Alek - 3.1

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La pluie recouvrait les rues en une harassante brume glacée. Elle tombait en quantité sur le long manteau d’Alek. Même l’insigne doré des magisters ne reflétait pas sa couleur et semblait bien terne dans ce tableau sombre aux quelques touches orangées offertes par les éclairages publics. Alek avait une foulée rapide et ses bottes martelaient le pavé à mesure que sa course devenait pressante.

Il était en retard pour la dernière soirée que lui et ses proches avaient organisée. Il avait bien sûr été absent du repas de famille, mais il ne pouvait se permettre de passer au travers de cette seconde réunion, car c'était là leur ultime rendez-vous avant que Malden ne quitte la cité nation pour le front du nord. Et surtout, sa maison était le lieu que les quatre frères allaient utiliser.

Malgré son visage fermé, enfoui derrière son haut col, l’esprit du magister bouillonnait. Les pensées tournoyaient aussi fortement que le vent. Il avait désiré marcher sans tenir compte du temps, il aurait pu prendre les transports en commun qui de temps à autre faisaient d'ailleurs vibrer les rails au-dessus de lui en passant. Mais il avait besoin de réfléchir, seul. Un périple durant une nuit pluvieuse dans la cité nation était tout ce qu'il lui fallait. Il se déplaçait ainsi isoler dans un paysage noir comme l’encre.

Son enquête avait pu avancer grâce à son action du début de soirée. Cependant aussi appréciable que soit le moindre progrès, Alek s’en voulait au fond. Ce qui le travaillait n’était pas les nombreuses traces de coups qui parsemaient son corps sous ses habits, mais bien ses erreurs. Son empressement qui avait mené sa camarade à se surpasser, à dépasser ses limites. Les Arcanistes étaient certes puissants, mais comme toute chose de ce monde, il y avait un prix à payer. Surutiliser ses talents surnaturels pouvait conduire un magister à se trouver dans un état grave voir l’entraîner droit à sa mort. Tel était le revers de leurs incroyables pouvoirs.

Amicia n’était pas une débutante bien sûr, elle avait dû frôler la limite et le point de non-retour. Se tenir sur le fil comme elle l’avait fait, Alek se rappelait l’avoir aperçue faire en quelques rares occasions, mais peu étaient ceux à survivre. Amicia était douée, trop. Les agents de la garde avaient de suite emmené la magister après l’arrestation des hommes pègre. À l’heure qu’il était, Amicia devait reprendre des forces dans les sous-sols de leur collège, aux bons soins des servants de leur institution bien énigmatique.

Alek progressa toujours sur le bord de la route, il entendit bientôt du bruit. Non pas que l‘heure déjà avancée ou le temps eut calmé les travailleurs et autres citoyens, mais quelque chose se passait plus en amont.

Il couvra l’espace qui le séparait de ces sons et rallia une sorte de carrefour. L’endroit, qui comprenait de nombreux établissements et commerces, était bondé. Mais ce n’était pas les repas ou soirée arrosés des habitants des niveaux inférieurs qui émettaient tant d’agitations.

Une colonne de la garde arrivait en grand bruit depuis les rues supérieures. Il devait encore y avoir du grabuge dans les quartiers populaires, ces agents semblaient pressés. Leurs machines d’aciers bipèdes virevoltaient entre les locaux qui se faisaient sèchement dégager du passage par le service d'ordre de la ville. Les chiens qui accompagnaient la troupe ajoutaient au tumulte ambiant leurs jappements puissamment audibles.

Alek reconnaissait les insignes de ces individus. Il ne s’agissait pas de simple garde des postes avoisinants, mais ceux du Bastion. Le centre de cette institution impérial dans la cité nation. Le remue-ménage qu’avait causé Alek avec sa partenaire devait avoir chauffé à blanc le quartier où ils avaient opéré. Si les hommes du Bastion avaient été appelés, c'est que la situation devenait presque incontrôlable. Mais bien sûr toute agitation ou émeute allait être tuée dans l’œuf par ces hommes dont la triste réputation n’était plus à faire.

Le magister observa le cortège d’agents et de machines quitter l’endroit, il reprit sa route. Ce n’était plus son problème après tout. Plus de son ressort. Lui et Amicia avaient déjà assez donné en cette nuit.

Il était pressé, sortant sa montre de sa poche, il regardait l’heure. Il pesta contre lui-même et augmenta la cadence. Il allait être en retard pour sa soirée entre frères. Il enleva les gouttes qui s’étaient posées sur la glace du garde-temps et le rangea avant de continuer.

Alek marcha toujours sur les bords de rues, il tira son manteau lorsqu’une berline et ses chevaux passèrent en trombe aspergeant les quelques riverains d’eau. Son riche propriétaire devait se presser de regagner son niveau d’habitation et sa sécurité.

Maudissant le noble ou bourgeois du transport, Alek regardait le ciel sombre et pluvieux. Le dernier mois n’avait pas été clément au niveau du temps.

Il avait lu dans la bibliothèque familiale des histoires sur la Céresse d’antan. Le concept de saisons, le soleil brûlant en été et la neige en hiver. Le soleil… Alek aurait aimé le voir en entier, au moins plus de quelques fois dans la semaine.

