Cela fait depuis le début du mois de Juin de cette année 1732, que Thibalt de Rangueuil, duelliste notoire, s'est installé chez Célimène de Chancy, Medium du Roi Louis XV. Cela ne s'est pas venu de la simple volonté des deux protagonistes. En effet, la Duchesse de Châteauroux a été l'artisan de cette réunion peu conventionnelle.

Julien Courtrai a écrit à Sainte-Enimie pour prévenir le Comte et sa mère de ne pas s'offusquer, que tout était fait pour protéger Célimène de ses ennemis. Le Comte et l'Intendante ont réécrit , soulagés que leurs enfants étaient entre de bonnes mains.

Célimène a voulu interroger Thibalt sur les visions qu'elle aurait eu d'une terre lointaine, qui causerait des problèmes au Roi. La famille de Thibalt est présente dans ses visions, mais elle n'a pas eu les informations lui permettant de déterminer leur niveau d'implication. C'est pourquoi, la jeune fille attend d'autres visions, afin de questionner Thibalt. Le duelliste sent que Célimène voudrait lui poser des questions, mais il sourit, car au dernier moment, elle se ravise.

Thibalt la laisse donc venir à lui, amusé par l'état d'esprit confus de sa jeune hôtesse.

Un matin de Juillet , alors que la chaleur est déjà étouffante et que Célimène s'évente l'air rêveur , Julien décachette une lettre et pousse un cri de joie, sautant du sofa et lançant son tricorne en l'air. Thibalt sursaute, surpris, renversant sa tasse de café sur lui et se levant de sa chaise , grogne. Laurent, le valet de Célimène, lui apporte tout de suite un mouchoir et le duelliste éponge son chemisier à jabots.

Quant à Célimène, elle a lâché son éventail, surprise du cris poussé par Julien. Puis elle se redresse de son sofa et demande:

"Mais enfin, Julien, qu'est-ce qu'il vous prend?

Julien se tourne vers sa soeur, les yeux emplis de joie et s'écrie:

_ C'est une lettre du secrétaire du Lieutenant-général de police ! Je vais pouvoir commencer mon apprentissage de la fonction d'inspecteur. J'ai été affecté auprès d'un inspecteur de police qui se nomme Josselin Andrieu.

Célimène applaudit, ravie pour son jeune frère.

_ Félicitations Julien! Ecris vite à Père pour le lui annoncer.

Julien hoche vigoureusement la tête et quitte le salon pour se rendre dans la petite chambre attenante au vestiaire de Célimène, qu'il occupe.

Restés seuls au salon, Thibalt se rasseoit, flegmatique et la jeune Médium fait de même, un grand sourire sur le visage.

_ On dirait que cela vous enchante que votre jeune frère se retrouve mêlé si tôt aux dangers de la ville, souligne le duelliste d'une voix monocorde.

Son hôtesse, surprise , le contemple et réplique:

_ C'est la carrière qu'il voulait et Julien est de nature très prudente et cartésienne. Il ne se mettra pas en danger inutilement.

_ Ce qui n'est pas votre cas, rétorque Thibalt.

Célimène soupire, exaspérée:

_ Ce n'est pas de ma faute si je m'attire des colères incompréhensibles.

Thibalt se relève à demi et fixe des yeux accusateurs sur Célimène:

_ Allons donc! Si vous n'aviez pas fricoté avec Gauthier de Nahis, vous n'en seriez pas là.

Célimène réplique, outragée:

_ Et vous alors! Si vous n'aviez pas exagéré avec vos duels, vous ne seriez pas en train de vous ennuyer à me protéger.

_ Touché! Réplique Thibalt, amusé.

Célimène se rasseoit sur le sofa et tente de reprendre sa lecture, mais une tristesse incommensurable la submerge et elle baisse la tête, comme accablée de douleur. Thibalt observe le processus, étonné de ce revirement d'humeur soudain et se levant, pose une main sur l'épaule de la jeune fille, tout en s'agenouillant face à elle.

_ Que vous arrive-t-il tout à coup? Que me vaut cette tristesse?

