Moi, Ragis, observateur - 2°partie

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Que se passe-t-il ? L’intrépide, pourtant victorieux, s’enfuit. Il détale ! Il rejoint sa monture au pas de course, saute sur son dos. Que… ? Non ! Il nous charge ! L’humain nous charge ! Il défie l’armée entière !

Une gigantesque clameur s’élève de nos rangs. Le cavalier, flamboyant de courage, formidable dans son allure, tient une javeline dans la main ! « Tirez ! hurle un officier ». Nous reste-t-il des archers compétents ? L’humain est à quinze pas. L’Oupale, proche des rangs arrière, réalise soudain. Il fuit ! Le cavalier brandit son arme. D’un jet puissant, la lance de jet survole notre formation. Touché dans le bas du dos, notre seigneur brame. L’assaillant décrit une boucle devant nous. Quelques flèches volètent autour du cavalier. Sans l’atteindre.

— Regardez !

Le tumulte cesse brutalement dans nos rangs. L’armée ennemie s’étend non loin de nous. Au complet. Focalisés sur le combat, beaucoup avaient manqué sa lente avancée. Tant que les humains gardaient leurs distances, nos officiers ne voyaient qu’avantages à ce qu’ils quittent leur position.

Sans protection, peu nombreux, il sera aisé d’en terminer. Sûr de lui, un Morcan se positionne et nous harangue.

— Chacun à sa place. Notre seigneur va bien, il conserve le commandement.

Je me concentre sur ma mission. Tout à l’heure, l’humain a laissé la vie au Morcan. Un leurre ! C’était un leurre. Loin de chercher à nous impressionner, son but consistait à attirer l’Oupale dans un piège. Il était la cible ! Piqué de curiosité, notre seigneur a été atteint, mais n’est pas mort. Nous ne fuyons pas. L’armée humaine a quitté son repère et la voilà désormais à découvert.

Comme nous, les humains sont alignés. Une ligne de défense fragile. S’ils tentent de nous tenir tête, à un contre cinq, ils ne tiendront pas. S’ils fuient, nous suivrons de près. Avant qu’ils ne reprennent place derrière les ruines, nous en auront abattu des centaines. Ils sont perdus.

L’officier est de retour. « Voyez combien l’ennemi est apeuré. Il ne peut nous échapper. Préparez-vous au combat. » Les humains semblent désorientés. Leurs rangs vacillent. Tour à tour, ils évaluent la distance qui les sépare du fort. Le géant galonné donne le signal de l’assaut. Nous nous élançons en hurlant.

Les rangs humains se désagrègent. C’est la déroute.

Nous courons à toutes jambes. Nous rattrapons l’ennemi. La promesse d’une victoire facile nous donne des ailes. Les risques fous pris pour tenter de l’emporter à peu de frais se retournent contre eux. Les Morcans donnent le rythme. Chacun crache ses poumons. L’ennemi est tout près. Je me positionne en quatrième ligne pour observer. Mais… Ils ont disparu ! Notre première ligne s’écroule ! Comme par magie, l’ennemi, accroupi, réapparaît devant nous ! Il nous fait face ! Ils tirent ! Notre seconde ligne s’affale. La troisième rencontre les fantassins qui se redressent. Leurs archers, derrière eux, tirent à nouveau. Je trébuche sur le corps de mes camarades. Les humains se replient.

Les Morcans vocifèrent. Nous reprenons la poursuite. Je laisse passer trois lignes de combat. J’en ai le droit. Nous rattrapons les humains. À distance équivalente, l’horrible scénario se répète ! Ils disparaissent de ma vue ! Notre première ligne se dissout ! La seconde se retrouve criblée de flèches ! La troisième affronte les fantassins mais s’écroule sous les pointes hérissées. Je manque de trébucher. Les humains fuient. Affolés, nous reprenons la poursuite dans le plus grand désordre. Ils atteignent le fort.

Consternation ! Ils n’y pénètrent pas !

Nous dérivons comme des aveugles de piège en piège ! Chacun d’entre eux nous soumet à un lourd tribut. En pleine confusion, les officiers ordonnent de reformer nos rangs, laissant la possibilité à nos adversaires de prendre position face à nous. Que préparent-ils encore ? Les Morcans se consultent, inquiets.

Je dois me reprendre ! Analyser les événements un par un. C’est mon rôle. Ma vie, peut-être… Je m’en retourne et me fraye un passage entre les camarades. Je franchis notre dernière ligne.

Et je vois !

Quel carnage ! Combien de nos camarades sont tombés ?

Deux bandes de corps enchevêtrées gisent aux endroits où l’ennemi nous a surpris. Beaucoup sont encore en vie, si tant est qu’ils supportent le poids de leurs camarades. Les premiers tombés s’extraient de la masse avec difficulté, leurs cris de souffrance se mêlent jusqu’à imiter les chants funèbres. Le visage émacié, les pieds en sang, ils rampent pour s’éloigner des corps.

Ignorant leurs appels de détresse, je m’approche et inspecte le sol. Je tends la main pour dégager une terre mêlée du sang des nôtres et la retire aussitôt, foudroyé par la douleur. Une lame tranchante, plantée dans le sol, a entaillé mon doigt. C’était donc ça… Les humains ont semé à cet endroit des bris de métal aiguisés qui ont décimé notre première ligne.

