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Claude claque la porte de la maison en y enfermant Lily, qui une seconde plus tard, ressort en sautant par une fenêtre du rez-de-chaussée. Elle atterrit sur les genoux. Écorchant sa belle robe. Puis se relève et court dans le jardin pour passer les mains à travers la clôture.

— Martin ! s’époumone-t-elle, jusqu’à ce que son frère arrive à son niveau.

Le costaud s’accroupit sous la haie et s’accroche à sa sœur du bout des doigts à travers le grillage.

— Mon Martin, je veux partir avec toi. Je veux pas être sans toi. Je veux pas rester toute seule ici, supplie-t-elle.

Martin cogite à mille à l’heure. Si autour de lui le monde s’effondre, lui n’a qu’une seule chose en tête, mettre à l’abri son coin de paradis.

— Lily…

Martin regarde aux alentours pour estimer le temps qu’il leur reste. Ils n’en ont plus beaucoup, quelques dizaines de secondes ou une minute tout au plus. L’une des dames en noir est aux prises avec Hélène dans une tempête. Claude tente de la maîtriser, tandis que la seconde approche vers eux à grand pas.

— Lily, répète Martin. Tu te souviens ce que ce je t’ai dit quand on était en classe ?

L’atmosphère est bien trop pesante. Dans le fracas de son âme brisée la princesse n’entend rien.

Alors Martin lui écrase les doigts.

—Aïe ! se plaint Lily.

— Réponds moi, tu t’en souviens ?

— À propos des parties de cache-cache ?

— Oui, à propos des champs de blé et de voir le monde différemment.

Les larmes de Lily affluent encore sur son visage.

— Mais pourquoi tu parles de tout ça maintenant ? Moi je veux que tu restes dans mon monde. Je ne veux pas voir le monde différemment.

— C’est en attendant qu’on se retrouve, promet-il. Tu trouveras plein de cachettes, pas vrai ma Lily ?

Lily reste inconsolable les genoux dans la terre.

— Je veux que tu me promettes que tu travailleras bien à l’école, dit Martin. Que tu me promettes aussi d’oublier les moqueries et de te souvenir que derrière chaque leçon se cachent des épis de blé. Plein de champs de dorés où une princesse pourra s’y sentir à l’abri des regards. Si tu travailles bien tu auras une montagne de connaissances si bien que les terres aux quatre coins du monde n’auront plus aucun secret pour toi. Je veux que tu te souviennes. Tu sauras ce que tout le monde ignore et tu iras là où tu voudras, sans que personne ne puisse jamais fouler ton jardin secret.

— « Notre » jardin secret ! le corrige Lily en lui écrasant les doigts à son tour.

—Aïe !

Soudain, une main agrippe Martin par le col. Ses pieds décollent du sol, le costaud voit sa sœur lui échapper du bout des doigts. Une des dames en noir remmène Martin jusqu’à la voiture.

— Promets-le moi ! hurle Martin.

La femme vient de refermer la portière, le cœur de Lily se contracte en voyant Martin lui être arraché devant elle. La seconde est toujours avec Hélène et Claude. Vador ne parvient toujours pas à contenir le déchirement d’Hélène. L’amour qu’elle porte à ses enfants est bien plus fort que les coups latents.

Martin regarde sa sœur désespérée, jusqu’à ce qu’il aperçoive la méchante faire le tour de la voiture. Cette fois elle se mettra à l’arrière à côté de lui, pressent le costaud. Il appuie alors sur le verrou avant qu’elle n’agrippe la portière.

— Ouvre moi cette porte s’il te plaît, Martin !

La méchante force sur la portière puis attrape ses clefs. Martin, lui, est déjà passé sur le siège avant pour ressortir du Kangoo, une nouvelle fois.

— Corinne tu viens m’aider oui ou mince ? s’écrie la méchante en voyant Martin encore leur échapper.

Toujours agenouillée sous les haies, Lily reprend espoir et se met à courir en appelant son frère à pleins poumons tandis qu’une branche déchire sa robe de princesse. De l’autre côté du grillage, Martin file comme une flèche, confortant son avance sur les méchantes dames en noir. Il sait ce que sa sœur a en tête, lorsqu’il la voit ressortir de l’atelier de Claude avec une grosse pince, avant de se mettre à quatre pattes pour s’employer.

— Donne-moi ça, lance le costaud tout tremblant.

Martin essaye de couper les tiges de fer, mais elles sont robustes. Lily a repéré une portion de terre plus profonde qu’ailleurs tandis que les méchantes dames en noir se rapprochent à grand pas. Lily rampe sur le sol humide, se dandine.

— Dépêche-toi Lily.

Martin l’aide à passer de l’autre côté du grillage, en la tirant par les épaules. Sa robe s’accroche. Alors de toute son âme, il la lui arrache en tirant plus fort. Lily finit de s’en débarrasser quand Martin sent le danger approcher.

— Dépêche-toi ! pleure-t-il. Elles sont juste là c’est trop tard.

À peine terminé sa phrase, que Lily et son legging fusent comme l’éclair.

— Arrête de parler et suis- moi maintenant.

Ils longent le jardin puis la route, traversent une succession de champs pour arriver jusqu’aux bords des falaises et ralentissent. « Ils sont là » entendent-t-ils au loin. Ils se retournent alors, et aperçoivent les dames en noir ainsi qu’Hélène et Claude arriver en formant une ligne aussi large que le filet de pêche d’un chalutier. Lily et Martin s’affolent, cherchent à gauche et à droite, puis connectent leurs regards avant de comprendre : ils sont cernés.

— C’est fini les enfants, arrêtez votre cinéma, avertit Vador.

Lily est terrorisée. En entendant la doucereuse voix de son père, elle tremble. Bientôt, Martin ne sera plus là. Bientôt, elle sera seule avec Vador et son amour qui fait mal. Une brise iodée souffle sur les larmes qui roulent sur ses joues, lorsqu’elle se tourne vers l’océan. Elle prend la main de son matelot puis regarde droit devant elle, en approchant du rebord de la falaise.

Martin contemple les cheveux de sa sœur flotter dans l’air doux du printemps. Leurs sourires se croisent et leurs mains se relient, tandis qu’en approchant du vide un tourbillon les enroule comme un sort protecteur. Lily et Martin posent un même regard sur l’horizon, quand le cri d’une mère s’apprête à déchirer le ciel.

— Tant pis pour ton bateau, dit Lily, mais il nous faut prendre la mer maintenant.

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