Chapitre 4 : Tic-tac

7 minutes de lecture

Il n'avait absolument pas changé. Son visage, sa stature, même le timbre de sa voix était resté le même. Son regard en revanche, était révélateur d'une folie inextricable que je n'avais su soigner.

Dix ans auparavant

— Bonjour M. Marshall

— Salut Brandon, entre, je t'en prie. Alors comment ça a été cette semaine ?

— Cela fait trois ans aujourd'hui. Comme vous le savez, c'est toujours une période difficile. J'essaie d'avancer tant bien que mal.

— As-tu déjà pensé à trouver quelqu'un d'autre ? Depuis la perte de Clarisse, je veux dire.

— Non, je ne pense pas en être capable docteur. Je... elle était tout pour moi. Je ne suis plus vraiment moi-même depuis sa disparition. Et la pression de ma famille pour que je suive leurs principes religieux n'aide en rien !

— Je vois. As-tu tenu un carnet comme je te l'ai conseillé ?

— Oui, tenez.

— "Aujourd'hui encore, j'y pense, pourtant quelque chose a changé. J'ai l'impression que le souvenir que j'ai d'elle s'efface peu à peu, laissant place à des rêves et des récits. Quelles preuves ai-je de l'avoir déjà rencontrée, je sais qu'elle a existé, mais elle pourrait tout aussi bien ne jamais avoir été." Brandon, tu es...

— Et bientôt je ne serai plus docteur ! Suis-je donc le seul à m'en rendre compte ?! Ces putains d'imbéciles se foutent sur la gueule, rient, pleurent. Conversent sur des sujets qu'ils ne maîtrisent pas, se pavanent dans leurs voitures hors de prix, le cou orné de bijoux. Mais ils crèveront bientôt, comme nous tous ! Il ne restera rien à la fin M. Marshall, rien, et personne ne nous sauvera.

— Brandon, ne pense pas au futur. Seul compte le présent, ce que tu fais à l'instant T, tu comprends ?

— Comment voulez-vous que j'y parvienne ? Le temps accélère, je le sens. Plus rien n'a de sens, pas la moindre consistance. Je me lève, je me couche. Comme le soleil. Et demain, je mourrai, je mourrai, je mourrai. Docteur, si j'avais su que le monde était ainsi, je ne me serais pas précipité à la naissance.

— Écoute-moi bien Brandon, il n'est pas encore temps pour toi de tirer des conclusions, les bilans se font en aval et non en amont. Pour le moment, vis !

Dans le présent le 21 décembre à 15h51

Brandon Collins s'approchait lentement, son anorak trempé m'indiquait qu'il venait tout juste de rentrer. Restait que j'avais perdu l'effet de surprise. Que devais-je faire en pareille situation ? Il posa sa veste à même le sol, puis répéta l'opération avec son sac, après en avoir précautionneusement vérifié le contenu.

— Bon sang, il suffit que je mette le pied dehors pour que cette fichue pluie apparaisse !

Ses cheveux étaient plus longs que dans mes souvenirs, sa barbe également, mais les différences s'arrêtaient là. Pas une ride en plus, pas un cheveu blanc.

— Reste où tu es Brandon !

Son attention se porta à nouveau sur moi, il reprit sa marche. S'avançant d'un pas nonchalant et décontracté, le criminel semblait apparemment totalement désarmé. D'un geste vif, je me saisis d'un marteau crasseux sur la table basse, sans le quitter des yeux.

— Que faites-vous ici Mr Marshall ? dit-il, amusé.

Sa voix oscillait entre les graves et les aigus. Anxieux à l'extrême, il ne cessait de faire claquer ses phalanges à l'aide de ses pouces. Ses symptômes, bénins à l'époque, avaient, depuis lors, pris une toute autre ampleur.

— Je savais que quelque chose clochait quand j'ai vu Spencer se balader dans le jardin, mais pour être honnête, je n'aurais jamais imaginé qu'il s'agissait de vous. Je ne savais pas que vous étiez devenu flic haha, vous avez un mandat au moins ?

À mesure que la distance entre nous s'amenuisait, mon rythme cardiaque accélérait. Je me préparai à porter le premier coup au moindre mouvement suspect de sa part.

— Vous étiez plus bavard à l'époque. Et moi qui croyait que vous pourriez enfin m'apporter des réponses. Tic-tac tic-tac Mr Marshall, le temps est écoulé.

À cet instant, son regard devint plus agressif, ses yeux perdirent leur éclat et il s'élança.

Brandon tenta de me saisir le cou, mais son assaut fut précipité, bâclé, résultat de son éternelle impatience. J'esquivai, avant de lui porter un violent coup de masse derrière la nuque. J'avais agi par réflexe, sans prendre le temps de maîtriser ma frappe. Les effusions de sang semblèrent danser sous mon regard médusé, à mesure que je prenais conscience de ce que j'avais fait. Mon adversaire s'écroula lourdement sur le sol, inerte. Je ne savais que penser, mon rythme cardiaque était devenu incontrôlable et mon cerveau dysfonctionnait. Je restai pantois, fixant le corps sans vie de mon premier patient. Du moins, c'est ce que je pensais avant qu'il ne se relève tel un enfant tombé de sa bicyclette. Après avoir effectué quelques pas d'une démarche incertaine, le revenant se mit à rire frénétiquement, une hilarité maladive.