Célimène déglutit avant de répondre:

_ Gauthier...Il est rentré depuis quelques jours , mais il n'a pas tenté de me contacter...

Thibalt soupire:

_ Peut-être ne le peut-il pas tout simplement. Il a des obligations, en tant qu'officier du Roi et époux d'Anne-Lise de Saëns.

La jeune fille soupire et observe Thibalt , qui ne fait pas montre de compassion, mais qui tente d' apporter une explication rationnelle à ses atermoiements. Ce manque de compassion l'apaise curieusement et elle hoche la tête.

C'est alors que la jeune Médium pousse un profond soupir et toujours observant Thibalt, s'exprime alors:

_ Thibalt de Rangueuil, j'aurai enfin une question à vous poser au sujet de visions que j'ai eu vous concernant. Cela a été long à venir, mais je suis prête à avoir les explications nécessaires pour les transmettre au Roi.

Thibalt sourit et hoche la tête:

_ Enfin, il vous en aura fallu du courage pour m'interroger, enfin.

La jeune Médium sourit et remarque:

_ Il aura peut-être fallu que je me désintoxique de Gauthier pour en venir enfin à ce moment.

Quelques jours plus tôt, en Juillet 1732, appartements de la Duchesse de Châteauroux.

Gauthier de Nahis est revenu de mission et a reçu une lettre de Marie-Anne, Duchesse de Châteauroux, lui demandant de se rendre aussitôt auprès d'elle. L'officier du Roi appréhende ce que la duchesse va lui dire et sait certainement que cela a un rapport avec son amante, Célimène de Chancy. Gauthier de Nahis ne veut pas la quitter, mais peut-être que la Duchesse va l'exhorter à la faire.

Gauthier de Nahis s'est changé et porte un costume flambant neuf qui le change de son costume d'officier. Il est l'objet de nombres de regards féminins, alors qu'il marche soucieux dans les couloirs de Versailles vers les appartements de la Duchesse de Châteauroux. Mais il ne les remarque pas ces regards, l'esprit tourné vers Célimène et la Duchesse.

Une servante anonyme lui ouvre la porte du boudoir de la duchesse et cette dernière installée à son secrétaire, écrivant une lettre. Finissant son ouvrage, elle ne lève pas la tête à l'entrée de Gauthier et déclare:

_ Bonjour Monsieur de Nahis, ravie de voir que vous êtes revenu de votre mission sans encombres.

_ Pourtant cela n'allait pas de soi, je vous remercie Madame.

La duchesse relève enfin la tête et ne se départissant pas de son aimable sourire, invite Gauthier à s'asseoir.

Ce dernier prend place sur un tabouret et contemple fixement la duchesse:

_ Je suis venu dès que j'ai reçu votre lettre, je dois vous avouer que je suis assez curieux.

Marie-Anne hausse un sourcil et réplique:

_ Vous n'avez pas un début d'idées ?

Gauthier se crispe et murmure:

_ Célimène...

La duchesse hoche la tête et reprend:

_ Vous lui avez causé beaucoup de tort. Vous l'aimez, mais vous lui avez attiré la vindicte d'ennemies puissantes et je ne peux la protéger sans être l'objet de critiques. Votre femme, Anne-Lise de Saëns, a écrit au Roi pour se plaindre de votre comportement. Et ce n'est pas le plus mince des problèmes que Célimène rencontre, puisque votre femme , toujours elle, s'est alliée à Bérénice de Saint-Honoré.

Gauthier serre les poings et manque d'arracher le tissu de son pantalon.

_ Je vais la tuer, éructe-t-il de rage.

_ Vous n'en ferez rien! S'indigne la Duchesse. Votre femme est issue d'une vieille famille qui a toute l'attention du Roi. Vous aviez tout pour faire une belle carrière dans l'infanterie, mais vous n'avez rien trouvé de mieux que de mettre en danger une jeune fille qui est deux fois plus jeune que vous. Vous l'avez mise en danger et pire! Le Roi est furieux contre vous!

Gauthier blêmit..

_ Sa Majesté est au courant?

