23

6 minutes de lecture

Deux mois plus tard

Quelque part au creux des vallées



Les rancœurs sont loin derrière. Depuis le début du printemps, Lily et Martin ont retrouvé des couleurs. La princesse surveille ses pleurs dorénavant et prend sur elle lorsqu’elle est contrariée. Elle s’est faite à l’idée de ne pas pouvoir être constamment avec son matelot et apprend à le partager. Même si c’est difficile, Lily compte bien y parvenir un jour. D’ailleurs, Martin va bientôt partir en voyage. Sans elle. Seul, comme un vrai aventurier.

Mais pour l’heure, ils profitent encore l’un de l’autre. Les yeux rivés vers le ciel, bouillonnant d’impatience d’enfin pouvoir s’envoler comme des lucioles.

— Vous êtes prêts les enfants ?

Lily s’agrippe à son frère, tandis que le costaud formule une réponse pour deux.

— Oui.

— Vous êtes sûrs ? Parce que moi j’ai rien entendu, feint Claude, fermement cramponné à sa hache.

Martin met alors un coup de coude à sa sœur.

— Aide-moi un peu, chuchote-t-il.

L’instant suivant, c’est d’un grand oui qu’ils répondent en cœur, d’une voix à peine forcée. Claude n’a entendu que ce qu’il voulait entendre, une fois encore. Satisfait, il sourit en coin de bouche puis s’emploie. Vador écrase sa lourde lame sur un rondins de bois. Une corde cède aussitôt. Le panier géant s’agite, glisse sur le sol jonché de feuilles grignotées par les chenilles puis décolle.

— Ouahhh ! s’écrie Lily, excitée par la grandiose expérience qui les attend.

Au-dessus de leur tête, l’air chaud que diffuse le brûleur gonfle à n’en plus finir l’énorme ballon destiné à les conduire quelque part ailleurs dans la galaxie.

— Regarde Martin, on est dans une lanterne pour géant !

Lily ne tient plus en place. Incapable de résister, elle se dresse sur ses deux jambes puis approche du rebord pour lever les bras au vent, en dehors de la nacelle, essayant de se saisir du ciel.

— Lily reste assise, sinon on va se faire souffler dans les bronches.

— Mais il est plus là maintenant, aide-moi plutôt à attraper ce gros nuage.

— Arrête de dire des bêtises, ça s’attrape pas un nuage.

— Mais pourquoi tu fais toujours le rabat joie ?

Martin a un mouvement de recul et regarde en bas, s’assure que les bottines de Vador sont toujours bien clouées dans l’herbe, puis se tourne vers Lily : « Parce que j’ai mieux à te proposer figure-toi ! ».

— Tu veux dire, mieux que faire du trampoline dans les nuages ?

— Ben oui, répond fièrement Martin, en sortant de sa poche un joli médaillon scintillant.

— J’te crois pas, d’abord.

— Il suffit que tu regardes attentivement de l’autre côté du bois, vers là-bas, indique-t-il en se fiant aux aiguilles de sa précieuse boussole, tandis que les vents emportent leur belle montgolfière orange.

Lily reste sceptique. Hypnotisée par la grosse mousse de lait qui tapisse l’horizon, la princesse met un certain temps avant de se tourner finalement vers son frère, puis ne le lâche plus du regard. Comme si elle tentait de deviner ce qu’il pouvait bien y avoir dans sa petite tête de linotte.

— Bah pourquoi tu me regardes comme ça ? demande-t-il.

— Pour rien.

— Si tu veux ma photo je t’en donnerai une, mais d’abord admire ce qui va bientôt se passer de l’autre côté du bois.

Malgré le conseil de Martin, Lily ne réagit pas. Elle le scrute encore, durant d’interminables secondes.

— Mais dépêche-toi à la fin, tu vas finir par gâcher mon tour de magie !

Tour de magie ? Ça défile, fuse, tilte dans la tête de Lily. Un grand sourire se dessine sur le visage de Boucle d'or, qui n’en demandait pas plus. Elle se précipite enfin pour venir se coller à la rambarde.

— Comme ça, c’est bon ? Je suis bien placée ?

Martin opine en rejoignant sa sœur. Il range le médaillon dans son bermuda puis, sans perdre plus de temps, étend les bras en dehors de leur nacelle puis se lance dans une mise en scène des plus inspirées. Une formule d’enchanteur sort alors de son clapet :

« Abracadabra, au bout de trois, de la terre tu enfleras. »

Martin se concentre sur sa sœur du coin de l’œil.

— Un.

Il espère que ça va lui plaire.

— Deux.

Il veut qu’un sourire illumine son visage.

— Et trois, en direct du ciel. Ta-dam !

