Chapitre 3 : La mission (partie 1/2)

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La porte de la cabine s’ouvrit sur un capitaine agité. Le manteau et le tricorne ruisselant. Dehors l’orage gronda pour accompagner son humeur maussade. Dans son lit, le petit esprit embrumé se crispa sous l’intrusion soudaine ; en alerte, elle attendit le moment où il s’emporterait contre elle. Après avoir farfouillé dans ses affaires, le bruit de la porte frappant son cadre résonna.

Ayant échappé à la rouste, la jeune fille se redressa, peu encline à quitter le confort de son lit. Elle aurait voulu que la nuit dure, repousser encore quelques heures le moment où elle devrait batailler pour survivre. Jusqu’à quel point allait-elle garder les bonnes faveurs de son protecteur et nouveau patron ? À contrecoeur, elle finit par dégager la couverture pour s’asseoir au bord du lit. Il ne lui semblait pas une bonne idée d’aller vagabonder sans autorisation. En attendant qu’on vienne la chercher, elle jetta un œil à la chambre. Comme elle l’avait constaté la veille, elle n’était pas très grande, ou alors très encombrée. Son lit était une simple caisse de bois comparé au lit d’alcôve ouvragé du capitaine. Depuis ces derniers, il suffisait de quelques pas pour atteindre la rangée d’étroites fenêtres qui ornaient le mur opposé à la porte. Au centre de la pièce, une table faisait office de bureau et de débarras. Des monticules de paperasses et d’objets en tout genre s’y entassaient.

Chaque heure passée dans les quartiers du capitaine, voyait naître une nouvelle idée sur la manière dont sa vie pouvait sombrer encore plus. Rien de plus facile à imaginer avec toutes les histoires sordides qu'on lui avait racontées. Ou les airs défaits des enfants et adolescents, à peine plus âgés, ramassés pour être vendus. Un jour, un homme avait pris un malin plaisir à lui décrire son prochain acquéreur après avoir surpris une conversation entre le marchand et son second. Hier encore, elle pensait à la chaîne dorée dont on allait la parer.

Le capitaine revint en milieu de journée, un jeune homme à la tenue impeccable entra à sa suite. Elle avait eu le temps de fouiller la pièce, mais n’avait pas osé toucher aux objets. Ses années d’éducation au pensionnat lui avaient donné des réflexes d’enfant sage, le souvenir de terribles châtiments encore ancrés dans son jeune cerveau. C’est cela qui lui défendit de prendre le lourd poignard traînant sur la table. Un peu parce ce plan incluait qu’il lui faudrait se battre contre le capitaine et tout son équipage, ce dont elle doutait être capable. Lorsqu’il l'aperçut, le capitaine laissa échapper un petit rire dans sa barbe bien taillée avant de le ranger.

Contrairement à lui, le pas de l’inconnu était presque indolent, bien qu’assez vif pour suivre le capitaine. Le regard curieux, il l’observait ouvertement, un sourire flottait sur ses lèvres et adoucissait ses traits. Ses cheveux étaient retenus d’un simple catogan et, à l'instar du capitaine, ses vêtements étaient secs.

  • Je ne le trouve pas, j’étais sûr de l’avoir rangé là. Tiens, cherches toi !

L’homme huma en guise de réponse. Le regard toujours fixé sur elle, il le rejoignit de son pas nonchalant.

  • Je dois retourner auprès des autres, tu n’auras qu’à passer tout le truc à ton frère quand tu auras trouvé. -Avant de sortir il se rappela la petite présence et son rôle de figure d’autorité- Toi, ne bouge pas d’ici, compris ?

Assise sur le bord de son lit, la jeune fille se contenta de hocher la tête. La lumière du jour était meilleure qu’hier, sans nul doute avaient-ils navigué toute la nuit pour sortir de la tempête. Le silence demeura un moment. Il y avait une petite horloge sur l’unique penderie de la chambre, son cliquetis marquait chaque seconde d’une épouvantable langueur. De son côté, le nouveau venu murmurait en lisant, le regard volant de page en page, à la recherche d’un lien quelconque. Maintenant qu’il était concentré, il semblait l’avoir presque oublié.

  • Sais-tu lire ?

La question, sortie de nulle part, la laissa sans voix.

  • C’est un oui ou un non ? J’ai besoin d’aide avec ses documents, le capitaine écrit comme un goret. Tu veux m’aider ?

Comme la veille, la fillette prit place sur la chaise en bois et attendit qu’il lui remette ce travail. En la voyant s’installer avec la crainte d’un chat frileux mais trop curieux pour l’ignorer, le jeune homme ricana.

  • Très bien, tu vas me lire ceci pendant que je retranscris ça. Comme ça je saurais si c’est pertinent et si je dois aussi le ré écrire.

Le carnet posé devant elle était recouvert de notes sans queue ni tête. Elles serpentaient tout autour des pages, étaient griffonnées, raturées, soulignées.

  • Je commence par où ? Osa-t-elle demander, intimidée.
  • Par là où tu veux !

Avec ses connaissances un peu rouillées et à parfaire, elle déchiffra l’écriture hasardeuse du capitaine dont elle apprit le nom : Arthur Barrow. Il s’était appliqué pour l’écrire de ses plus belles cursives sur la première page. L’inconnu la reprenait sur les mots avec patience, comme le faisaient ses anciennes tutrices. Sans pour autant la réprimander sur son incompétence. Il fallait dire qu’elle peinait dans cette discipline dont elle avait freiné l’apprentissage en s’échappant. Un homme rabattit la porte avec violence, le souffle court. Ils observèrent une courte seconde de silence, pendant laquelle l’interrupteur assimila la scène saugrenue. Des mèches crasseuses collaient à son visage.

  • Ton frangin te réclame ! il finit par déclarer.

La présence de l’enfant le mettait terriblement mal à l’aise. Après ce qu’il avait vu la veille, il se méfiait au point de craindre d’être dans les mêmes parages qu’elle. Une situation qu'elle avait déjà maintes fois vécu, à l'exception du jeune pirate à qui elle faisait la lecture.

  • J’arrive, j’ai justement fini !

D’un air satisfait, ce dernier attrapa une page sur laquelle il fit crisser, une dernière fois, la plume.

  • Merci de m’avoir tenu compagnie. Comment dois-je appeler ma nouvelle amie ?

La prudence retenait sa langue, mais l’air doux et patient qu’il affichait eut raison d’elle, incapable de se montrer impolie.

  • Ruth, finit-elle par prononcer du bout des lèvres.
  • Il va falloir parler plus fort, tu as le timbre d’une petite souris.

Ou bien s’était lui qui faisait trop de bruit. S'éclaircissant la voix, la petite fille le répéta un peu plus fort.

  • NOAH ! intervient une voix mature, depuis le pont extérieur.
  • Et bien, je te dis à très bientôt. Ce fut un plaisir Ruth !

Et, de sa démarche tranquille, il sortit. Sur sa chaise Ruth resta un moment à fixer la porte. Pour un peu elle croirait l’avoir rêvé. Les heures passèrent plus vite, occupées à déchiffrer le petit carnet. Il n’y racontait rien d’important mais pour Ruth, c’était surtout l’exercice de lecture qui l'intéressait.

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