Prélude - 1.1

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— On devrait se dépêcher d’en finir, hasarda le jeune Bastian en observant la pénombre qui l’entourait. À cette heure-ci il n’y a plus âme qui vive, on risque juste de tomber sur une anomalie avec notre chance légendaire.

Il se rappelait là d’histoires déjà trop entendues, de phénomènes non expliqués qui frappaient les endroits bordant la Morte-Terre sans crier gare. Et ce comme si cette frontière sinistre qui côtoyait l’espace viable du monde n’était pas assez effrayante comme ça. Elle lui avait donné des sueurs froides depuis sa plus tendre enfance où des contes et mythes peu engageants avaient traumatisé tour à tour les générations de jeunes citadins de l’Empire. Catégorie dans laquelle il se rangeait jusqu’à récemment avant qu’il n’embarque pour les colonies de l’est.

— Qu’est-ce qu’il y a, tu as peur du noir ? répondit Johan d’un timbre de voix moqueur en approchant de son visage balafré sa vieille lampe à pétrole.

Bastian était habitué aux piques médisantes de son camarade, il ne laissait même plus paraître ses émotions. Il n’avait pas vraiment de crainte à proprement parler, mais il n’aimait guère l’endroit et éprouvait un certain malaise en arpentant de nuit la haute structure d’acier qui l’entourait. Leur quart était fini et Bastian n’avait plus qu’une envie, rentré dormir. Les rotations de travail étaient éreintantes dans la colonie d’Ultis. Ajoutez à ça les corvées nocturnes de patrouille des tours de forage, on pouvait dire sans trop s’avancer que les ouvriers du site se tuaient à la tâche. Pas par simple tournure de phrase, mais bien réellement. Il y a moins de trois jours de ça, le corps d’un des employés avait été retrouvé déchiqueté proche de son lieu d’exercice.

Les traces sur la dépouille ne mentaient pas, les dangereuses machines de la zone n’y étaient pour rien cette fois. On avait imputé cette mort à une attaque isolée de monstre, mais les mutants étaient à présent plutôt rares dans les alentours d’Ultis. L’armée impériale veillait sur ses colonies les plus vitales, et le domaine pétrolier d’Ultis en faisait partie. Pourquoi une créature s’était-elle aventurée dans un endroit si lourdement surveillé ? Emportant sa question avec lui, Bastian suivit son camarade qui s’était remis en marche sur les passages étriqués de l’infrastructure.

Le jeune homme n’aimait décidément pas ce lieu. Ultis était l’une des villes les plus éloignées de l’Empire. La cité-nation d’Aldius requérait toujours plus de ressources et Bastian avait bien sûr été appâté par le salaire ô combien intéressant que proposait le poste. Mais à présent, il regrettait son choix, il aurait tout donné pour quitter ce morne et austère endroit. Pour monter dans le train mensuel qui l’aurait ramené chez lui.

Bastian laissa paraître un sourire amer en se remémorant l’affiche de propagande qui l’avait conduit ici. Ce maudit bout de papier avait vanté les qualités du lieu de travail et les revenus juteux qu’offrait la colonie à sa main-d’œuvre. Mais la vérité était tout autre. Les taches étaient certes bien payées, mais les journées à rallonges et le cadre de vie étaient bien loin de ce qu’on lui avait vendu.

— Voyons Johan, arrête de te jouer de notre jeune ami, dit le porion en observant le visage moqueur du balafré.

Jeremiah, le troisième membre de la patrouille, attendait ses deux camarades plus en avant. Une main sur la rambarde de la passerelle qui surplombait le saisissant vide jusqu’au sol en friche et désolé qui entourait les tours de forage d’Ultis.

Le plus âgé des hommes présents, Jeremiah, était un élément ancien et estimé dans le corps ouvrier de la colonie. Il aurait dû être le chef de l’installation et esquiver ce genre de tâches ingrates, mais un événement antérieur avait entaché son dossier et l’avait rétrogradé au statut de simple porion. Jeremiah évitait scrupuleusement d’évoquer la chose, Bastian faisait de même par respect pour le vétéran aux favoris et cheveux grisonnants qu’il traitait comme son aîné.

La nuit avait étreint la colonie de son voile sinistre. Les occupants d’Ultis, sa population d’ouvriers, avaient rejoint leurs quartiers. Laissant les quelques patrouilles de maintenance, dont celle de Bastian, surveiller les tours de forage qui encerclaient la ville. Malgré la pénombre, les hautes cheminées d’Ultis marchaient à plein régime et crachaient leurs nappes de nuages noirâtres dans le ciel. Des automates de l’armée, d’une taille plus qu’impressionnante, arpentaient au loin la terre désolée. Leurs équipages éclairaient de leur faisceau le sol dans un genre de ballet lumineux aussi incessant que distant.

