Chapitre 3 : La mission (partie 2/2)

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Un peu plus tard dans la journée, le vieux pirate du nom d'Efraïm vint la chercher. D’un simple “Viens”, il la mena à travers le pont principal jusqu’à une échelle gondolée. Sur le chemin, ils croisèrent des pieds ronflants dépassant des hamacs suspendus au-dessus des canons. Avait été installé, entre deux de ses armes de guerre, quelques tables sur lesquelles, certains grignotaient des restes avariés. Ils regardèrent passer le duo d’un œil mauvais. En bas des marches, la jeune fille sentit les gouttes parsemer son visage. Le vieux matelot passa le premier. D'autre aurait réfléchi avant de lui tourner le dos, mais pour un marin et pirate aguerri, une pauvre enfant, victime de malchance, n'était pas une grande menace. À mesure qu'elle gravissait les marches branlantes, le vent et les conversations des pirates lui parvinrent. Elle passa, alors, une tête hésitante dans l’ouverture menant au pont supérieur.

  • Dépêche-toi.

Le vieux pirate s’impatienta, en direction de la dunette. Sa barbe blanche, terminée par une petite tresse perlée, s'agitait sous la pluie. Lorsqu’elle mit un pied sur le pont, l’ambiance chuta. Ruth repéra les regards inamicaux s’arrêter sur son passage. Même les épaules rentraient, elle ne pouvait échapper à l’inspection inhospitalière. Elle trotta pour rattraper son guide, la tête aussi basse que possible.

Comme attendue, sous l'extension, était installé le bureau du capitaine. À l'intérieur, ce dernier était en présence du jeune homme avec lequel elle avait passé un petit moment plus tôt dans la journée. Dès qu’il l'aperçut, il se fendit d’un sourire presque enfantin. Plus en retrait, appuyé contre le mur, un homme à l’allure austère et carrée observait son entrée, le visage fermé. Une intuition dictait à tous ceux qui le croisaient, de rester aux aguets.

Ruth n’osa s’avancer plus que cela, intimidée. Le nez dans ses cartes, le capitaine ne lui prêtait pas attention. C’est tout juste s’il releva les yeux lorsque son second vint s’installer à côté de lui.

  • Tu te rappelles de la conversation qu’on a eu tous les deux, hier soir ?

Depuis sa place, Ruth bredouilla un petit oui. À l'exception du capitaine, les trois hommes l’observaient. Son ventre se noua un peu plus, c'était comme passer au tableau mais en pire. Sans se relever, le chef des brigands lui fît un geste de la main. D’un pas incertain, elle contourna le large bureau en bois massif. Le plus jeune de la bande, Noah si elle se souvenait bien, s’écarta pour la laisser passer. Le sourire toujours en place, au point que Ruth se demanda s'il n'avait pas un problème aux zygomatiques. Quand elle arriva près du capitaine, il lâcha enfin sa lecture pour la regarder. Son regard la sonda, comme pour juger de sa fiabilité. Son introspection terminée, il attrapa un objet traînant sur la carte étalée et le lui tendit. Posée au centre de sa petite paume, la pièce d’or était chaude à force d’être manipulée.

  • Un de mes confrères m’a doublé sur un gros coup que l’on avait préparé avec attention. Nous n’avons pas retrouvé celui qui a vendu la mèche mais qu’importe, puisque tu es là, on va pouvoir reprendre ce qui est notre. Trouve-le nous, oui ?

La fillette observa la pièce sous tous les angles à la lumière de la lanterne suspendue. L’or noirci était un peu terni mais son éclat arrivait à transpercer la couche de saleté.

  • Dis moi Ruth, je m'interroge, comment fonctionne ton don ?

La petite fille se retourna vers le jeune pirate, surprise d’entendre son nom. Vrais, elle le lui avait donné mais fallait-il vraiment qu’il l’utilise ? Les grands yeux clairs semblaient vouloir la disséquer. Elle n'eut pas le temps de lui répondre comme le capitaine laissa échapper un reniflement bruyant.

