Alek - 4.2

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Après une interminable descente dans les sombres sous-sols, les escaliers firent place à un changement d’atmosphère. Presque insondable au début, cela se fit progressivement avec la lumière ambiante qui vira du noir orangé à une couleur plus pure. La teinte environnante s’approchait ainsi du blanc.

S’arrêtant en face d’une porte d’acier d’où cette lumière semblait émaner par le bas, Alek l’ouvrit et au contact du pommeau froid, il sentit comme une petite chair de poule le prendre. En plus du froid qu’il ressentit avec la poignée, il se souvint bien vite de la réputation des lieux. Cet endroit avait de quoi rendre les gens pensifs. Qu’ils soient arcanistes ou normaux, c’était la salle des bassins.

Enfin c'est comme ça que l’appelaient les magisters du collège. Les servants devaient bien sûr avoir le nom originel, mais ce dernier, sûrement long et rébarbatif, s’était perdu au profit de « l’argot » des occupants du collège.

La lumière qui avait furtivement dépassé depuis le bas de la porte enveloppa bientôt Alek lorsqu’il l’ouvrit totalement pour entrer. La salle des bassins était une vaste pièce au plafond élevé. Un carrelage tout aussi blanc que la couleur ambiante recouvrait le sol. Çà et là, quelques dalles avaient dû être cassées ou enlevées, témoignant ainsi de l'ancienneté de l’endroit. Respirant la porte grande ouverte, Alek émit un petit nuage de buée, si la nuance des lieux était pâle ce n’était pas pour rien, le froid environnant était vif et perçant.

En observant la salle avec plus d’attention, la teinte ne fut pas la seule chose qui se dévoila au magister, quelque chose semblait vouloir se révéler à lui. Quelque chose qu’il ressentait et après chaque clignement de paupière, il voyait une autre couleur. Une sorte de flash violet qui apparaissait furtivement et disparaissait tout aussi rapidement qu’il avait surgi.

Secouant la tête, Alek reprit ses esprits et bientôt n'apercut plus ces taches mauves qui s’étaient évanouies face à sa vision redevenue claire et limpide. Il n'appréciait plus que la pièce d’un blanc pur qui l’entourait. La salle des bassins n’était pas un titre donné par hasard au lieu. Parmi le sol recouvert de carrelage, des sortes de cuves, de petits espaces dégagés qui occupaient le large endroit, et ce, à intervalles réguliers.

Salué par des servants qui passaient à côté de lui, les mains chargées de tissus ou des seaux de glaces, Alek s’approcha du premier bassin qu’il rencontra en marchant autour d'eux. Ce premier espace, vide, avait la place de contenir une personne, quelle que soit sa taille. Avançant un peu plus, il vit cette fois l'une de ces cuves rempli.

Une matière blanche granuleuse recouvrait la sorte de glace ou toute autre substance que cet espace devait avoir. La fine couche de surface brouillait ainsi la vision du bassin et seule une forme noire, indistincte, était perceptible derrière.

Ces espaces et leurs hôtes étaient comme des tableaux reposés là au sol. Des toiles d’un blanc froid opaque d’où seules ressortaient les silhouettes sombres des arcanistes qui s'y tenaient, qui étaient en suspens juste en dessous.

Avançant de bassin en bassin, de tableau en tableau, le magister s’arrêta. Non qu’un détail l’ait attiré ou qu’il ait reconnu l’occupant par sa forme derrière le voile impénétrable. Mais c’était une sensation bien particulière qui le fit se stopper.

Les arcanistes avaient une sorte d’aura, c’est ce que chaque magister apprenait durant ses classes. Mais plus encore, c’était le lien que chaque équipier tissait au fil des années qui créait un contact invisible, mais pourtant bien réel entre eux. Après tout, leurs esprits se rencontraient lorsqu’ils allaient dans le palais de pensées de chacun.

C’était ce lien si spécial qu’Alek avait ressenti au détour du bassin face à lui, une sensation d’attirance bien coutumière qui le fit s’arrêter. S’agenouillant sur le sol, le magister passa sa main gantée sur la surface granuleuse. Par ce geste, il enleva la couche qui cachait l’occupant, ou plutôt l’occupante de cette chrysalide de glace.

Le visage endormi et figé d'Amicia se dévoila à lui. Il affichait des traits reposés comme en stase dans cette dense glace protectrice. Tandis qu’Alek regardait sa partenaire en une sorte d’hypnotique intérêt, il fut rappelé au réel lorsqu’il entendit un sifflement.

C’était un air musical, chanté, qui se rapprochait de lui. Se relevant du bord du bassin, il scruta l’arrivant. La personne âgée et chauve qui s'approchait de lui arborait de petites lunettes métalliques et rondes. Sa longue blouse et les documents qu’il tenait dans la main informaient à eux seuls de sa fonction. Du docteur qu’Alek connaissait bien.

— Ha… magister, je dirais sans trop m’avancer que votre venue était prévisible, commença l’homme en se grattant le cuir chevelu pendant qu'il observait la cuve. Je sais que vous aimez vous nourrir de mon expertise, mais le rythme de vos visites se fait important ces derniers temps. Pour tous les deux, finit-il en montrant d’un signe de tête Amicia.

— Toujours aussi grognon Zegeur, vous ne vous arrangez pas avec l’âge.

— On peut en dire autant de vous…

— Touché... dit Alek en souriant. Votre humour caustique ne m’avait pas manqué.

— Et vous c'est votre présence dont j'adorerais me languir, je conçois que les magisters font un métier dangereux, que vous faites une profession périlleuse Alek. Mais votre jeunesse ne vous met pas à l’abri de vos négligences et surtout ne les excuse pas. Je présume qu’Amicia s’est retrouvé dans cet état par votre faute.