Les patrouilleurs grimpèrent silencieusement les escaliers de fer branlant de la tour. Le vent qui balayait le lieu émettait une complainte sinistre contre les cloisons d’aciers et les ouvertures de la structure dans lesquelles il s’immisçait. Arrivant devant une plaque murale indiquant la numérologie du site de forage, la tour numéro sept, le trio s’arrêta. À travers les denses parois de l’endroit, il y avait un bruit mécanique et répétitif, un écho de grosses de machines industrielles qui produisait un son pesant en perçant l’épaisse couche terrestre de Céresse pour y extraire sa riche ressource noire.

Le groupe d’ouvriers continua pour parvenir devant l’une des portes de service et la lourde serrure de cette dernière grinça à son ouverture. Le trio qui s’y engouffra, déboucha sur une passerelle qui dominait l’intérieur du site à mi-hauteur de celui-ci. Les tréfonds de la construction dans laquelle les patrouilleurs s’aventuraient étaient immenses ; sa voûte d’acier s’élevait jusqu’à son sommet distant et pyramidal et renfermait en son cœur un énorme appareil grondant, très ancien et non moins vital.

Les machines antiques de la structure dépassaient en âge les membres de la troupe présente. L'engin central mesurait pas moins de quarante mètres de haut, elle était tout en fonte et cuivre et teinte d’une peinture bleu mat granuleuse déjà bien écaillée. La couleur officielle de l’empire d’Aldius. Une forêt de conduits et d’échangeurs à vapeur prenait naissance contre ses flancs et s’élevait jusqu’à la voûte ; tous ces embranchements s’entrelaçaient inextricablement et se reliaient à la cheminée qui finissait le toit du bâtiment. Les différents tuyaux étaient, le long du chemin, connectés aux silos de réserves qui tapissaient les murs. La chaude et pesante atmosphère de la pièce qui vibrait sous le vacarme de la machinerie centrale était alourdie par la fumée qui s’en dégageait.

Cette atmosphère étreignait tout arrivant. Et les patrouilleurs ruisselèrent bien vite du front. Au bout de quelques pas, ils enlevèrent leur couvre-chef typique des ouvriers de la colonie dont l’insigne délavé trônait en bonne place. Tous trois revêtaient des tenues grossières de laine bleu et beige, noircis par leurs tâches quotidiennes, ainsi que des capes sur l’une de leurs épaules. Elles étaient portées non par aspect pratique, mais plus en tant que décoration. Lesdites capes affichaient l’emblème impérial brodé d’un fil doré de grande qualité, tranchant avec les autres habits de l’uniforme. Cette longue étoffe et ce signe plus travaillé que le restant de l’accoutrement informait l’allégeance des ouvriers et de la colonie, de leur engagement envers l’Empire qui était en guerre ouverte avec l’Union autoproclamée de ses anciens domaines du nord.

Le vent qui avait accompagné la patrouille à l’extérieur les poursuivait à présent dans la structure. Des plaintes et grincements sinistres se glissaient dans la cacophonie de bruits mécaniques de l’endroit. Comme des sons clandestins et incongrus qui étaient perceptibles par le mouvement des grands carreaux de verre qui formaient les fenêtres du lieu. L’impression de flottement malvenu était ainsi encore présente et renforçait toujours plus leur malaise.

Bastian suivait son aîné et le balafré dans le labyrinthe de conduits et turbines qui composaient la salle principale de la tour. Il avançait les nerfs à vif et restait sur ses gardes. S’arrêtant à chaque bruit suspect ou jeu de lumière anormale. À certains moments son esprit fatigué le tourmentait en formant des ombres étranges, mais à chaque fois qu’il s’approchait de cesdites formes il ne voyait rien et continuait donc de marcher.

Avant de quitter le centre de la structure dans laquelle il progressait, Bastian se tourna pour vérifier derrière lui et sursauta quand il sentit un objet le frôler puis retomber non loin.

— Ça suffit tous les deux, comporte-toi en adulte Bastian et arrête d’être effrayé comme le plus froussard des minots d’Aldius. Toi Johan, essaye d’agir telle la personne responsable que tu es censé être, tu crois aider qui à tourmenter le petit ? Je ne te pensais pas assez bête pour lui lancer des choses par-derrière. Je me demande qui est le plus jeune des deux maintenant…

Soufflant d’un air exaspéré, Jeremiah reprit la ronde, bientôt suivi par les deux autres membres de la patrouille. Ils progressèrent en silence dans les étroits chemins durant un bon moment. Le porion qui ouvrait la marche finit par parler en actionnant le levier de la porte qui se dressait à présent devant eux.  

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