Alina - 2.2

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Et pour faire suite à ses mots, la Baronne, se levant, ouvrit le tiroir qui prenait place sous la table. Dans cet espace restreint se tenaient les affaires d’étude de Lucan. Des cartes en tout genre cohabitaient ainsi dans ce compartiment avec des livres, encriers et autres fournitures de travail.

Farfouillant dans ces affaires, Alina ressortit un grand atlas et enlevant la petite corde qui la liait, elle la déroula sur la table. Les bords cornés et entaillés témoignaient de la longue existence du document. Les écrits et dessins qui l’occupaient, qui couraient sur le papier, avaient perdu de leurs couleurs jadis claires et visibles.

Lucan amenna des objets qui traînaient çà et là, il aida Alina à maintenir la carte ouverte et ceci faits, la rejoignit lorsqu’elle reprit place sur sa chaise. Il saisit la main de sa mère et le jeune homme s'installa sur ses genoux pour observer l'atlas.

Ce contact rapproché semblait lui plaire, il était de suite plus concentré. Sentant cela, la Baronne reprit le cours de ses explications. Tenant de son bras gauche son fils, Alina commença à utiliser son autre main pour allier à ses paroles des gestes. Propos qu’elle donna à voix basse à côté de son enfant.

— Comme tu le vois, cet atlas est grand.

— Presque gigantesque !

— C’est là notre monde, ou plutôt la terre encore employable depuis la chute d’antan.

— Et ça, formula Lucan en pointant le centre des dessins. C’est chez nous.

— Oui, fit Alina en souriant. C’est la cité nation d’Aldius, chez nous… La carte a été faite par l’Empire et c'est pour cela que la ville est au cœur de cette dernière, qu’Aldius y siège à la meilleure place.

— Et tous ces points ?

— Les colonies d’Aldius. Imagine que l’Empire est un corps, la cité nation est le cœur et ses dominions sont les organes qui gravitent autour. Les parties secondaires sans qui le tout ne pourrait fonctionner.

— Sur le dessin, on dirait des étoiles… Comme celles dans le ciel, dit Lucan songeur.

— C’est une vision des choses, lui répondit Alina en rigolant légèrement. Moins explicite et plus terre-à-terre que ma comparaison, mais elle se tient.

Tout sourire, le petit garçon reprit :

— Du coup, c'est comme une planète au milieu des astres.

— Voilà.

— Et pourquoi la carte est divisée en quatre si c’est un ciel... euh… un corps.

— Car comme dans toute chose, il faut de l’organisation. L’Empire a ainsi découpé son territoire en quatre pour mieux le gérer. Un gouverneur par région s’occupe d’administrer ses colonies en référant directement au parlement, au palais.

— Référent !?

— Comme je pourrais dire ça… en répondant, en servant personnellement les plus influents décideurs de notre nation.

— Mais du coup s’il y a quatre provinces pourquoi il y a des taches noires vers le nord ?

Observant les grands points sombres que lui montrait Lucan sur l’Atlas, Alina reprit.

— C’est les sécessionnistes, les rebelles si tu préfères.

— Oui ! s'exclama le jeune garçon. Tu m’en avais parlé il y a quelques jours.

— Voilà, mais on dirait qu’un petit rafraîchissement s’impose tout de même ! Ces colonies « brûler » sur la carte étaient autrefois des possessions de la région nord. Mais ils ont quitté la lumière de notre saint Empereur.

— Ils lui ont désobéi alors !?

— Oui en quelque sorte.

— C'est mal de transgresser l'ordre des choses.

— Tout à fait, fit la Baronne d’un ton moins solennel. Ils se sont fourvoyés et ils nous ont attaqué, nous, leurs anciens frères et sœurs. Et le spectre de la guerre a de nouveau étreint notre monde. Depuis maintenant des siècles, ces rebelles de leur « Union » autoproclamée luttent contre notre armée.

