Chapitre 22

7 minutes de lecture

Ecrit en écoutant notamment : Paul Elstak – Angels Deserve To Die [Hardcore]


Ce samedi matin, pas de cours particulier avec mon Morgan ; je profite donc avec délectation de la grasse matinée qui m’est offerte.


Je suis finalement réveillé vers neuf heures et demie par ma mère qui me commande d’aller acheter du pain pour le petit-déjeuner. Je râle en réclamant que pour une fois, ce soit le tour de mon frère ; cependant elle m’informe qu’il est rentré à quatre heures du matin après sa soirée, et qu’il aurait donc naturellement « besoin de se reposer ». J’estime que ce n’est pas une excuse, et que braver la fraîcheur matinale l’aiderait sûrement à décuver, mais résigné, je finis néanmoins par m'habiller, descends à la cave pour sortir mon vélo, et roule vers la petite boulangerie familiale de mon village.


Alors que j’attends patiemment derrière une grand-mère qui a toutes les peines du monde à réunir 2€75 en pièces rouges, je sors mon téléphone et y trouve un pavé d’un expéditeur inconnu :

0h44 : Michaël, tu dois sûrement te demander pourquoi je continue à te harceler comme ça. En fait, il n’y avait qu’une chose en particulier que j’avais envie te dire mercredi. J’aurais aimé te la dire en face, mais là, je crois qu’en ce moment, ça risque d’être un peu compliqué, tu n’es pas vraiment disposé à m’écouter. Je sais qu’on est parti sur de mauvaises bases, mais voilà, ça faisait trois jours que l’envie mais aussi la peur de t’envoyer ce message m’assaillait : je crois ressentir quelque chose pour toi, en tout cas il m’arrive de souhaiter t’avoir pour moi. J’ai envie de vivre de bons moments en ta compagnie si tu le souhaites, même si ça ne sera pas évident avec Victor… Il a vraiment une dent contre tout ce qui est lié de près ou de loin à l’homosexualité. Pour te dire, encore pas plus tard que la semaine dernière, en se baladant dans le centre-ville, on a rencontré tous les deux un jeune couple de mecs, sûrement des lycéens aussi, qui se tenaient par la taille sur notre chemin, ils étaient d’ailleurs assez mignons ! Victor les dévisageait avec un rictus qui m’a fait frémir, et quand ils se sont embrassés, il les a insultés. J’avais vraiment honte d’être à côté de lui à ce moment. Comme je suis ami avec lui depuis tellement longtemps, je n’ai pas relevé… J’ai du mal à comprendre son comportement depuis quelques mois, mais pour moi, il n'y avait pas raison à risquer de perdre son amitié. Tu comprends bien que mon attirance pour toi n’arrange pas les choses. Et je ne sais pas si tu y as prêté attention, mais je ne me suis pas vraiment défendu quand on s’est battus après le cours d’anglais, difficile de frapper une personne qui m’attire...

Ton Alexandre préféré (j'espère)


Je reste bouche-bée devant cette déclaration si particulière, mais particulièrement touchante… Moi qui croyais dur comme fer qu’il voulait juste se redonner bonne conscience en s’expliquant avec moi, j’étais à des années-lumière de pouvoir imaginer une telle situation. Toujours est-il que je relis trois ou quatre fois le message pour m’en imprégner. Je lui plairais ? Et moi, est-ce qu’il me plaît ? Quel garçon est-il, sans mes vieux préjugés à son encontre ? Je suis bien confus ; il me faudra quelques jours au moins pour que mes sentiments, aussi contradictoires qu’insaisissables, cristallisent en une conclusion plus claire…

Enfin, l’important dans l’immédiat, c’est le match de foot de cet après-midi ! J’aurai bien assez le temps de réfléchir à tout ça demain chez ma grand-mère. D’ailleurs, j’espère que Morgan n’est pas trop stressé, c’est son premier match après-tout…

Après avoir mangé, je monte dans ma chambre pour me donner bonne conscience en révisant rapidement le cours de SVT sur la subduction océanique. Pendant ce temps, j’entends ma mère au téléphone, devinant qu’elle converse avec sa belle-sœur, la mère d’Alexis. Quelques minutes après qu’elle a raccroché, je reçois un message de son fils qui m’annonce avec enthousiasme qu’il viendra avec sa famille à la maison ce soir.

Cela me rappelle que les parents de Morgan souhaitaient aussi rencontrer les miens, et naturellement, je propose à ma mère de faire coup double pour ce soir :

— On peut aussi inviter un ami du foot avec qui je m’entends bien ? Ses parents avaient envie de nous inviter, mais comme de toute façon tu vas cuisiner pour un régiment entier, ils ne seront pas de trop.

— Oui, pourquoi pas, tu n’as qu’à leur demander si ça leur convient.

— Merci Maman, tu sais que je t’aime ?

