La troupe - 3° partie

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Un moment de liesse à la hauteur du défi, proportionnel à la surprise de cette victoire soudaine, prit possession de la troupe. Pourquoi avait-elle hésité à suivre Krys ? se demanda Servane. Non loin d’elle, Tamara et Olga se félicitaient. Toutes deux anciennes danseuses pour le compte du gouverneur, elles avaient contribué à former un groupe uni autour d’un objectif commun : survivre, le plus longtemps possible, avec pour point de mire la Terre des Hommes.

Le danger aurait pu les diviser une fois de plus, mais l’inverse se produisit.

— Je me trompe ou nous venons de réduire en poussière une troupe deux fois plus nombreuse que nous ? s’étonna Olga, alors que chacun récupérait ses flèches.

— Sans perte ni blessés, précisa Tamara.

Thomas, qui participait à la récolte des projectiles, fanfaronna.

— Un maximum d’archers, protégés par une ligne de défense invincible, c’est notre stratégie.

— Une ligne de défense qui se tourne les pouces tellement nous sommes précis, ironisa Olga.

— J’ai entendu siffler très près des oreilles, se plaignit Hector. J’ai failli m’en prendre une.

Il y avait tout de même quelques blessés. Plaies et contusions superficielles, conclurent les soignantes. Servane ne disait mot, elle écoutait. Devait-elle se reprocher ses hésitations ? Noah, Jules, tous ceux qui avaient hésité à les suivre, se congratulaient. Les armes, les cuirasses, la stratégie, tout ce que le groupe avait construit petit à petit, s’était avéré terriblement efficace.

Le plan lui semblait si évident après coup. Seules deux ou trois flèches par tireur suffisaient pour remporter la victoire. Comment avait-elle pu douter ? Les cuirasses ennemies n'étaient pas à niveau, lui avait-on martelé. Elle ne l'avait pas cru. Les Galiens étaient tombés dans un piège, purement et simplement.

Leur meneur ne s’était pas trompé. Pour l’heure, au milieu de ses compagnons, il observait la colline.

Alors qu’ils se trouvaient dispersés en contrebas de la butte, Krys les harangua : « Vous avez été témoins de la facilité avec laquelle nous nous sommes débarrassés de nos ennemis. Prenez confiance dans vos armes et vos capacités. Unis et organisés, rien ne peut nous atteindre. » Son regard se perdit au loin. « Profitons-en pour détruire ces maudits trébuchets. »

Cette fois, Servane le savait, nul ne le contredirait.

.oOo.

Ils eurent tôt fait de rejoindre la colline où siégeaient trois de ces engins de mort. L’ennemi avait assisté à la perte de sa cavalerie et tenait la crète. D’abord criblés de flèches, les Galiens reculèrent trop tard, leurs lignes enfoncées par les cavaliers lourds. Débordés et inférieurs en nombre, ils se sauvèrent.

C’est alors que l’horizon apparut aux esclaves en fuite. L’espoir guida un instant leurs regards plus encore que la réalité. Devant eux, un paysage vallonné, couvert de forêts, d’une beauté à couper le souffle, s’étendait à perte de vue. À leurs pieds, la plaine menait vers ces terres au travers d’un mince passage. Voici ce qu’on appelle l’Isthme de Bladel, se dit Servane. La frontière, une ligne imaginaire au milieu de ce pont naturel profond et large de cent pas, recouverte et défendue par un fort, leur tendait les bras. La Terre des Hommes à portée de cheval.

Rapidement, l’attention se reporta sur la réalité du terrain. Ladite frontière était convoitée. Des milliers de Galiens en arme, massés devant des fortifications délabrées, leur barraient la route.

— Moi qui m’attendais à découvrir des dizaines de villageoises en fleurs, prêtes à fêter mon arrivée… se surprit à dire Markus. Au lieu de cela, des arbres, des ruines, et… nos ennemis !

— Le fort est en piteux état, remarqua Thomas. La situation semble désespérée.

— Combien sont-ils ? demanda Jules.