— Tu étais triste l’autre jour, tu m’as dit que c'était à cause du départ de quelqu’un ?

— Oui, quelqu’un de très proche. Ton propre père y a d'ailleurs été en son temps.

— Si c'est si mal pourquoi y aller ?

— Je n’ai pas déclaré cela à mon fils, mais la guerre est une ultime solution. Ce n’est jamais bon de voir quelqu’un partir même si cela est important.

— Important ?

— Oui, c'est… un devoir. Une obligation envers l’Empire, ses proches, le mode de vie que ces « rebelles » cherchent à renverser. Notre manière d'exister.

— Hum…

— Tu ne sembles pas convaincue.

— Je trouve ça difficile à imaginer.

— Avec le temps, tu comprendras, apercevant la réaction peu enjouée de Lucan elle finit. Ou pas !

Le reste des leçons se passèrent bien, les minutes devinrent des heures et les heures s'écoulèrent rapidement. L’unique pause accordée au jeune Lucan fut un bref encas qu’il prit à seize heures, nourriture que sa mère alla récupérer en personne avant de lui dispenser le reste de ses cours. Et parmi les explications de la Baronne seul le bruit d’un aéronef chamboula la studieuse journée.

Entendant ce bruit, Lucan bondit de sa place et courut jusqu’à la fenêtre. Scotchant presque son visage contre cette dernière, il observait un dirigeable. L’appareil survolait le domaine avant de disparaître dans les nuages qui dominaient la cité nation.

Il devait s’agir de celui vu le matin même par la Baronne. S’il décollait, c'était que la journée s’approchait de son terme et Alina allait rappeler son fils quand il se retourna vers elle.

— Il vole, il VOLE ! fit-il tout excité.

Lucan observa sa mère hocher de la tête et continua.

— J’aimerais tellement voler moi aussi. Volez, volez et volez, fit il en courant dans la chambre les bras tendus pour imiter un avion.

— Attention, Lucan, je t’ai déjà dit de ne pas t’agiter autant.

Mettant fin à sa cavalcade et à ses rêves, il se retourna en un instant.

— MAIS POURQUOI, pourquoi j’adorerais sortir !

— Tu es ici pour ton bien.

— TU NE ME LAISSES RIEN FAIRE. Je travaille, travaille et étudie toujours et encore. Tu dis que tu m’emmèneras dehors, mais tu MENS !

— Lucan ! lui répondit la Baronne alors que son fils pour donner sens à ses émotions renversa l’un des livres de la table.

Et la chose qu’Alina redoutait le plus arriva.

Lucan, transit de colère, debout dans la chambre du haut de sa petite taille, toussa en semblant sentir de la douleur. Tandis que les veines qui couraient sur ses mains tournaient au noir vif, une quinte de toux le secoua violemment.

Se recroquevillant sur lui-même, il lâcha alors prise et tandis qu’il allait tomber au sol fut rattrapé in extremis par Alina. Cette dernière se saisit de son fils et le porta bien vite jusqu’au lit de la pièce.

Son jeune visage innocent était déformé par la douleur et ses veines étaient si sombres et apparentes. Alina laissa son enfant et courut jusqu’au buffet où elle avait abandonné sa bouilloire. La Baronne sortit une allumette du paquet qui prenait place non loin, la craqua, et activa le mécanisme d’un petit réchaud. Alina contrôla la flamme qui naquit grâce à la molette qu'elle réglait.

Ceci fait, elle posa le contenant en fonte et extirpa le sachet qu’elle avait porté dans l’une de ses poches depuis la fin de la matinée. Dénouant le lacet qui terminait ce minuscule contenant de cuir, elle déversa les plantes.

