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Gourmandise. Une savoureuse odeur de nougatine conduit Martin hors des frontières de l’Eden. Il retire sa couverture prestement avant d’enfiler ses chaussons.

— Non, non et non, petit glouton. Vous devez rester au lit, le petit déjeuner n’est pas encore prêt.

— Qu’est-ce que t’en sais d’abord ?

— C’est maman qui me l’a dit, réplique Lily en regardant Martin se frotter les yeux. En attendant viens, on va finir de préparer ton sac à dos d’explorateur !

Elle s’exécute tandis qu’il s’efforce de rester impassible.

— Qu’est-ce que tu as ce matin ? demande Lily.

— Bientôt on pourra même plus se voir.

Lily fronce les sourcils.

— Arrête de dire des bêtises, on se verra toujours ! D’ailleurs, j’ai tout prévu pendant que tu dormais. Ne bouge pas.

Aussitôt, la princesse disparaît. Elle court jusque dans le débarras puis revient avec un globe terrestre sorti du grenier, qu’elle pose sur un tabouret placé au centre de la pièce.

— C’est pour faire quoi ?

— Tu vas voir.

— Tu sais bien que je ne voyage pas vraiment donc je n’aurais pas besoin de...

— Ça sert à ça, l’interrompt fièrement Lily, en tendant une grosse loupe à son frère.

— Mais encore ?

D’un geste enchanteur, la princesse tourne le globe à une vitesse supersonique avant de donner ses instructions à Martin : « Pour me voir, il te suffira d’observer la région bretonne et ses longues falaises ».

— N’importe quoi.

— Ben si tu ne me crois pas t’as qu’à regarder à travers la loupe.

— Et toi, tu as essayé ?

— Bah oui mais ça marche pas. Ce qui est normal puisque c’est pas moi le matelot. Un jour tu m’as dit qu’avec ton télescope tu pourras me surveiller du haut d’une vague, alors je me suis dit qu’en attendant d’avoir ton bateau tu pourrais en faire tout autant vu du ciel.

Martin est sceptique.

— Mais essaye ! s’énerve-t-elle. Tu dois tester ton pouvoir de marin avant le voyage.

— D’accord ma Lily, accorde-t-il.

Même s’il n’aime pas quand elle fait son bébé, surtout dans ces moments où le temps leur est compté, Martin fait semblant d’obtempérer pour faire plaisir à la princesse.

— Alors, tu vois quelque chose ? Ou bien tu dois vraiment être dans les courants marins pour me voir ? demande Lily en sortant du champ de vision de son frère.

— Non, d’ici c’est plus simple. Je te vois très bien.

Mais Lily n’est pas dupe.

— Qu’est-ce que je fais là alors ?

Lily fait le poirier derrière son frère.

— Tu fais le poirier, devine-t-il.

Lily le regarde un temps la tête à l’envers, avant de se laisser retomber.

— T’as triché ! Tu me vois même pas parce que t’as même pas observé la Bretagne, ronchonne Lily.

Conscient qu’il n’y était pas du tout, Martin lève les yeux au ciel avant sa confession.

— Tu as raison, pardon ma Lily.

Le matelot veut se rattraper et se prête maintenant au jeu. Il se met bien en place, se concentre puis observe : le globe qu’il a face à lui est recouvert d’autant de toiles d’araignées que les cavernes d’Indiana Jones.

— Au fait, temporise Martin, où est-ce que t’as trouvé cette mappemonde ? Elle est toute sale…

— Tu vas te taire ? retorque Lily en venant s’assoir de l’autre côté du globe, face à son frère.

Assidu, Martin approche un œil des falaises d’Etretat puis a un mouvement de recul. Il regarde à nouveau et se demande : comment c’est possible. Il pose alors la loupe, dégage le plus gros des toiles puis, pour y voir plus clair, souffle fort sur le globe. Un nuage de poussière traverse alors Lily qui explose de rire.

— Regarde, je suis couverte de cheveux blancs comme une vielle sorcière !

Mais cette fois Martin ne prête pas attention à sa sœur. Concentré sur la côte, à la conquête du centre de la terre, le matelot devient imperturbable. Sa sœur disait vrai. À l’intérieur du globe, sur les parois terrestres, une ribambelle de clichés sont visibles. Lily au ski, sur un épais tas de feuilles ou allongée près du lac, peu importe où elle se trouve, Lily observe son frère ces jours où Martin tenait l’objectif.

