Alina - 1.2

6 minutes de lecture

— Alors je suis un grand homme ?

— Hum… fit Alina d’un air songeur, je n’irais pas jusque-là.

— Ben voyons, dis tout de suite que je suis un piètre chef de famille alors.

Rigolant succinctement, Alina reprit.

— Ce n’est pas ça, mais tu ne devrais pas faire autant confiance à ta femme, ajouta Alina en affichant un petit sourire espiègle.

— Et toi à ton mari, tu risques d’être déçu.

— L'ai-je déjà été ?

— Je ne l’espère pas.

Ils se réjouirent tous deux à nouveau, Alina et Lèvius trinquèrent avec leur verre de cristal.

La Baronne changea de sujet et reprit la parole.

— Que faisait Braggs ici ?

— Il me racontait le nouveau crime qui a eu lieu sur notre territoire et sa rencontre avec deux magisters du collège de Vilaniùme.

— Alek ?

— Tout juste, il semblerait que sitôt sa précédente affaire close il se soit jeté sur celle-ci.

— Un simple assassinat ?

— À première vue, mais la garde d’Onyx est apparue durant son inspection.

— S’ils sont venus fouiner, c'est que cet incident est tout sauf banal et cache quelque chose de mauvais. Ils s’étaient pourtant effacés ces derniers temps.

— Ils agissaient seulement dans l’ombre certes, mais ils étaient-là. De nombreux rapports officieux m’ont informé de leurs petites affaires en coulisse. Les voir apparaître comme ça au grand jour est tout de même inquiétant, je te l’accorde.

— Je n’aime pas ça, j’ai cette désagréable impression que des choses se trament sans que nous soyons au courant.

— L’un de nos grands ennemis…

— Les Kardoff ?

— Ou le conseiller de sa majesté voire l‘Union on ne sait jamais. Ne t’en fais pas, j'ai déjà mis des personnes sur l’affaire.

— D’où le sourire de notre bon capitaine en sortant de ton bureau

— En effet.

Un énième éclair illuminait la salle, Alina se leva de son siège pour se diriger vers la bibliothèque vitrée. Plus particulièrement vers le rebord occupé par de nombreux objets. Elle passa sa main sur cet espace tout en avançant, livres ouverts, plumes d’encre ou décorations recouvraient l’endroit. Il y avait même de petites sculptures représentant les plus grandes créations du célèbre inventeur et philosophe Adhimius Laurengard. Tandis qu'elle pensait à cet ami de son conjoint, Alina arrêta alors sa main sur une minuscule boîte. Elle était remplie de divers tubes terminés par des bouchons, chacun d’eux comprenait des titres qu’Alina n'avait aucun mal à reconnaître. Elle balaya du regards les objets du contenant puis s’attarda sur un tube en particulier, celui dont les mots lui revenaient de suite en mémoire, et elle le sortit.

Le tube cartonné était une protection décorée, ouvrant le couvercle qui finissait ladite protection, elle en retira le contenu. Le cylindre noir que tenait Alina entre les mains n’était pas lisse, mais bien gravé. Alina reposa sa protection dans la caisse et se tourna vers l’appareil qui se demeurait juste à côté de la boîte.

Un phonographe travaillé siégeait, là, en bonne place. Il se trouvait composé d’un socle de bois finement ouvragé et d’un long cornet à la couleur dorée. Alina logea le cylindre qu’elle gardait entre ses mains dans le mécanisme de la machine et l’activa.

Un son presque sourd commença à s’extraire du cornet puis se mua en musique à mesure que l’appareil lisait le contenu du cylindre. La symphonie qui résonnait était digne d’un petit orchestre et la qualité de son n’avait rien à envier à une représentation physique.

Alina se retourna pour se mettre juste devant le phonographe, dans l’espace le plus dégagé du bureau en tendant l’une de ses mains.

Lèvius, qui se leva de son siège de cuir, la rejoignit et Alina enlaça son époux lorsqu’il s’approcha. Ils étaient ainsi l’un contre l’autre dans un moment où nul ne parlait, mais où tous deux appréciaient la musique et les souvenirs communs qui y étaient reliés.

Ces violons me rappellent nos danses avant notre mariage, fit Alina d'une voix douce et basse.

— Ça doit faire une éternité, non.

— Une autre vie.

— Tu regrettes celle que nous avons maintenant ?

— En rien, nous ne l’avons bien construite cette vie. Les enfants, toi, vous êtes ce que j’ai de plus cher.

— Et toi tu es ce qui m’est arrivé de mieux, répondit-il sincèrement avant d’effectuer une pause. La vielle ne fait qu’améliorer le tout, écoute, assura Lèvius qui à présent semblait danser avec sa femme malgré les afflictions de son corps.