L’eau au paravent claire et limpide qui commençait à bouillir devint bien vite d'une autre couleur. Les extraits de végétaux brunâtres firent adopter une nuance noirâtre à l’eau. Laissant la chaleur continuer à monter, Alina regarda alors son fils qui souffrait toujours en prenant une teinte bien pâle. Mordillant ses lèvres, la Baronne attendit le temps nécessaire pour que sa préparation soit prête. Alina connaissait bien le procédé pour l’avoir déjà utilisé de trop nombreuses fois et elle ne pouvait se permettre de disposer du breuvage si les plantes n’avaient pas infusé correctement.

L’instant semblant interminable et la tête d’Alina fit des va-et-vient entre son fils et la bouilloire sur le réchaud. Et lorsque la température tant attendue fut atteinte, la Baronne saisit pour verser son contenu.

Elle s'équipas au passage d'une sorte de petite passoire. Elle fit ensuite couler le liquide dans une tasse en récupérant les extraits de végétaux. S’activant aussi rapidement qu’elle le pouvait, Alina rejoignit son garçon le plus vite possible. Elle prit place sur le bord du lit et l’aida à prendre une position plus assise.

Son visage presque de craie était parcouru par les mêmes veines noires que ses bras. Alina s'econda comme elle put Lucan pour le permettre de boire.

Lucan qui semblait écœuré après seulement quelque première courte gorgée fut rappelé à continuer par la Baronne. Non sans douleur pour elle. Non, par pur détachement, car son regard triste accompagnait son fils durant cette épreuve. Et lorsqu’il eut terminé le contenu de la tasse, sa crise parut s’apaiser.

La Baronne observa à nouveau Lucan, elle pouvait voir les veines, autrefois apparentes et noires, s’estomper sur la peau du jeune homme pour regagner leurs états originels. Lentement, mais sûrement. La toux, quant à elle, laissa bientôt place au calme et Lucan laissa des larmes couler sur ses joues se retenant tant bien que mal de pleurer.

Ne perdant pas de temps, Alina le serra contre elle pour le consoler.

Chut..fit elle chut… en le berçant dans ses bras. Tu voudrais une chanson ?

Oui fit le garçon en s’exprimant d’un signe de tête et la Baronne commença à voix basse.


Terre de brumes et terre de mystères

Terre de l’ours et terre de l’aigle

Tu nous as fait naître et bénis

Terre dont l’appel berce nos nuits


Nous rentrerons par-delà les forêts

Nous rentrerons, nous rentrerons

Nous rentrerons par-delà les forêts

Nous rentrerons, nous rentrerons


Terre qui nous a donné espoir et souvenirs

Écoute notre chant, entend notre désir

Nous rentrerons par-delà les montagnes

Nous rentrerons, nous rentrerons


Au fur et à mesure du chant d’Alina, Lucan semblait s’apaiser et quand elle eut terminé ce dernier, son fils était à présent calme. Presque endormi et bercé par la chanson que venait d’entonner sa mère.

Passant ses doigts sur la chevelure marron du jeune homme, Alina reprit la parole.

— Tu dois maîtriser tes émotions ou c'est elles qui te contrôlent Lucan.

— Je sais…

— Alors applique mes conseils, tu as un grand pouvoir. Mais ce pouvoir est aussi un fardeau que tu te dois de porter. Le monde extérieur est dangereux, les gens ne sont pas tous bons, loin de là et il y a certains qui convoitent les puissances qui sommeillent en toi.

— Mais tu me protèges.

— Oui, Lucan. Je suis là et ton père également.

Pour le temps que ça durera…

Alors que le jeune homme était secoué par une petite quinte de toux, Alina le réconforta, resta auprès de lui de longues minutes jusqu’à ce que l’enfant s’endorme.

Jusqu’au jour où les rôles s’inverseront.

Posant la tête de son fils sur l’oreiller du lit, la Baronne tira délicatement les draps pour le border. Ceci fait, elle rassembla ses affaires et ouvrit la porte pour quitter la chambre. Avant de la refermer, elle regarda une dernière fois le visage de Lucan assoupi dans ses draps. Elle sourit et le laissa seul pour reprendre des forces.

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