’est dans la logique des choses qu’ils aient repris les moments forts, mais je veux insister sur le fait que les vrais héros de la soirée sont ceux qui étaient présents au plus dur des combats et sans lesquels rien n’aurait été possible : vos valeureux soldats et officiers. Ce qu’ils ont fait est incroyable. Ils ont tenu plusieurs jours sous les coups d’un ennemi bien plus puissant qu’eux. Ma troupe et moi les avons aidés sur le tard. Si vous voulez bien, je voudrais que vous scandiez le général Gauthier, ses officiers, ses soldats, tous ceux qui les ont rejoints et bien sûr, la princesse et les absents. Ils ont réalisé un travail gigantesque qui doit rester gravé dans la mémoire.

— Eh bien, il sait discourir ce monsieur, m’exclamai-je, impressionnée.

En plus du reste… ajoutai-je, rêveuse.

— Alors tout le monde s’est levé pour applaudir les soldats. Mais je crois qu’en fait on applaudissait notre joie.

— Ça s’est terminé comme ça ?

— Les ménestrels ont repris la parole. Ensuite il y a eu un moment de battement. Nous nous sommes restaurés. Je cherchais des yeux les immortels, mais n’osais les aborder. Puis la piste de danse s’est remplie de monde.

— Tu as dansé ?

— Pas longtemps, il fallait qu’Emma puisse profiter de la soirée.

— Ça m’a fait plaisir que tu me racontes tout cela. Je voulais que tu m’apportes le livre posé sur la table, mais maintenant je crois que je vais essayer de dormir encore un peu.

— Je vous l’apporte quand même. Bonne fin de nuit.

— Merci. Toi aussi. Repose-toi.

— Merci princesse. Je vais le faire.

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