Acquiesçant la tête sans avoir de défense à opposer aux dires du vieux docteur, le magister continua.

— Nous avons un interrogatoire à faire, il serait temps de la ramener.

Faisant signe aux servants des lieux, Zegeur leur montra le bassin face aux deux hommes.

Cinq d’entre eux se mirent alors à l’œuvre et brisèrent les couches de glace qui retenaient Amicia. Sous le regard de leur supérieur et du jeune arcaniste à mesure que leurs pics frappaient la substance qui emprisonnait l’occupante de la cuve.

— Je vous préviens juste, elle est allée encore plus loin que la dernière fois. D’où la raison qui fait que j’ai attendu l’ultime moment pour la sortir. Elle sera un peu groggy, donc faites attention. J’ai dû avoir la main lourde pour la remettre sur pied en un temps si restreint.

Le docteur intelligent et expérimenté n’était pas passé à côté du regard distant du jeune magister qui observait son équipière. Certains auraient imputé ça à la situation actuelle d’Amicia, mais Zegeur était l’un des tout grands spécialistes du collège. Si ce n’est le meilleur et il reprit :

— Qu’est-ce qui vous tracasse Devràn ?

— Vous vous rappelez cette couleur, cette lumière que je vois ?

— Vos flashes de couleur violette ?

— Oui, je l’ai encore vue en entrant ici…

— Intéressant, commença Zegeur en scrutant Alek plus attentivement. Troublant, je dirais. Je vous l’ai déjà dit même aujourd’hui que nous ne savons pas tout de vos pouvoirs, l’arcanisme est bien obscur malgré notre étude poussée et continue de la chose. Approchez-vous, finit-il.

Zegeur observait les yeux du magister avec son regard perçant à travers les verres de ses lunettes rondes.

— Alors ?

— Des traces violettes dans vos vaisseaux sanguins, conclut-il en relevant lesdites lunettes. C’est là, la couleur que prend l’essence de l’arcanisme, mais je dois dire que j’ai rarement vu cela se manifester dans la vision oculaire de ses pratiquants. Faites attention avec ça.

— J’essayerais.

Tandis que les deux hommes continuaient de converser, les servants des bassins avaient libéré Amicia de son cocon de glace en brisant la matière au-dessus de son corps. Observant sa montre à gousset, le docteur se retourna alors à nouveau vers Alek.

— C’est quand même utile d’avoir quelqu’un avec vos pouvoirs mentaux, je peux déléguer le travail et les patients se réveillent avec moins de traumatismes. Bon, je vous laisse à vos œuvres, fit Zegeur en saluant le magister. Faites comme je vous ai appris, Devràn !

— Docteur, répondit Alek en rendant sa faveur à l’homme qui partait d’un pas rapide.

Malgré son ton et ses manières directes, Zegeur était le plus savant des membres du collège. L’art ancestral qu’est l’arcanisme était encore bien mystérieux en dépit de son utilisation toujours plus croissante. La plupart des servants de Vilaniùme étaient de simples copistes qui répétaient les enseignements des érudits et génies du passé qui avaient dompté cet art surnaturel. Enfin, tous sauf Zegeur.

Les aides relevèrent Amicia de son lit de glace et la posèrent sur une civière qu’ils avaient rapportée entre-temps. Même, libérer de son cocon, sa peau arborait encore une couleur pâle et laiteuse. Par respect Alek se détourna et attendit que les servants finissent de préparer Amicia à son réveil. Ils la recouvrirent de linges avant de quitter l’endroit en saluant qui les fixait de son regard impérieux.

S’approchant de sa coéquipière avant de s’accroupir vers son nouveau lit de toile, il observa son visage qui dépassait des tissus bruns à présent bien mouillés. Amicia avait une mine bien blafarde, presque effrayante et vide si on s'y attardait. Mais Alek connaissait l’état dans lequel elle était. Il était déjà passé par là. Cela pouvait s’apparenter à l’aspect du corps d’un défunt, mais il était tout autre. C’était plus un stade temporaire qui permettait une renaissance de la personne et de ses pouvoirs.

Défaisant le gant de sa main droite, il la posa sur le visage froid d’Amicia avant de glisser sur son cou. Fermant les yeux, il se concentra, Zegeur lui avait déjà expliqué la marche à suivre et le magister chercha un point précis sur la nuque de sa coéquipière.

Le trouvant, il sourit intérieurement en sentant les battements de cœur lent et presque imperceptible de sa camarade. Il tenta d’exhorter son esprit à se réveiller de ce sommeil forcé, de cet état de transe réparatrice. Mais la chose était plus évidente à dire qu’à faire, faisant appel à toute sa concentration, Alek fouilla les pensées de sa camarade. Ce point fixe au loin qui semblait fuir à chaque fois qu’il s’approchait, à chaque fois qu’il l’incitait à le rejoindre.

Se focalisant une dernière fois, il mit toute son énergie et sentit la présence d'Amicia. Dans un flash lumineux qui le fit rouvrir les yeux, il vit qu’elle reprenait elle aussi connaissance en inspirant comme si elle s’était noyée.

Son stress et sa peur étaient communicatifs, d’autant plus qu’Alek maîtrisait les arts mentaux et ressentait chacune de ses pensées. Grimaçant face à ce déluge d’incompréhension et de terreur, il l’incita cette fois à s'apaiser en parlant directement à son esprit tout en lui serrant la main. En la regardant dans les yeux et elle se calma.

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