Il sourit.

— Merci ma rose des vents.

— De rien. Maintenant on doit finir de préparer ton sac, dit-elle en se mettant en face de lui : gourde ?

— J’ai.

— Lampe ?

— J’ai.

— Avec les piles dedans ?

— Affirmatif, dit Martin requinqué par le cadeau de sa sœur.

— T’as un jeu de carte animalier ?

— Non, ça j’ai pas !

Soudain, Hélène fait une annonce : « C’est prêt les enfants ! ».

Ils se regardent un temps, puis se précipitent en bas des escaliers où deux grosses valises attendent déjà. Les enfants l’ignorent, suivent l’odeur conduisant jusque dans la cuisine.

— Miam !!

Ne pouvant résister à l’appel de la table des plus appétissantes, Martin fraye un chemin à sa main.

— Bas les pattes ! dit sa mère. Tu n’aurais pas oublié quelque chose à tout hasard ?

— Pardon. Bonjour Papa.

Il va embrasser Claude assis en bout de table avec son journal dans les mains.

— Bonjour bonhomme, tu es prêt pour la grande vadrouille ?

— Presque, réplique Martin avant de se tourner vers sa mère. Bonjour Maman.

— Tu vas nous manquer, dit Hélène en l’embrassant fort.

Martin lui envoie un câlin.

— Vous aussi maman mais t’inquiète pas. Quand on se reverra j’aurai plein de cadeaux pour toi.

— Merci mon cœur

— Et pour moi aussi ? demande Lily.

Martin tire la langue à sa sœur.

— Non pas pour toi.

— Maintenant à table, cessez un peu de faire les andouilles, dit Vador en tartinant une tranche de pain grillé avec du beurre demi-sel.

La famille est au complet autour de la table. Claude reprend sa lecture, Lily avale son verre de jus d’orange d’une traite puis rempli son bol de céréales, et Martin se sert deux parts de gâteau préparé par sa mère, qui, elle, a l’estomac noué. Elle semble sous hypnose et ne quitte pas son fils des yeux, ce qui n’échappe pas à Claude. Il se demande pourquoi elle se met dans un état pareil. Ce n’est pas comme s’ils ne le reverraient plus jamais. Ah ces bonnes femmes !

— Tu me ramèneras un cache-œil de pirate ? demande Lily.

— Que si je croise des ennemis de Jack Sparrow sur mon chemin, réplique Martin la bouche à moitié pleine.

— Et t’oublieras pas de ramener le Perroquet de Cotton hein ?

Martin stoppe sa bouchée et interroge sa sœur du regard.

— Ben comme ça, poursuit-elle, la prochaine fois que tu partiras en vacances sans nous, Papa, Maman et moi on pourra parler au perroquet en ayant l’impression que c’est toi qui répond.

— Ma fille est un génie, intervient Claude.

— Ça ne va pas maman ? s’interroge Martin, contaminé par le stress de sa mère. Hélène dévisage ses enfants, les yeux remplis de larmes quand soudain on frappe à la porte.

Tous les quatre se regardent, puis jettent un même œil sur l’horloge murale qui défile à une vitesse folle ce matin : « 10h15 », déjà.

— C’est l’heure, dit Claude.

À part lui, tout le monde songe que les accompagnateurs de Martin sont bien trop en avance. Ils devaient être là pour 10h30. Hélène se lève en premier de table avec une peine chassée par la colère, et se dirige vers l’entrée. Le reste de la famille reste en retrait tandis que les portes s’ouvrent sur deux personnages vêtus de noirs.

— Bonjour mesdames, vous êtes en avance, reproche Hélène.

Alors que derrière elles les enfants s’approchent pour la rejoindre, Claude stoppe son héritier en lui posant une main sur l’épaule. Martin regarde sa sœur avancer seule puis sent son rythme cardiaque s’accélérer, tandis que Vador l’emmène à l’écart.

Le costaud déglutit, avant de lever la tête vers son mentor qui lui chuchote à l’oreille :

— Mon garçon, le moment de ton initiation est maintenant venu. Mais il est une chose essentielle que tu dois savoir.

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