Depuis combien de temps n'avait-on pas entendu cet air ?

— Trop longtemps à mon goût…

— Les années passent bien trop vite.

Tous deux restèrent ainsi dans leur presque-danse, l’un contre l’autre, jusqu’à que la musique disparaissait petit à petit. Jusqu’à la fin du cylindre de lecture et le calme qui s’ensuivit. Lorsqu’il n’y eut plus un son, Alina quitta Lèvius et, prenant son verre au passage, vint se placer face à la baie vitrée.

— Les souvenirs et la présence du capitaine Braggs ne sont pas les seules choses qui te tracassent n’est-ce pas ? demanda Lèvius en voyant Alina face aux carreaux.

Elle se retourna vers son mari.

— C'est Malden, je n’arrive pas à me faire à l’idée.

Se mouvant jusqu’à son siège, moins gracieusement que durant la danse, Lèvius s'empara de sa canne et se dirigea à son tour vers les fenêtres ou tous deux regardèrent le sombre paysage.

— Nous en avions déjà parlé, non ?

— Je sais, mais j’y pense constamment. Il n’a que dix-sept ans après tout.

— Et pourtant il est assez mature, parmi nos chers enfants c’est le plus réaliste et réfléchi selon moi.

— Il aurait fait un magnifique Baron.

— Il fera un excellent soldat, ne l’ai-je pas été moi aussi.

— Et c'est ce qui me fait peur je t’ai connu avant ton départ. J’étais là à voir ton sourire, ton visage illuminé et fier. Il n’était plus présent à ton retour. Ton corps, ton esprit brisé. Qui t’as ramassé à la petite cuillère, hein ?

Lèvius posa sa main sur l’épaule d’Alina qui la serra de la sienne.

— Toi, dit simplement le Baron. Je sais et je t’en serais éternellement reconnaissant. Mais je dois te dire que surprotéger Malden ou trop le couvrir d’affection ne sera que mauvais pour lui. Comme tu l’as déclaré, je connais l'endroit où il va et il n’y aura nulle place pour le réconfort ou la faiblesse. J’y ai été et j’y ai réchappé. Malden est bien plus fort et intelligent que moi à l’époque, je n’ai aucun doute quant à sa survie.

— Si tu le dis, pour moi il restera cet enfant songeur, toujours à questionner tout et tout le monde. Mais le savoir seul, si loin.

— Le frère d’Horace sera là-bas avec lui ainsi que son second garçon.

— Je sais, c'est réconfortant en un sens.

— Mais ce n’est pas toi ou moi...

— Voilà.

— Je lui ai fait parvenir un télégramme l’informant de la venue de Malden, il servira sûrement sous ses ordres, il a été promu depuis la dernière fois que je l’ai vu alors il sera en position d’aider notre fils.

Pendant que Lèvius finissait sa phrase, Alina s’était à nouveau retourné vers la pièce, son regard se portant sur son bureau. Elle n’y avait pas fait attention jusque-là, mais depuis les vitres elle avait un panorama dégagé sur ce dernier et sur ce qui s’y trouvait. Un long sabre était en son centre posé sur une sorte de tissu de protection. L'aspect brillant et le pot d’huile juste à côté lui fit comprendre la récente activité de son que son mari. Il avait dû briquer et redonné vie à cet objet ancien. Alina releva le regard, elle remarqua alors que l’une des deux armes de son époux avait été décrochée.

— Tu comptes lui donner l’un de tes vieux coupe-chous ?

— Oui, il lui sera plus utile qu'à moi. Après tout, je ne croise pas souvent le fer à l’assemblée.

— C’est sûr, mais la parole est parfois un argument plus efficace. En tout cas, c'est une bonne idée le sabre.

— Hum… je trouve aussi de temps à autre il m’arrive d’avoir comme ça quelques soubresauts d'intelligence.

Alina soufflant de dépit face à la blague se retourna à nouveau vers la baie vitrée et finit son verre en regardant à l'extérieur.

— Quel temps exécrable quand même ! Avec ton humour de haute volée, j’allais presque oublier. J’ai demandé à Malden de prendre une bougie de cendre, d’où son retard. Tu l’allumeras avec moi ce soir ?

— Évidemment répondit Lèvius qui mit alors sa main sur l’épaule d’Alina. Cette dernière en réaction se rapprocha et posa sa tête contre lui. Tous deux observèrent le spectacle que représentait le temps extérieur depuis leur imposant manoir familial.

Ne voulant pas casser ce moment d'intimité, Alina ne dit plus un mot, mais intérieurement elle se répéta quelque chose.

Tout recommence comme avant, je le sens… Tout recommence.

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