La lune qui dominait présentement n'inspirait guère de plaisir au magister. Les éclipses et la convergence des deux lunes occasionnaient des réactions imprévisibles sur les êtres dotés de pouvoirs comme Alek . Cela les rendait dangereux, étranger de leurs propres corps. Ce n'était pas un hasard si les collèges et la garde raflait les humains dotés de ces "talents" lors des éclipses. Durant ce que l'Empire avait dénommé pompeusement les moissons noirs.

Les nuages qui recouvraient continuellement le ciel de la cité nation et ses abords les cachaient souvent les astres. Comme pour punir les hommes qui avaient ruiné leur propre univers, mais qui survivaient malgré tout dans cette cité et le reste de la terre viable. Céresse semblait garder hors de leur portée destructrice ces derniers cadeaux de la nature, ces biens intacts et inatteignables.

Triste vie dans ce chez-soi d’acier à la voûte terne et opaque…

Au bout de quelques rues, Alek arriva enfin non loin de sa destination. La maison qu’il possédait était proche de la frontière entre les niveaux intermédiaires des bourgeois et la basse ville.

Comme toutes les sections d’Aldius, il y avait une impressionnante enceinte qui prenait place pour séparer chaque chose, pour que chacun maintienne son juste rang. Pour différencier le grain de livraie. L'endroit comparé aux allées qu’il avait arpentées était grouillant d’activités.

Les murs, la cité en foisonnait. Et ce, de la base au sommet, les hauts remparts d’acier extérieurs protégeaient Aldius des dangers du monde alors que les différentes barrières intérieures préservaient et divisaient quant à eux les trois étages bien délimités de la cité nation et leurs populations respectives.

Ainsi, ce second mur de la ville était impressionnant et d’apparence solide. Sa surface monolithique, lisse et géométrique, était entrecoupée à intervalle régulier par des tours. Ces guérites, investies bien évidemment par leurs gardes, orientaient la lumière de leurs grands projecteurs sur les contrôles qui s’opéraient en dessous. La porte de tôle des défenses, imposante, était ouverte et donnait la sensation d’une entrée de caverne ou une foule de personnes se pressait de disparaître.

Devant ce passage, se trouvait donc le service d'ordre d'Aldius, à la juste place qu’elle devait occuper. Chaque individu, chaque engin en approche étaient fouillés. Méthodiquement ausculté par les hommes en bleu foncé avant de leur accorder le droit de traverser.

Ce point d’entrée était accessible au travers d’une allée centrale pour les transports ou par plusieurs files composées de barrières qui entouraient la voie principale des attelages. Mais au final tous s’engouffraient dans le corridor à travers le mur.

Les groupes du service d'ordre de la ville naviguaient entre ces chemins cloisonnés, ils arrêtaient chaque arrivant et éclairant de leurs lampes orangées chaque visage, questionnant et interrogeant avant de laisser continuer les citoyens. Ils arrachaient sèchement au passage les papiers d’identifications des mains de leurs propriétaires mouillés jusqu’aux os par le temps.

Cette voie, ces allées menaient à la seule entrée de l'enceinte qui se voyait surmontée par des passerelles d’acier, reliant les deux postes de garde adjacents à la porte. Ces passages en hauteur étaient arpentés par des patrouilles en arme qui toisaient les sujets de Sa Majesté de leur regard sévères.

La pluie battante et les ordres audibles des surveillants ajoutaient quelque dureté à la scène déjà bien peu accueillante. Elle rappela Alek à la réalité. Les chiens, comme toujours, étaient là vers un groupe de gardes au-devant des barrières, observant les arrivants et ne demandant qu’à être libérées de leurs liens.

Si les chevaux étaient la marque des riches ou de l’armée, les canidés étaient bien ceux de la garde. Un symbole de force qui incitait au respect, voire qui l’imposait.

Alek s’engagea à son tour dans les files de citoyens qui remplissaient les allées, il du batailler pour continuer à avancer dans la masse de personnes et fut également arrêté par le trio de sentinelles qui s’occupait de sa rangée. L’un d’eux avait ses mains gantées fermement agrippées sur son long fusil à verrou, le second, lui, agitait sa lampe à pétrole sous le nez d’Alek tandis que le dernier aboyait ses ordres pour demander les papiers. Mais il s’interrompit de suite face à l’insigne de magister que lui montra Alek.

Ils échangèrent des regards qui mutaient de l’agressivité au malaise, les trois hommes firent place nette face à Alek pour alpaguer le nouvel arrivant qui prenait la position du magister. Alek entendit les trois gardes parler avec véhémence envers le remplaçant d'Alek qui quittait l’endroit en s’engageant dans l’allée conduisant au tunnel du mur. Au-dessus de lui, le passage d’acier des sentinelles grinçait et des gouttes clapotaient en s’écoulant sur la structure avant de s’abattre sur lui.

Alek délaissa définitivement ce point de contrôle, il s’engouffra dans le corridor abandonnant par la même occasion la pluie qui recouvrait la ville.

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