Altena Streamline 1500

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Lundi 10 juin - Corfu Palace

19h27.

Elle n’avait pas été aussi anxieuse depuis… depuis New York.

Elle se détailla une dernière fois dans le miroir du hall de l’hôtel. Elle était parfaite. Enfin presque. L’énergie vitale du pêcheur lui avait rendu une jeunesse que le destin inexorable grignotait déjà. Sa fin était proche. Elle était condamnée, le sentait et l’acceptait. Sa fuite en avant n’avait plus aucun sens et devenait dangereuse. Son sillage était parsemé de cadavres toujours plus nombreux. Tôt ou tard, elle serait capturée, emprisonnée. À la fin, elle se recroquevillerait, vieillissant peu à peu jusqu’à… Elle ne savait pas ce qu’il adviendrait alors.

En apercevant Neal s’avancer dans le hall de l’hôtel, elle fut frappée par son regard inquiet et préoccupé. Il dévisageait les clients à la recherche de son rendez-vous. Il semblait avoir pris une bonne dizaine d’années depuis New-York. Ses tempes avaient grisonné. En temps normal, obnubilée par sa quête de spécimens jeunes et robustes, elle ne se serait pas retournée sur lui. Pourtant, il dégageait quelque chose de terriblement séduisant.

Elle s’ébroua. Il lui fallait garder la tête froide.. Neal était avant tout un serial-killer, un tueur de femme ! Il devait payer.

D’un pas déterminé, elle se leva et se dirigea vers lui.

Neal s'arrêta un instant en la reconnaissant. Ses yeux parcoururent rapidement les alentours, à la recherche d’une échappatoire ou redoutant d’éventuels agents prêts à lui mettre la main dessus. Mais le hall s’était vidé. Le réceptionniste, occupé au téléphone, ne leur prêtait aucune attention.

« Comment m’avez-vous retrouvé ?

— Fisher m’a dit que vous étiez en Grèce. J’ai supposé que vous étiez toujours dans le commerce de bateaux. Depuis deux semaines, je contacte tous les représentants des sociétés de nautisme.

— Depuis tout ce temps ! Vous me voulez quoi ? »

Le regard de Neal était dur et son ton agressif.

« Je ne veux pas acheter de bateau, si c’est la question que vous vous posez. Je voulais juste vous revoir.

— Vous me voulez quoi ? répéta-t-il, sur la défensive.

— J’ai un goût amer en bouche depuis notre dernière rencontre. Je n’ai pas l’habitude d’être éconduite quand je fais de l’effet à un homme, encore moins quand celui-ci me plaît. »

Il se radoucit. Le compliment avait fait mouche. Le regard de Neal se promena négligemment sur son décolleté. Son instinct de chasseur se réveillait alors même qu’il était la proie venant d’être ferrée. Il riva son regard au sien.

« Écoutez, votre appel m’a fait perdre une affaire. Ma journée fructueuse prend une toute autre tournure à cause de vous. Je ne vois qu’un seul moyen de vous faire pardonner. »

Une lueur malicieuse naquit dans son regard brûlant avant qu’il ne reprenne :

« Buvons un verre et appliquez-vous à me faire oublier cette occasion manquée durant la soirée. »

Avec tout autre que lui, elle se serait sentie insultée et l’aurait fait payer cher. Mais le regard de Neal l’hypnotisait. Elle percevait les phéromones que dégageait cet homme et, de nouveau, elle s’imagina le chevauchant. Il était hors de question qu’elle le laisse lui glisser entre les doigts une seconde fois.

« Le moins que l’on puisse dire, c’est que vous ne doutez pas de vous ! Je ne suis pas venue jusqu'ici pour vous laisser si vite et je suis persuadée d’avoir les atouts qu’il faut pour vous faire oublier toutes les affaires du monde. À vous de saisir votre chance, cher Neal. »

Elle avait appuyé le « cher Neal » d’un regard éloquent, basculant légèrement sa poitrine en avant.

« Très bien… Hélène ? »

Elle éluda la question d’un sourire malicieux. Il reprenait confiance.

« Mon bateau est amarré dans le port. Nous y serons plus tranquilles. J’y garde toujours une bouteille de rhum au frais pour sceller les contrats.

— Un contrat ! Vous ne perdez pas de temps.

