Alek - 2.2

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Alek progressa dans la foule à coup de coude et rallia le comptoir. Il pouvait sentir le regard de sa partenaire se poser sur lui à mesure qu’il se rapprochait.

— Tu ne sais vraiment pas te tenir en public, fit-elle d’un air imitant la déception.

— Tout de suite, j’étais pourtant bien camouflé. Qu’avais-je de suspect ?

— T’es louche de naissance… dit Amicia en roulant les yeux avant de farfouiller dans sa poche.

— Haha, très drôle.

— Pendant que tu employais tes pouvoirs à tout va, j’ai utilisé mes bons vieux sens.

— Et ?

— Et j’ai vu une personne faire quelque chose de somme toute intéressant, regarde.

Elle sortit le paquet d’allumettes qu’elle avait subtilisé au défunt de l'usine et appela l’un des serveurs qui se tenaient de l’autre côté du comptoir. L’homme, la sueur au front malgré son jeune âge, virevoltait de client en client et réussit tout de même à saisir la demande de la magister. Il revint avec un petit verre d’alcool ambré.

Amicia qui regarda Alek fut gratifié d’une mimique de tête montrant son questionnement quant a la gnôle.

La magister souffla de dépit puis posa le paquet. Elle trempa ses doigts dans le spiritueux puis laissa tomber délicatement quelques gouttes du bout de son index sur la surface du papier.

Au début, rien de particulier, puis Alek vit une réaction sur la face de ce dernier. La couche blanche qui avait absorbé l’alcool avait commencé à se corner puis un marquage fit son apparition. Une écriture et un emblème.

— Et voilà. J’ai aperçu un des clients accomplir la même chose. Bien sûr de manière discrète, mais rien ne m’échappe.

Elle se pavanait la mine joyeuse. Amicia n’eut cependant pas les éloges qu’elle escomptait. Juste un « Bien joué ».

Alek vit la moue désenchantée de sa camarade et continua.

— On a une adresse maintenant, y' a plus qu’à…

— Hum, fit Amicia qui fut la première à tourner les talons.

Alek posa deux marks sur le comptoir pour régler le verre et les deux magisters munis de leur nouvelle destination quittèrent le bistrot.

Quelques lumières éclairaient tant bien que mal les allées sombres du quartier, la pluie battante s’était invitée et l’ambiance extérieure se trouvait bien moins chaleureuse. Pourtant il y avait foule. Quelques commerces étaient encore ouverts et nombreux étaient ceux qui discutaient sous le couvert des toits ou toiles réparties sur les côtés des voies.

Alek resserra son manteau et sortit sa casquette afin de suivre Amicia qui était comme d’habitude partie au quart de tour. L’averse tombait avec insistance sur les magisters, mais ils avaient à nouveau un but précis. Ils avançaient tous deux d’un bon pas, ils se dépêchèrent de rejoindre l’adresse du paquet d’allumettes. L’endroit n’était qu'à quelques rues et ils longèrent les bords des allées en essayant de fandre dans la foule.

Au bout de quelques enjambées, tous deux passèrent des voies principales du quartier aux chemins latéraux et secondaires. Ils pouvaient sentir un nouveau changement d’ambiance dans ces chemins moins populeux et des regards, les scruter, les suivre. Si le paquet n’avait pas indiqué l’une de ces allées, ils se seraient tous deux abstenus d’y mettre les pieds. Mais ils avaient une affaire à résoudre et leur pouvoir était leur assurance vie.

Amicia qui avait dirigé leur marche se plaça vers un recoin totalement isolé de la ruelle. Alek voyant sa camarade lui signaler une entrée, lui demanda les allumettes pour se porter à l'entrée.

Une lampe venait éclairer faiblement le passage d’acier qui se tenait face aux deux magisters. Alek frappa de son poing ganté de cuir et attendit.

Dans la porte, le panneau d’un guichet coulissa mollement et un filet de lumière se posa sur lui depuis cette ouverture. Des yeux inquisiteurs l’observèrent de haut en bas. Sa casquette cachait le haut de son visage et son long manteau, le reste de ses habits. Alek releva dès lors la tête et laissa voir son regard déterminé. Il saisit le paquet recouvert d’une marque que lui avait donné Amicia et le montra à la personne qui se tenait de l’autre côté du passage. La main gauche d’Alek était dans le même temps posée sur la crosse du pistolet attaché à son holster qui ne demandait qu’à être sorti.