— Approximativement, un bon millier d’humains face à… six à huit mille Galiens, estima Krys. En occupant cette colline, nous avons tellement surpris l’armée ennemie qu’elle a maintenant les yeux rivés sur nous. Regardez-les ! Ils ne croient pas ce qu’ils voient ! Sans le vouloir, nous avons offert un moment de répit aux défenseurs.

— À les voir gesticuler comme ça, on dirait qu’ils craignent d’être pris en tenaille, ricana Markus.

— Ils cherchent à évaluer combien nous sommes, surenchérit Thomas. Se débarrasser à cette allure de leur cavalerie et leurs artilleurs n’est pas donné à tout le monde. Ils doivent imaginer que nous sommes plus de mille.

Les défenseurs de la colline, une centaine de fantassins et artilleurs, couraient rejoindre les leurs. Plus loin encore, l’armée galienne se remettait du choc.

— Ces trébuchets ont gravement endommagé la façade sud du fort, s’exclama Krys. Enflammons-les !

Pendant que plusieurs se constituaient des mèches enflammées, d’autres retournaient sur la crète pour mieux embrasser le paysage, discerner des routes ou de minces passages, évaluer le meilleur endroit pour traverser. La plupart, cependant, demeuraient proches de Krys, atterrés par ce qui se présentaient à eux.

— Observez ces ruines, fit remarquer Krys, elles ralentissent encore l’envahisseur. La muraille n’est vraiment percée qu’en un seul endroit. Avec une aide efficace, ils peuvent tenir.

Servane tourna la tête vers lui. Il ne pouvait pas s’en empêcher. Sans cesse en train d’évaluer les possibilités, les chances, les risques. Depuis leur départ, il y a quelques jours, tout était question d’observations et d’estimation du danger. Cependant, elle devait bien reconnaître que la raison se trouvait généralement de son côté. Ses évaluations effrayaient plus qu’elles ne rassuraient, mais elles avaient amené le groupe juste devant l’objectif.

— N’y pense même pas ! protesta Noah. Cette fois, le risque est trop grand.

— Nous ne sommes qu’un tout petit nombre, s’inquiéta Jules. On ne va pas changer le cours de cette guerre à nous seuls !

Nul besoin de chercher à estimer la détermination générale. Peu enclins à s’enfermer dans un nouveau piège, ils ne désiraient pas s’impliquer davantage.

Noah fit remarquer, comme une évidence :

— Il y a neuf autres royaumes plus au nord.

— Sauf que celui-ci est un passage obligé, ne l’oublie pas. Il protège tous les autres.

D’après les plans dessinés par Noah, Andalore, le pays qui leur faisait face s’étendait rapidement d’est en ouest pour atteindre la presque totalité de la largeur de l’île. Cette caractéristique faisait de lui le plus grand royaume encore en possession des humains. Trois territoires bordaient sa frontière nord. Si les Galiens l’emportaient, la confiance des humains en leur avenir fléchirait.

Krys se retourna pour s’adresser à la troupe.

— Écoutez tous. Le chef Morcan va interroger les défenseurs de la colline qui leur décriront nos exploits. Nous allons confirmer leurs dires en gravant le doute en eux. Nous sommes mobiles et ils ne le sont plus. Il s’agit donc d’un risque calculé. Ainsi, nous pourrons venir en aide à cette armée. Si nous ne le faisons pas, ils sont perdus. Je ne demande à personne de se battre pour une cause perdue d’avance, au péril de sa vie. Nous y allons et, tant que nous le pouvons, nous leur apportons notre aide. Dans tous les cas, si nous ne pouvons pas l’empêcher, nous partirons avant la fin. Me suivez-vous ?

Le crépitement des flammes et la fumée noire dégagée par l’enduit des poutres nimbait d’une aura dramatique les paroles de leur meneur. Une centaine d’entre eux opina de la tête. Krys n’obtint pas un oui massif, mais plutôt une motion de confiance. Il avait prononcé les mots qu’il fallait pour rassurer la troupe. Cela lui suffit. Il en profita pour expliquer son plan.

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