_ Allons, vous côtoyez le Roi depuis des années et vous ne savez pas qu'il est maître en sa demeure? Célimène devait uniquement le servir et ne transmettre ses visions qu'à lui. Le Roi avait prévu de lui acheter un titre de Comtesse avec la terre qui va avec. Mais vous avez retardé ses desseins. Les visions de Célimène se sont troublées. Même si elle a prévenu Sa Majesté de ne pas se lier avec Bérénice de Saint-Honoré.

L'officier offre un visage torturé à la Duchesse de Châteauroux. Cette dernière est saisi. Elle se rend compte de l'amour que Gauthier porte à Célimène, aussi elle se radoucit un peu.

_ Le Roi vous pardonne, mais il vous demande de vous éloigner de Célimène ,afin de ne pas envenimer plus la vindicte de ses ennemies. Il a mis en place une protection pour elle.

Gauthier hausse un sourcil , étonné et ose demander:

_ Qui pro..

_ Thibalt de Rangueuil, assène la Duchesse. Sa Majesté a trouvé que c'était la meilleure protection pour Célimène.

Gauthier de Nahis se lève soudainement de son tabouret, si brusquement que le tabouret se renverse sur le sol avec fracas et s'exclame:

_ Non, pas ce duelliste ! Je veux divorcer d'Anne-Lise de Saëns. Je ne l'ai jamais aimé, laissez-moi protéger Célimène, supplie l'officier du Roi, se mettant à genoux devant son interlocutrice.

Cette dernière se montre froide et intime à Gauthier:

_ Rasseyez-vous! Allons! Ne perdez pas l'esprit.

L'officier, secoué, s'affale plus sur un autre tabouret qu'il ne s'asseoit. Il ferme les yeux, le corps agité de tremblements et les rouvre pour les poser sur la duchesse.

_ Est-ce que je dois m'éloigner de Célimène?

_ Oui, vous le devez. Laissez-la respirer, reprendre ses esprits et se tourner vers le Roi. Je ne vais pas vous apprendre qu'il est un maître jaloux.

Gauthier hoche la tête, vaincu.

_ Me permettra-t-il de divorcer si j'en émets la demande?

La Duchesse hausse un sourcil surprise et répond:

_ Il vous écoutera, mais prenez votre temps. N'oubliez pas qu' Anne-Lise de Saens vient d'une famille ancienne et écoutée.

Gauthier hoche la tête.

_ Il en sera fait selon les désirs de sa Majesté, mais j'en ferai la demande. En attendant, je souhaiterai repartir en mission, afin d'éviter d'approcher Célimène.

_ J'en ferai la demande au Roi, répond alors la Duchesse.

L'Officier du Roi salue la duchesse et se retire.

C'est alors que le valet personnel du Roi, l'homme qui murmure à l'oreille de Sa Majesté, sort de l'ombre et approche de la Duchesse.

_ Beau travail, Madame!

La duchesse sourit sans joie.

_ Vous transmettrez au Roi que cela ne me plaît guère de jouer les chaperonnes outragées, réplique-t-elle.

_ Malheureusement , il fallait les séparer. Célimène est plus en danger que vous ne le pensez, rétorque le valet, l'air inquiet.

_ Comment...

_ Nous avons fait porter un message chez Célimène, afin que Thibalt ouvre plus que jamais l'oeil. Il semblerait que Bérénice de Saint-Honoré et Anne-Lise de Saëns aient mis leur plan à exécution.

Alors que Gauthier quitte les appartements de la Duchesse, sa femme, Anne-Lise l'attend près de la porte. Ne la regardant pas, Gauthier descend les marches de l'escalier. Son épouse lui emboîte le pas, en colère et s'écrie:

_ Gauthier! Attendez!

Ne se souciant alors pas d'être en public, l'officier du Roi se retourne, un air menaçant sur le visage et murmure alors à l'oreille d'Anne-Lise:

_ S'il arrive quelque chose à celle que j'aime, vous devrez fuir pour sauver votre vie.

L'officier s'éloigne, le corps contracté et le pas pesant.

Anne-Lise de Saens reste quant à elle, tremblante face aux portes, le visage des courtisans tourné vers elle.