inter 26

3 minutes de lecture

Aurore s’installe avec sa tête des mauvais jours, puis pose enfin les yeux sur moi.

— Vous vous êtes bien fichu de moi, Charel.

— Donc vous y êtes vraiment allée…

— Pendant que j’y étais, j’en ai aussi profité pour chercher sur la carte votre soi-disant abattoir. Et je n’ai rien trouvé.

Silence.

— Avez-vous inventé toute cette histoire, Charel ?

— Je savais que vous ne résisteriez pas à l’envie d’aller les voir.

— Tout cela n’était donc qu’un jeu ?

— Je voulais savoir où se situaient les limites de votre empathie et de la confiance que vous m’accordez.

— Et maintenant ?

— Et maintenant que je peux les situer, je voudrais que vous me fassiez un petit plaisir, Aurore.

— Essayez quand même.

— Un jour vous m’avez demandé ce que je ferais, si le fantôme de cette famille était libéré de ses chaînes.

— Et vous m’aviez répondu vouloir apprendre à Lily et Martin comment gribouiller vos croquis.

— Exact. Et puisqu'ils ne sont pas avec là c'est à vous que je vais montrer comment procéder. J’aurais besoin que vous me donniez de quoi dessiner, s’il vous plaît.

Surprise par ma requête, Aurore me regarde soucieuse. Elle s’inquiète pour moi sans même voir qu’elle me libère. Lentement, elle s’approche, puis donne le matériel. Je l’en remercie puis m’élance dans mon art avant de couper mon élan.

— Désolé, mais pouvez-vous retourner à votre place, Aurore ? Ça me bloque que l’on me regarde à l’œuvre.

Elle me jauge un temps et accède à ma demande en tournant les talons.

— Je me demande ce que je fais ici, Charel. Tout cela ne rime à rien.

— Bien sûr que si, regardez.

Sans rien ajouter, je pointe le menton vers le haut pour rendre visibles les traces de lacérations sur mon cou. Aurore se remémore ma récente tentative de suicide. Je l’observe du coin de l’œil tandis que je finalise mon portrait.

— Charel ?

— Une minute, je termine.

— Enlevez ces chaînes maintenant, vous êtes ridicule.

— Certainement pas, je suis bien trop dangereux, répliqué-je en réalisant un avion en papier avec mon illustration.

Soudain, le gardien ouvre la trappe nous signalant qu’il reste cinq minutes.

— Ah Alberto, vous êtes là ! Vous tombez bien, j’allais justement vous appeler. Desserrez-moi d’un cran ces fichues menottes, s’il vous plaît. Elles me coupent la circulation sanguine.

— Tout de suite, Monsieur.

— Merci Alberto, quant à vous-là, dis-je à l’adresse de ma confidente bien aimée, attrapez ça !

Elle lève la tête et nous contemple, moi et l’envol de mon avion. Aurore me gratifie d’un sourire inquiet merveilleux, tandis que l’avion arrive droit dans ses bras. Délicatement, elle déplie l’oiseau de mauvais augure puis découvre le message qu’il renferme : un homme en salopette est illustré dans une sombre entreprise. Il déboutonne la robe d’une enfant qui lui tourne le dos.

Aurore est découragée.

Elle est douce.

Pure.

De toutes les traces que je vais graver en elle, dans sa mémoire et son âme, Aurore n’en mérite aucune, mais je n’ai pas le choix. Cela ne pouvait être qu’elle. Elle et ce regard d’une douleur nucléaire. Celle de la perte de son être chair. Un temps Aurore voudra cracher sur ma tombe, viendra ensuite le jour du déchiffrage et elle comprendra. Je le sais... sa manière d’accepter l’élevage de porcs et l’abattoir. Je le sens.

— Allez-y gribouillez-le, Aurore.

Elle s’exécute et se défoule, évacuant sa rage en raturant mon œuvre infect.

— Ça fait du bien n’est-ce pas, Aurore ? Maintenant découvrez votre pouvoir. Ouvrez donc le bloc de croquis à la dernière page.

Silence.

Alberto revient avec le trousseau de clé tandis qu’elle découvre mon art.

— Je ne comprends pas. J’ai l’impression qu’il s’agit du même dessin, Charel.

— Exactement. Ceux-ci sont pour les souvenirs, tandis que celui que vous venez de raturer est le rituel qui ouvre le bal. Maintenant, concentrez-vous sur le visage représenté et dites-moi de qui il s’agit.

Alberto est en train de desserrer mes menottes de quelques crans.

Je respire enfin.

— C’est mieux comme ça, monsieur ?

— Parfait Alberto, ça me faisait un mal de chien si vous saviez.

— Avec plaisir, monsieur.

— Bien. Allez faire une pause maintenant.

Alberto opine du chef.

Aussitôt, il tourne les talons tandis qu’Aurore distingue enfin les traits du visage du porc en salopette. Elle vient de comprendre.

— Alberto ! hurle-t-elle.

Trop tard.

S’enfonçant déjà dans sa tempe, mon stylo plume provoque une giclée de sang qui éclabousse mon visage. Alberto s’éteint debout, tombe raide et s’écroule comme un vulgaire pantin désarticulé. En le tirant par les cheveux je me mords l’intérieur de la joue et, d’un geste vif, lui retire ce que je lui mis dans le crâne, avant de lui renfoncer avec hargne, encore et encore jusqu’au trou noir.

Annotations

Vous aimez lire Sebastian Quartz ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0