— Il me semble que nous en avons déjà assez perdu. »

Neal lui prit la main et la porta délicatement à ses lèvres. « Allons-y, souffla-t-il. Nous en mourons d’envie tous les deux… »

Comme à New York, ce contact l’électrisa. Un doux fourmillement parcourut son épiderme pour venir se loger dans le creux de son ventre.

Elle était excitée. Non plus par la chasse, pas même par la conscience de la victoire toute proche ou celle de sa faim de sève. Non. Elle était viscéralement, physiquement, émotionnellement excitée par cet homme.

Dans la rue, il fit signe à un taxi. Elle sentait sa chaleur à travers l’étoffe de la chemise de Neal. Seul le regard indiscret du chauffeur dans le rétroviseur l’empêchait d’être plus pressant. Cinq minutes plus tard, ils arrivèrent devant un magnifique quinze-mètres, un Altena Streamline 1500 – modèle de démonstration. Décidément, le négoce nautique n’offrait que des avantages.

« Bienvenue chez moi », fit Neal en l’aidant à franchir la passerelle.

La porte étanche à peine fermée, il l’empoigna par la taille. Impossible de résister à ses bras puissants. Elle n’en avait aucune envie. Les lèvres de l’homme se promenèrent un instant sur son cou, mordillèrent son oreille, frôlèrent sa tempe. Elles se posèrent enfin sur les siennes. Neal n’eut pas à forcer sa bouche qu’elle brûlait de lui offrir. Il l’enserra plus fort. Plus rien ne pouvait lui arriver. Elle eut une pensée furtive pour toutes celles qui s’étaient retrouvées blotties contre sa poitrine. C’était donc ainsi que Neal procédait ! Un boa constrictor dont l’emprise vous donnait une fausse impression de sécurité, une bouche comme une caresse qui vous ôtait toute volonté, un magnétisme qui vous abandonnait à sa merci, une lente hypnose, tendre et douce.

Elle se reprit. Elle devait garder les idées claires.

Les mains de Neal firent glisser chacune des bretelles de sa robe sur ses épaules, aussitôt recouvertes de baisers envoûtants.

Elle bascula la tête en arrière et aperçut son reflet dans le miroir. Ses traits commençaient à tirer.

« Baissons la lumière », souffla-t-elle.

Il frôla l’interrupteur du doigt, tamisant le plafonnier et la serra plus fort encore. Une main plaquée dans son dos nu, l’autre caressant ses épaules découvertes. Leurs corps, leurs regards rivés dans la pénombre romantique, leurs souffles saccadés ; ils n’étaient plus que désir. Brusquement Neal la bascula dans ses bras. Elle échappa un petit cri de surprise, mais se laissa porter, légère comme une plume. Il la déposa sur le lit.

« J’ai très envie de vous, murmura-t-il d’une voix rauque.

— Je vois ça », sourit-elle avant de lui voler ses lèvres.

Elle n’avait pas peur. Comme les autres, il partirait en douceur. Elle n’allait pas lui donner la mort, elle ne prendrait que sa vie.

Les mains de Neal s’égaraient sur son corps, sa bouche en explorait chaque parcelle. À mesure qu’il faisait glisser sa robe, il la recouvrait de baisers chauds et sensuels, laissant parfois sa langue goûter sa peau.

À son tour, elle entreprit de déboutonner sa chemise, dévoilant un torse dessiné à la perfection et parsemé de quelques poils autour des mamelons. Elle s’empressa de les embrasser. Ses mains glissaient sur le corps de Neal, dans son dos. Elle s’extasiait de tant de sensualité. Jamais elle n’avait si ardemment désiré un homme. Pourquoi fallait-il que cela ne dure qu’un instant ?

Son buste était maintenant à nu. Elle offrait à Neal sa poitrine gonflée, ses pointes tendues vers sa bouche qu’elles appelaient. Un nouveau regard brûlant. Neal la dévorait. Il posait des papillons qui voletaient délicieusement de ses seins vers son ventre.

Elle s’abandonnait, lascive. Il poursuivit son exploration vers ses cuisses, ses mains s’engageant à l’orée de son intimité. Elle retenait son souffle. Le plaisir monta très vite et la submergea. Elle s’entendit gémir sous les caresses de Neal qui la goûtait avec passion. Celui-ci, apparemment satisfait, revint s’allonger près d’elle. Elle profita de cet instant pour reprendre ses esprits. Les mains de Neal se firent plus directives. Elle fut tirée de sa torpeur lorsqu’il guida fermement ses hanches, lui intimant de se redresser.