Elle grommelle un semblant d’approbation qui me fait comprendre qu’elle serait reconnaissante de marques d’affection plus régulières. Finalement, cette journée, qui avait étrangement commencé, se profile plutôt bien ! Pour le déroulement des opérations, il a par la suite été convenu que Morgan et ses parents viendraient directement chez nous après le match.

Ce dernier commence bien, puisque nous arrivons à ouvrir le score grâce à un beau débordement de Léo qui a centré en retrait pour mon frère dès la troisième minute de jeu. Nous parvenons ensuite coûte que coûte à maintenir cet avantage face à une équipe adverse assez dominatrice.

A la mi-temps, notre coach ne manque pas de nous encourager à tenir coûte que coûte, à grand renfort de diverses gesticulations mimant la tactique à suivre.

Malgré ces encouragements, ça part mal, puisque dès le début de la deuxième mi-temps, les locaux égalisent, puis nous mettent une pression d’enfer. Dans les buts, je dois m’employer à plusieurs reprises pour maintenir le score de parité. Alors que la fin du match approche, sur un long dégagement de ma part, Lucas parvient de manière assez inespérée à se saisir du ballon et à éliminer les deux derniers défenseurs adverses d’un élégant passement de jambes avant de tromper le gardien pour faire basculer le score à 2 à 1 en notre faveur. Nos adversaires ne se montrent pas battus pour autant et continuent à se démener pour tenter d’arracher le point du match nul. Alors que les quelques minutes de temps additionnel sont déjà largement entamées, le 10 adverse délivre une belle passe en profondeur à son attaquant, ce qui surprend toute notre défense. Morgan arrive légèrement trop tard pour défendre et fauche maladroitement l’attaquant adverse, suite à quoi l’arbitre ne se fait pas prier pour siffler un pénalty. Alors que le tireur adverse positionne son ballon, Morgan vient me voir et me chuchote à l’oreille :

— Allez, je compte sur toi, fais-nous un miracle !

J’ai tellement envie de réparer l’erreur qu'il a commise ! Le tireur s’élance, il semble vouloir tirer sur ma droite, je plonge donc à gauche en anticipant le contre-pied. Je parviens à effleurer le ballon du bout des doigts, et celui-ci va frapper violemment le montant gauche avant de revenir en jeu. Morgan se précipite et le dégage en touche d’un coup de pied rageur, juste avant que l’arbitre ne donne les trois coups de sifflet finaux. Alors que nous traversons le terrain pour rejoindre à nouveau les vestiaires, je sens la main de Morgan passer sur ma fesse gauche, de manière plutôt insistante :

— Bien joué, mon petit gars !

Les douches brûlantes nous font un bien fou après ce match ponctué d’averses glaciales. J'étais d’ailleurs tellement refroidi que je n’avais même pas à me soucier d’une éventuelle réaction intempestive de mon entrejambe à la vue de mes coéquipiers en train de se déshabiller.

Nous rentrons une bonne heure et demie avant l’heure prévue pour qu’Alexis n’arrive avec sa sœur et ses parents. Avec Morgan, nous participons donc poliment aux préparatifs, puis montons dans ma chambre. Il ne tarde pas à remarquer le livre qui traîne sur ma table de chevet, Histoire de la musique électronique, que j’avais emprunté à la bibliothèque, après avoir constaté à quel point je n’y connaissais rien quand il m’en parlait. Je le vois sourire, puis finalement éclater de rire :

— T’es sérieux, mec ? Tu me feras toujours autant rire ! La techno, ça s’apprend sur le terrain, tu verras bientôt ça de tes propres yeux ! Mais bon, je t’en veux pas, je sais ce que c’est d’être amoureux !

Je rougis sans trouver de réponse adaptée, mais heureusement, voyant ma gêne, il enchaîne :

— Et alors, le beau gosse que tu es n’a pas trouvé de mec à se mettre sous la dent ?

Et mon teint de s’empourprer encore plus du qualificatif qu’il a employé à mon égard ! Cependant, les évènements récents me rattrapent, et je souffle un bon coup avant de lui exposer sans aucune retenue mes impressions et sentiments quant à Alexandre. Voulant jouer les conseillers matrimoniaux, après m’avoir écouté attentivement, il m’incite à saisir l’occasion :

— Écoute, vous n’êtes pas partis sur de super bonnes bases, mais ce genre de déclaration, c’est du solide ! Et en fait, physiquement, il est comment ?

— Assez grand, châtain, bien bâti comme il faut, et puis des sourcils, ses incroyables sourcils, fins et marqués à la fois, je suis sûr que même toi, ça ne te laisserait pas insensible !

— Eh bah, t’as peut-être pas l’air sûr, mais moi, j’ai bien l’impression que tu l’aimes un peu, je t’aurais filmé, t’aurais été convaincu !

— Mouais, t’as sûrement raison, je vais aller le voir, soupiré-je, ayant encore quelques doutes.
Il poursuit, avec un intérêt nouveau :

— Tiens au fait, ton cousin Alexis qui vient ce soir, il est au courant pour toi ?

— Oui, je le lui ai dit il y a trois semaines, même si ce n’était pas volontaire…

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