Les Oubliés

de Image de profil de Héloïse S. MrchllHéloïse S. Mrchll

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La ville n’avait jamais eu de nom, me souvins-je. Ni d’histoires propres à elle-même. C’était une ville oubliée de tous, ou presque, qui ne subsistait que par quelque magie que j’étais bien en peine d’expliquer malgré les trop nombreuses fois où je m’y étais rendu. De nuit comme de jour demeurait-elle d’un gris insipide, recouverte d’un voile nuageux que rien ne semblait pouvoir transpercer, ni la lumière d’un soleil inexistant ni la main bienveillante de quelque dieu empli de miséricorde. Et éternellement le ciel déversait ici une pluie torrentielle qui n’en finissait pas d’assombrir le paysage, comme si celui-ci n’était déjà pas assez obscur.

Je m’arrêtai un instant à l’entrée de la ville, parcourant des yeux les ombres qui m’entouraient, apercevant de temps à autres le simulacre d’un être ou d’un bâtiment que la pluie ne me cachait pas entièrement. Je baissai un instant les yeux vers le sac que je tenais à la main, lourd d’un poids qui s’était allégé depuis peu, aussi froid et immobile que ce que j’étais venu apporter ici. Redressant le parapluie qui me protégeait du déluge perpétuel, je relevai les yeux et entrai dans la cité d’un pas monotone, las du devoir qui était le mien.

Aussitôt croisai-je quelques passants qui erraient de ci de là sans véritable but, déambulant simplement car c’était là la dernière chose qui leur restait à faire. Une dizaine de parapluies boitants ou traînant leur manche, leur toile percée, déchirée en de multiples endroits, le fer de leurs tiges tordu, rouillé, disparu pour certains cas, le bois de leur support rongé par les termines, le plastique affaissé de moisissure. À mon passage tous tournèrent vers moi leur toile abîmée, admirant avec envie le parapluie qui était le mien, certes ancien mais encore en excellent état, manipulé qui plus est, à l’inverse d’eux autres oubliés qui comme le reste de cette cité avaient été menés ici pour y croupir.

Un bruit ignoble de fer déchiré me parvint alors, bientôt suivit d’une giclée d’étincelles survolant la chaussée mi pavée mi éclatée de nids-de-poule. Apparut alors un véhicule d’un autre temps, rongé par la rouille jusqu’au plus profond de sa carcasse, les deux roues du côté gauche manquant cruellement à l’appel. Elle passa en sens averse à toute allure, suivie d’une autre voiture aux pneus fondus et à la carlingue couverte d’une suie noire qui rien ne pourrait effacer, les phares avant brisés pour n’en laisser que des morceaux de câbles.

Je détournai les yeux et poursuivis mon chemin dans le silence que seule la pluie battante brisait dorénavant. Dans la noirceur du paysage, un néon d’un rose passé clignota sauvagement, crachant de temps à autres quelques cris d’électricité mal traitée. Dans la lumière diffuse quoi que pauvre du néon à l’abandon se tenait un chat, son ombre aussi grise que le reste de la place. De tout ce que je pus voir de lui constatai-je seulement qu’il était famélique, pour ne pas dire rachitique, décharné, meurtri dans sa chair trop maigre où ne pointaient que les os sous son poil humide.

Un peu plu loin encore croisai-je ce qui semblait être un coin de rue, où s’amoncelait une montagne de poubelles de toutes sortes, faites de sacs plastiques ou d’armature de fer, dont de celles-ci s’échappaient quelques affiches détrempées, émiettées pour la plupart, les plus anciennes d’entre elles n’étant alors plus qu’une bouillie dans les flaques. À côté des poubelles, un camion paraissant blanc de prime abord se terrait, lui aussi recouvert d’une suie que rien d’autre ne pourra remplacer. De ses fenêtres fondues s’échappait une âpre fumée qui, me parvenant ensuite, me transmit l’odeur oubliée d’une pizza cuite au feu de bois.

Enfin quelques lumières me parvinrent, transmises par une lignée de lampadaires aux ampoules semi éclatées, tordus telles des sentinelles tombées sur le champ de guerre. Ils projetaient alentour une lueur faiblarde qui pourtant suffit à rendre momentanément vie aux bâtiments qui les entouraient, de tailles et de formes improbables, de briques, de tôle, de plâtre, tous différents des uns des autres tout en étant cruellement semblables de par l’état dans lequel ils se trouvaient et qu’ils recouvrèrent bientôt, une fois la lumière passée, les projetant à nouveau dans les ombres à qui ils appartenaient.

Je m’arrêtai finalement au numéro huit, ou du moins ce qui me paraissait être le cas, ledit chiffre s’étant dissipé depuis bien longtemps, ne laissant sur le mur que la trace vague de son existence. Au-dessus du palier de ce qui dut être autrefois une belle demeure, s’élevait une toiture protégeant l’entrée du déluge sempiternel. Sur celle-ci se dressaient cinq gargouilles, qui tombant en morceaux qui entaillées par la corrosion de l’eau. Si d’antan ces gargouilles avaient eu un visage, elles n’en avaient plus guère aujourd’hui, disparu dans l’oubli qui forgeait ce monde.

Je m’avançai jusqu’au palier et y posai le sac qui était le mien. Les gargouilles bougèrent de concert, ce penchant par-dessus la toiture dans l’espoir d’apercevoir ce que j’emmenai en ce jour. Une main tenant toujours fermement le parapluie qui me protégeait, je me servis de l’autre pour ouvrir le sac. Je la plongeai à l’intérieur pour la ressortir aussitôt, tenant entre mes mains la fourrure glaciale de la mission qui me menait en ces lieux. La gargouilles regagnèrent avec indifférence leur place originelle tandis que je déposai le chaton sur le palier.

Son poil autrefois roux bleuissait dorénavant du froid hivernal duquel il n’avait su échapper. Ses membres étaient rigides, et à jamais le resteraient-il à présent. Son museau quant à lui avait noircit, ses prunelles étaient devenues blanches, ne voyant plus guère que le noir, non pas qu’il y eut quoi que ce fût à admirer ici. Le chaton bougea imperceptiblement les pattes, puis sa tête se tourna vers moi avec nombre de craquements de glace. Son regard, bien que voilé, semblait interrogatif quant à l’endroit où il se trouvait.

« Tu es dans la ville des Oubliés petit, l’informai-je d’un ton morne. Là où vont tous ceux que le monde des vivants a oublié. »

Le chaton détourna la tête et considérant ma mission achevée, je refermai mon sac, le pris en main et repartis de là d’où je venais. Je traversai en sens inverse la ville que je venais de parcourir, sans attention aucune pour ceux qui s’y trouvaient. Je ne les voyais tout simplement pas. Car sitôt ma mission accomplie oubliai-je même la cité, mené uniquement par les pas qui me guidaient, à la recherche de la prochaine âme pour qui j’effectuerai une fois de plus le voyage.
TragédieFantastiquenouvellehistoire courte
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Table des matières

En réponse au défi

Le décor est planté

Lancé par Hel
C’est une ville la nuit avec ces trottoirs gris, ces passants parapluies, ces autos qui zigzaguent dangereusement sous la pluie. Il y a un chat gris tout décharné, un néon qui clignote rose défectueux, et un amoncellement de poubelle au coin, l’une d’elle déborde de vieilles affiches. À gauche un camion blanc, ça sent la pizza au feu de bois. Les immeubles sont anciens, un peu disparates, au numéro 8 le hall d’entrée est surplombé de gargouilles.
Le décor est planté, à vous d’écrire l’histoire.

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