Les yeux disparurent derrière la porte, le guichet claqua et la voie s’ouvrit face aux deux magisters dans un grincement métallique peu engageant.

Alek entra en premier, suivi de près par Amicia qui lui avait laissé mener la danse. Si la ruelle bordant l’établissement était sinistre , l'intérieur était pire encore.

Les murs graisseux, le plancher maculé d’épaisse souillure étaient autant d'indices de l’aspect nauséeux des lieux. Les lampes à pétrole du couloir dans lequel ils avaient fait irruption éclairaient faiblement la loque fendue qui faisait office de rideau au bout de l’entrée. Le tissu marquait la seconde limite avec l’extérieur de cet établissement bien secret.

L’homme qui les avait acceptés en ces murs, d’une grande stature, comme impliquait son emploi de gardien, les laissa là au milieu du passage et referma la porte dans un nouveau grincement sinistre. Pendant qu'il rabattait les différents loquets et verrous de cette dernière, Alek se concentra sur le bras de l'individu et les tatouages qu’il arborait.

— On dirait qu’on a enfin trouvé un réel membre de la faction, commença Alek en utilisant ses pouvoirs.

— Intéressant ! Ils ont déserté les rues, mais pas leurs sources de revenus les plus importantes.

— Quelqu’un arrive…

Alek disait vrai, une femme habillée légèrement dans une sorte de fine robe leur fit signe d’approcher depuis le rideau. Ses habits laissaient visibles ses formes. Le tissu était si mince qu’on pouvait voir la peau laiteuse juste en dessous.

Après avoir parcouru le couloir, Alek passa la tenture et fit son apparition dans une salle. Il devait s’agir du premier espace utilisable. L’endroit qui contenait de nombreux « clients » était plongé dans une fumée ambiante tenace. Ces personnes, des hommes pour la plupart, étaient avachies dans des couches et autres coins aménagés de coussins. Diverses femmes vêtues aussi légèrement que celle qui avait invité les magisters étaient çà et là autour d’eux. De multiples tables occupaient le restant de place non utilisé et se trouvaient recouvertes de bols fermés, reliés à des tiges que les consommateurs employaient pour inhaler la teneur des récipients.

Les fumées de ces pipes avaient des couleurs variées. Elles s’élevaient et formaient sous le distant plafond des lambeaux de brume dont les arabesques bariolées scintillaient, plongeant l’endroit dans une semi-pénombre accablante. Il faisait chaud malgré le temps extérieur. L’air était lourd et les parfums assommants de Kyffür finissaient de rendre l’atmosphère difficilement tolérable.

Aley qui demeurait à l’entrée, observa la salle. Les tables qui n’étaient pas couvertes de ces sortes de bols fermés comprenaient quelques briques ou pains. Le Kyffür brut qui attendait d’être brûlé et inhalé.

Les femmes qui se lovaient contre les clients approvisionnaient les pots tandis que les hommes avachis dans leur confort et expérience affichaient des regards absents et perdus.

Les différentes variétés de Kyffür fumées ici n'intéressaient pas Alek. Il n’était pas là pour une banale descente. Si un indice sur ce qui se tramait résidait en cet endroit, ils allaient le trouver.

Alek et Amicia qui se tenaient aux abords de la salle virent une nouvelle arrivante entrer dans la pièce et se diriger immédiatement vers eux.

La gérante des lieux, la maquerelle sans nul doute, s’approcha des deux magisters tout sourire.

Dame Bénévent, comment puis-je vous être utile ?

— Dame !? Si c’est une dame alors moi je suis l’impératrice, entendit Alek dans son esprit.

Elle avait un fond de teint utilisé sans modération pour camoufler son âge avancé ou pour donner quelque beauté à son visage.

Je puis vous proposer du Kyffür, reprit la Dame Bénévent, ou une fille si vous venez pour une expérience… à trois.

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