Leur stratégie m’apparait clairement désormais. Un long saut pour éviter la zone de danger. Une position basse, ils se retournent pendant que notre première ligne chancelle. Leurs archers déciment la seconde. Leurs fantassins stoppent la troisième. Une tactique réitérée pour réduire notre nombre. Je dois calculer nos pertes et en informer le commandement.

Un millier de combattants à terre, le Morcan peine à accepter mon rapport. Il consulte ses pairs. Du côté des forces en présence, rien n’a bougé. Les humains sont dos aux ruines. Ils nous attendent. À cette distance, ils pourraient nous cribler de flèches. Ils n’en font rien. Ils ne bronchent pas. Nos chefs redoutent un nouveau piège.

J’observe ces derniers. Ils sont inquiets. Nous ne pouvons plus nous permettre de perdre autant de combattants dès les premières minutes de l’assaut. L’objectif de la capitale s’éloignerait. Avoir levé une si grande armée pour se contenter d’un minuscule fortin ? Les Morcans vont certainement en référer à l’Oupale.

J’ai vu juste. Ils tancent un courrier. L’Oupale est retourné sur la colline, pansant sa blessure. Nous attendons les ordres. Je jette un œil sur les humains. Ils ne semblent pas nous craindre. Ils le devraient. Mais ils devraient aussi se trouver derrière les gravats. Que nous préparent-ils encore ? Nous sommes les plus nombreux et pourtant, sur la défensive.

Le courrier est de retour après un temps interminable. Quelqu’un me donne un coup à l’épaule. Les Morcans m’appellent. Mon avis compte. Arrivé près d’eux, ils me demandent si j’ai remarqué un nouveau piège. « Rien ne me paraît suspect, répondis-je. La terre entre nous et nos ennemis ne devrait pas s’ouvrir. S’ils avaient désiré que nous nous précipitions vers eux pour que nous tombions dans un piège, ils nous cribleraient de flèches. Ils ne le font pas. »

Le chef Morcan acquiesce. Il ordonne de nous préparer. L’ennemi s’y attend. Le signal est donné. Nous chargeons ! La distance est rapidement couverte. Notre première ligne se jette sur les humains. L’angoisse disparaît, rien de fâcheux ne s’est produit sur le trajet. Les épées s’entrechoquent. Les flèches fendent l’air. Curieusement, soulagés, nous nous retrouvons dans notre élément.

J’observe. Parmi les fantassins, deux types d’armures, d’armes et de boucliers coexistent. Ceux que nous combattons depuis plusieurs jours et leurs renforts, venus d’on ne sait où. Ces derniers sont minoritaires. J’en dénombre quarante. Une moitié armée de haches, l’autre d’épées. Étonnamment, aucun ne possède de bouclier. Munis d’une arme dans chaque main, ils forment un bloc au centre de la formation. En leur milieu, je découvre un troisième type d’armure. Ils sont quatre à la porter. Quatre ? Serait-ce ceux que je cherche ? Je me rapproche. Au vu de leur réputation, je prends soin de me baisser. Il se dit que ceux qui ont croisé leur regard n’en sont pas revenus ! Mais… Il me faut reculer ! Les soldats qui me précèdent sont à terre ! Déjà !

Me voilà à quinze bons pas des Quatre. Sont-ils ceux qui ont défendu la brèche ? Si tel est le cas, il me faut en rendre compte. Le piège ne pourra se refermer que lorsqu’ils seront identifiés. Je reconnais une des silhouettes. C’est celui qui a blessé l’Oupale. Affaire est faite !

Un autre élément attire mon attention. Les quarante guerriers m’interpellent. Ils sont plus incisifs que leurs confrères. Et que les nôtres. Ceux qui sont munis de haches sont les plus rapides. Un premier coup endommage le bouclier de leur ennemi et il leur suffit d’un ou plusieurs coups supplémentaires pour le tuer. Je me demande comment ils survivent en absence de bouclier. Une tactique étonnante. Quant aux archers situés derrière eux, ils sont encore plus surprenants. Ils se déplacent de droite et de gauche de quelques pouces, se baissent et se relèvent. Cherchent-ils une faille ? Dès que l’un des nôtres se découvre, ils tirent ! Ils ne protègent pas seulement le fantassin situé juste devant eux mais trois ou quatre guerriers de chaque côté. Ils identifient celui qui est le plus en difficulté, attendent une faille dans la défense de son adversaire et l’abattent. Serait-ce la raison pour laquelle nous tombons si rapidement ? Serait-ce pourquoi nous avons reculé hier ? Je note. Un point sans doute déterminant.

Plus loin, les nôtres lancent un cri de guerre, entament les lignes ennemis. Une trouée, c’est ce qu’il nous faut. Des ordres sont lancés, suivi de grognements. Des aboiements sourds me parviennent alors, terrifiants. De différents endroits, des chiens de guerre surgissent, sautant au visage des fantassins en contact. Plusieurs s’écroulent, pendant que les terribles bêtes se voient secondés par les humains qui récupèrent le terrain perdu.

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