Elle obéit, docile, et poussa un gémissement de surprise quand Neal s’introduisit en elle en un mouvement. Le plaisir montait à nouveau. Elle se cambra, creusant les reins pour s’offrir davantage. Chaque coup de boutoir provoquait en elle une multitude de sensations nouvelles. Il accéléra la cadence. La tension montait d’un cran chaque fois que son sexe s’enfonçait. Elle avait chaud, très chaud. Elle se laissait aller. Mais son instinct la rappela à l’ordre : la magie fonctionnait quelle que soit la position, mais elle avait ses rites. La soumission n’en faisait pas partie. Elle aimait garder le contrôle, plonger son regard dans celui de sa proie au moment ultime. Elle aimait voir son âme en cet instant magique. Dans ses grands yeux gris étincelants, le spectacle serait fabuleux.

Elle se retourna :

« Allonge-toi, laisse-moi me faire pardonner. »

Neal obtempéra après un instant d’hésitation. D’un baiser passionné, elle effaça ses réticences à laisser une femme prendre le dessus puis l’enjamba. Elle le glissa en elle centimètre par centimètre, étirant le temps à l’infini. Sans le quitter des yeux, langoureuse, elle commença à se balancer.

Il posa ses mains sur ses hanches et suivit le mouvement du bassin. Ils dansaient. Une transe envoûtante qui les nimbait l’un et l’autre d’une atmosphère sensuelle et les emportait.

Le regard de cet homme était si différent. Il la pénétrait, la transperçait jusqu’au tréfond de son âme. Elle ne voyait plus la proie. Elle ne voyait plus le prédateur. Elle le voyait lui, Richard Neal. Elle était entrée en lui comme elle le sentait en elle.

Machinalement, tout en accentuant le rythme de son déhanché, elle avait commencé à fredonner. Elle réalisa soudain que si elle aspirait sa vie, jamais plus elle ne retrouverait pareille harmonie ! Un tel sentiment de plénitude. Aucun homme ne saurait remplacer Neal !

Subitement, elle se tut et tenta de se dégager. Une force la maintenait rivée à Neal. Il fredonnait également. Ces mots, cette mélopée, elle les connaissait. C’était la sienne !

Il se balançait en elle. Le plaisir montait de plus en plus fort. Elle devait se contrôler. Elle ne voulait pas le perdre. Neal ferma les yeux, le souffle court. Elle sentit de violents spasmes la parcourir de l’échine jusqu’au cou puis redescendre dans son sexe. Elle jouit vraiment pour la première fois depuis des siècles… depuis…

Non !

Il était trop tard. Neal, dans un dernier soupir d’extase, s’était totalement détendu. Il avait cessé de bouger. Elle le regardait, le cœur au bord du désespoir. Elle se sentait rajeunie comme jamais, mais seule. Effroyablement seule : elle venait de le perdre. L’unique homme qu’elle eût jamais aimé.

***

« Douce ondée de plaisir

Oh toi que j’aime tant

Montre-moi ta magie

Inverse le temps

Rends-moi ce qu’il m’a pris

Guéris mes blessures

Abroge mon agonie :

Et ce destin impur.

Rends-moi ce qu’il m’a pris :

La jeunesse éternelle,

Fais-moi immortel. »

Non, pas ça, pas elle !

Il était trop tard. Il se sentait revigoré, rajeuni comme jamais. Mais seul, désespérément seul. Il venait d’ôter la vie à l’unique femme qui eût jamais fait vibrer son âme.

Il rouvrit les yeux, réalisant soudain qu’elle ne s’était pas affaissée comme elle aurait dû. Elle était là, radieuse, plus belle qu’elle ne l’avait jamais été. Elle l’observait comme si c’était la première fois qu’elle le voyait. La mélopée, il l’avait entendue. Elle avait chanté elle aussi !

Elle semblait avoir vingt ans. Une image furtive lui apparut soudain. Ce visage, New York n’avait pas été le premier endroit où ils s’étaient rencontrés. Moscou, la jeune femme qui l’avait si sèchement écarté au Pacha Moscow, c’était elle. Leurs chemins n’avaient cessé de se croiser.

« C’est impossible. Je suis le dernier.

— Qui es-tu ?

— Je suis… C’est…

— Je sais ! Mon prénom est Irmgard.

— Irmgard ? Je devrais comprendre ?

— Tu dois être Elof, n’est pas ?

— Comment connais-tu mon nom ?

— Ton nom…

I R M G A R D E L O F

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