Au loin, derrière une rangée d’arbres qui rapetisse jusqu’à devenir une famille nombreuse de brocolis, des vallonnements bordant quelques courbures d’un fleuve prennent soudain forme au milieu de la forêt. À leur sommet, un château-fort. Digne d’époque et d’histoires de princesses et de chevaliers, il domine l’immense vallée de la Loire.

— Ma Lily, je te souhaite un joyeux anniversaire !

Martin est tout sourire, contrairement à sa sœur. Impressionnée par les grandes tours de pierres qui protègent le château, la princesse est bouche bée. Ses yeux s'écarquillent en grand. Martin a beau examiner les traits fins du visage de sa sœur, il ne décèle rien d’autre qu’un grand étonnement.

— Oh oh… il te plaît pas, c’est ça ?

Des perles affluent sur les joues de Lily, à torrent même, si bien qu’elles font culpabiliser Martin dans sa grande désillusion.

— C’est rien ma Lily. S’il n’est pas comme celui de tes rêves, tu peux en choisir un autre. Regarde, il y en a plein autour de nous. Ici, tout à gauche, nous avons un manoir. Un peu plus loin, vers le centre, il y a de belles abbayes. Et juste après, nous aurons d’autres châteaux, encore plus grand que le premier. Tu les verras bientôt, j’espère qu’ils te plairont plus. Mais le problème c’est qu’on n’est pas à l’abri qu’un jour le fleuve déborde de son lit. Ces châteaux la sont tous un peu trop proches. J’ai peur qu’en sortant des remparts, on aura les pieds dans l’eau et…

— Ton château, le rassure Lily en le coupant, il est encore plus beau que celui que j’avais imaginé. Et on n’a pas à s’inquiéter pour les crues du fleuve. En tant que matelot, t’auras aucun mal à mener notre barque au milieu des marécages jusqu’ailleurs.

Lily cherche la main de Martin mais il objecte brusquement.

— Attends, j’ai un truc à te donner !

— D’accord, mais après on profite de l’envol.

La main fouillant l’autre poche du bermuda, Martin tire une grosse clef toute rouillée.

— Tiens, c’est ton trousseau.

— C’est même pas un trousseau, réplique Lily. Il n’y a qu’une seule clef.

— Pour l’instant ! Mais bientôt on ajoutera celle de notre future navette spatiale. Il nous reste plus qu’à la trouver et on pourra aller au-delà les nuages.

Lily sourit, les joues aux larmes qui rayonnent.

— Tu l’as trouvée où ? demande-t-elle.

— A ton avis ?

— Elle semble si vielle qu’elle a dû naître pendant le big bang, alors je donne ma langue au chat.

— C’était il y a longtemps, lors d’une descente à vélo, pas loin de notre cabane dans les Alpes. J’attendais juste de trouver le bon moment pour vous l’offrir princesse.

— Merci mon cher matelot.

Lily dépose un bisou sur la joue de son frère puis attrape précieusement la clé du paradis pour la ranger dans son sac à dos.

La princesse compte bien profiter de ce moment magique. Le survol de tous ces châteaux à profusion est pour elle le plus beau cadeau que Martin aurait pu lui faire, pour célébrer ses sept printemps.

Aujourd’hui, Lily imagine plus fort encore que lorsqu’elle sera grande, elle pourra vivre dans un endroit comme ça avec son frère. Un endroit caché quelque part au creux des montagnes, avec des remparts qui les protégeront. Un endroit si reculé que personne ne pourra jamais les retrouver.

Pas même Vador.

Serrant fort la main de son frère, Lily se laisse aller dans ses rêveries. Son esprit vogue au gré du vent, quand soudain, leur nacelle se met à trembler. Lily et Martin sursautent. Elle se lève, regardant à bâbord, puis se précipite et tire de toutes ses forces ce qu’elle vient d’agripper

Oh hisse.

La princesse s’emploie pour remonter le gros bout de corde, celui tranché par Claude afin que les enfants décollent, mais une fois celui-ci à bord Lily ne constate rien d’anormal. Et une deuxième secousse les fait à nouveau vaciller.

Lily regarde en direction du ciel, sans comprendre ce qu’il se passe. Au loin, les nuages blancs virent au gris, se chargeant de gros orages à venir.

— Tu crois qu’une tempête tombe sur le coin de notre nez ?

Mais Martin ne l’entend pas, trop occupé à tribord à sortir son télescope. Il examine les contrées pour comprendre ce qui leur arrive, puis à son grand désespoir, Martin constate que ce qu’il redoutait tant est en train de se produire.

— Princesse, soupire-t-il. Je crois qu’il est l’heure. On va bientôt avoir les pieds sur terre…

Souhaitant garder la tête dans les nuages et ne voulant croire son matelot, la princesse se rue sur l’objectif puis regarde à son tour à travers : Claude ramène leur belle montgolfière sur le tarmac, à grands coups de manivelle, tirant sur la seconde corde.

Annotations

Vous aimez lire Sebastian Quartz ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0