— Surpris ? Nous ne vivons plus dans la même réalité, docteur.

Pour la première fois depuis le début de ces étranges événements, je tremblais d'angoisse. Les quelques doutes qui demeuraient encore dans mon esprit venaient de disparaître. Rien de tout cela n'était naturel, j'en avais à présent la certitude !

Cette fois, ce fut moi qui attaquai le premier. Je frappai en continu et sans ménagement, mais mes coups étaient amples et surtout, empreints de nervosité. Je brassai l'air pendant de longues secondes, incapable d'atteindre l'insaisissable Collins qui, tel un reptile, faisait onduler son corps au rythme de mes mouvements. Certes, le marteau était lourd et difficilement maniable, mais cela ne semblait pas lui demander le moindre effort. Lorsqu'il fut lassé de ce jeu de la taupe, il me transperça d'une puissante frappe au niveau du foie puis d'un uppercut au menton. Je me crispai de douleur, titubai et tombai enfin à terre, entraîné par le poids de mon arme.

— Ce coup m'aurait tué vous savez Mr Marshall ?!

Il avait hurlé cette dernière réplique tandis que je m'efforçais vainement de retrouver l'équilibre. Je n'étais pas un combattant aguerri et ces deux frappes successives m'avaient littéralement cloué au sol, je ne parvenais plus à respirer, en conséquence de quoi le dioxygène avait cessé d'irriguer mes organes. Mes sens seraient hors d'usage pour encore un moment. Le souffle court, j'entendis pourtant un son métallique se mêler à mes plaintes. Brandon venait de libérer la pauvre âme qu'il avait mutilée et retenue de force dans son sordide repaire. La jeune femme, à peine consciente, rampait en direction de la sortie sous les yeux de son ravisseur qui ne lui prêtait déjà plus attention. J'étais devenu sa nouvelle proie. Un crochet du gauche à la mâchoire, un coup de genou destructeur à l'abdomen et mon début de récupération fut réduit à néant. Sonné, Je ne pus opposer de résistance lorsqu'il me traîna jusqu'aux chaînes d'acier, pas même lorsqu'il me saisit le poignet afin d'y glisser l'une des entraves.

— Restez calme M. Marshall, c'est presque terminé.

En effet. Je comprenais mieux la confiance exacerbée de mon adversaire, qu'avait-il à craindre de moi si la mort elle-même n'était plus son ennemie ? C'est pourtant cette confiance qui l'empêcha d'anticiper le coup de tête que je lui administrai. Le choc fut tel que l'assassin en perdit pied, faisant tomber un trousseau de clés que je m'empressai d'attraper. La première ne rentrait pas... la seconde non plus... Oui ! La troisième me libéra. Brandon s'était déjà relevé, son arcade sourcilière ensanglantée ne semblait pas l'irriter davantage que son crâne fêlé. Il s'approcha, réitéra son enchaînement d'uppercuts, mais sa tentative resta cette fois infructueuse. Pire, il venait de perdre deux doigts.

— Cette lame, où l'avez-vous trouvé ?! C'est donc bien elle qui vous envoie, je la savais proche mais...

Sa phrase resta inachevée, car ,de ses plaies, s'échappa soudain une lumière aveuglante, comme si l'intérieur de son corps en était intégralement constitué.

— Merde, merde, merde !

Paniqué, il se rua vers le sac qu'il avait posé plus tôt, mais trébucha sur sa victime qui avançait toujours péniblement vers la sortie. Je ne laissai pas passer l'occasion, plus à l'aise avec le poignard, je bondis dans sa direction et le plaquai au sol avant d'amorcer un coup qui, nous le savions tous les deux, lui serait fatal. Affaibli par ses blessures, le tueur ne faisait que repousser l'inévitable en luttant contre l'inexorable avancée de la lame vers sa poitrine.

— La pesanteur est de votre côté docteur. Mais dites moi, que vous a-t-elle promis ? La fortune ? La célébrité ? L'immortalité peut-être ? Réfléchissez, regardez-moi. Pensez-vous que cela en vaut la peine ?

Alors que la pointe transperçait déjà son thorax. Sa voix se fit plus nerveuse, insistante.

— Répondez au moins à cette question ! Quelle conclusion dois-je tirer de tout cela ?

J'ignorai quoi lui répondre, le poignard s'arrêta, recula avant de se plonger dans le coeur de Brandon Collins. Mes mains tremblèrent mais elles ne furent pas les seules, elles étaient accompagnées par celles de la demoiselle fraichement libérée. Cette dernière ne tarda pas à perdre connaissance. Compréhensible au regard du cauchemar qu'elle avait vécu. J'observai le corps de l'assassin, m'attendant presque à le voir se relever à nouveau, mais alors que je pensais ne plus pouvoir être surpris de rien. Le cadavre s'illumina avant de disparaître sous mes yeux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Dreamdyl ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0