  • Qu'as-tu dis ?
  • Son nom, capitaine. Ruth. C’est elle qui me l’a donné.

Une notion qu'il eut du mal à digérer. Son second aussi tirait une expression d'incompréhension. Voilà bien trop longtemps qu'ils chassaient cette Promise du Diable. Dans leurs esprits elle avait pris toutes sortes de formes, même si son âge avait été évoqué. Il était difficile de faire correspondre l'image fantasque d’une fiancée démoniaque avec celle fluette de l'enfant.

  • Très bien, Ruth -le capitaine fut rouler la voyelle comme pour mieux l'intégrer- où est le trésor qui accompagne cette pièce ?

Le visage de Ruth pâlit mais elle fit tout pour garder une expression de marbre. Pour éviter de lui répondre, elle se mit à manier la pièce entre ses doigts.

  • Ruth, tout va bien ?
  • Je.. je cherche, bredouilla-t-elle dans son menton.
  • Et bien, trouves-tu ? pressa le vieux marin, et comme Ruth ne répondit rien, un éclat de colère fila dans sa voix.
  • Et si elle nous mentait. La filoute essaye peut-être de se jouer de nous ! Sûrement qu’elle est incapable de le trouver !
  • Si j’en suis capable ! se défendit-elle, avant de terminer d’une petite voix : Mais c’est plus compliqué que ça.

Voilà des mots que le capitaine ne désirait pas entendre.

  • Qu’est-ce qui est compliqué ? Parles ! Ou je jure que tu peux faire une croix sur ton repas ce soir.
  • J’ai pas trop essayé sur des gros trucs. D’habitude je cherchais plus de quoi manger, ou des pièces perdues. Ce genre de choses quoi.

En voyant le capitaine s'effondrer au fond de son fauteuil dans un râle, la petite fille croit bien voir son repas, ses vêtements chauds et sa couchette douillette, lui passer sous le nez. Se joua alors une scène inattendue : ce n’est pas le jeune pirate aux airs doux qui contrôla l’agacement du capitaine, mais son second. Le vieil homme lui intima, d’un air soutenu, d’être conciliant. Après une minute d’échange le capitaine se résilia d’un grognement. Mais elle n’était pas sortie d’affaire, car il gronda ensuite, d’une voix où les menaces prononcées pesaient tous leurs poids :

  • T’as deux jours pour me donner une direction. S’il s’avère qu’elle ne sert qu’à nous occuper, t’auras affaire à moi. J’ai mille idées pour te punir sans que le Diable se ramène. T’as compris ?

La fine silhouette acquiesça vigoureusement, la salive coincée dans la gorge.

  • En attendant, tu aideras Meredith aux cuisines. Pas question que tu traînes sans rien faire. Elle doit être prise aux fourneaux justement, vas-y.

C’est aussi le vieux marin qui la guida dans le silence jusqu'à la cuisine. Pour se faire, ils re traversèrent le pont extérieur et le pont principal. Et comme la première fois, ses gestes étaient suivis avec attention. Ruth fut plutôt soulagée d’arriver devant les cuisines. Efraïim repoussa la porte d’une main, le corps aplati contre la paroie pour la laisser passer.

  • Meredith, appela-t-il.

La femme, que Ruth avait vu la nuit de son arrivée, se retourna. Les mains ensanglantées, elle lui fit signe d’avancer.

  • Ça tombe bien, j’ai besoin d’aide pour le feu.

Avant qu’elle n’entre, le pirate lui retint l’épaule.

  • N’oublies pas ce que le capitaine t’as demandé.

Toujours sans prononcer un mot, elle opina. Loin d’oublier la mission cruciale dont sa vie dépendait. Dans sa manche, son pouce traçait le chemin du motif en relief.

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